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s'écrier, comme le Crifpin du Légataire :

Pefte, le beau talent!

Heureufement on trouve dans Alberti des qualités louables à plus jufte titre. Il avoit le coeur noble & généreux; il étoit l'ami de tous les artistes. Sa fcience profonde et fes vertus lui acquirent l'admiration & l'eftime d'une infinité de performes de la plus haute confidération. Bonis & ftudiofis viris fuit commendatus, principibusque non paucis acceptiffimus, dit le même Laurent Meho.

Léon-Baptifte Alberti étoit de l'illuftré famille des Alberti de Florence (1), neveu du cardinal Alberto. Il avoit une grande con noiffance des antiquités; il étoit poète, littérateur, géomètre, & poffédoit les principes de tous les arts. La peinture, la fculpture & la mufique étoient fes délaffemens. La vue des monumens antiques lui donna le

(1) Une branche de cette famille s'eft établie à Pife. Un Alberti, gentilhomme Vénitien, paffa en Corfe il y a plafieurs fiècles, & y donna fon nom à la ville d'Alberti, dans la Pieve di Vico, au voifinage de Sagone.

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goût de l'architecture: il voyagea, pour s'inf truire de cette fcience, dans les différentes cortrées de l'Italie, & compofa un bon Traité de re ædificariá. Paul II le chargea de la conftruction de plufieurs édifices dont l'exécution lui fait honneur. Alberti étoit né en 1398; il mourut en 1485. Il a laiffé un très-grand nombre d'ouvrages fur différens fujets.

Celui-ci eft un petit Traité didactique de l'art d'aimer & de plaire. Peut-être verrat-on avec intérêt quelles étoient, à ce sujet, les opinions reçues au quinzième fiècle.

Alberti n'a point, comme Ovide, le mérite d'avoir profeffé l'amour en beaux vers; il a écrit en profe; & véritablement cela feul lui affigne un rang inférieur à celui du poète latin; mais il a du moins l'avantage d'avoir, autant qu'il l'a pu, fuivi une route nouvelle. Son art d'aimer eft celui des femmes: c'est pour les femmes qu'il a écrit: c'eft aux femmes qu'il a voulu plaire; pouvoit-il mieux employer fes talens?

On doit s'attendre à ne pas trouver beaucoup d'action dans un petit ouvrage tel qu'est celui-ci. Les perfonnes qui eulent être émues fortement peuvent fe dispenser de le lire; mais celles qui aiment

affez un ton de converfation doux, caressant, naturel & tendre, pourront y trouver quelque vérité de paffions, & je ne fais quoi d'intéreffant pour le cœur.

Le nom d'Hécatomphile qu'Alberti donne à son héroïne, est tiré de deux mots grecs, & fignifie cent Amours. Elle n'a pourtant aimé que trois fois, & confeille aux Belles qui fuivent fon cours de galanterie, de n'avoir jamais qu'un feul attachement. Cela eft vrai; mais elle a eu plus de cent adorateurs; & d'ailleurs le nombre déterminé de cent, eft pris ici pour un nombre indéfini. Il y a eu plufieurs verfions françoises d'Hécatomphile. La première parut en 1534, & eft fort rare (1); la dernière fut imprimée en 1584.

(1) Voyez la Bibliogr. inftructive.

HÉCATOMPHILE,

TRADUCTION DE L'ITALIEN

DE

LÉON-BAPTISTE ALBERTI,

Par M. LEVRIER DE CHAMP-RION, de la Bibliothèque du Roi.

HÉCATOMPHILE

AUX JEUNES FILLES.

AVERTISSEMENT..

IL me paroît, mes belles demoiselles, que ce feroit œuvre pie, & fentiment d'humanité tout-à-la-fois, fi, aux douloureufes follicitudes qui viennent oppreffer vos tendres cœurs, j'allois oppofer tout ce que je puis avoir d'efprit

& d'art pour les adoucir. J'en vois là certaines parmi vous porter fans ceffe la main au front; d'autres fe preffer la poitrine; celles-ci coller les deux mains fur leur vifage, en foupirant; celles-là enfin, & c'eft le plus grand nombre interroger des yeux tous les coins de cette falle, comme pour reconnoître dans la foule cet amant aimé qu'elles attendent & qu'elles brûlent de voir.

Il m'eft impoffible de ne pas avoir pitié des jeunes cœurs que je vois dans la même peine où j'ai langui fi longtemps, faute de connoître la véritable manière d'aimer. Quelque intelligence, quelque fagacité que vous apportiez dans vos amours, j'ai encore plus d'expé rience que vous, & il va vous être aufli utile qu'agréable de m'écouter. En effet, le moyen de trouver un médecin préférable à celui qui fe fouvient d'avoir effuyé lui-même autrefois la maladie dont il entreprend de guérir aujourd'hui les autres! Telle que vous me voyez, j'ai

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