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siège de 1863 et sont restés tels quels depuis cette époque. Moyennant quelques sapèques, un vieux bonze, cassé par l'âge et les austerités, nous ouvre la porte de la pagode: nous entrons avec quelques provinciaux venus également pour visiter Sou-tchéou et désireux de contempler la ville du haut du monument élevé, comme à Paris nos provinciaux vont admirer la Babylone moderne du sommet des tours Notre-Dame ou de la Colonne Vendôme.

Au-dessus de la porte de l'escalier on lit Youngchien-pao-kouang, Auréole étincelante qui brille d'un vif éclat. A chaque étage, des niches pratiquées dans le mur intérieur renferment des figures assises du Bouddha. L'escalier a 218 marches.

Du sommet de la pagode on jouit d'une vue splendide sur Sou-tchéou et les environs. A nos pieds s'étend une vaste mer brune de tuiles vernissées, de toitures herissées de toits recourbées et de chimêres fantastiques, d'où émergent les mats de pavillon des Yamen avec leurs longues banderolles flottant au gré des vents, et quelques petites pagodes tout honteuses à côté de la nôtre: çà et là, des ilôts de verdure entrecoupant la monotonie du paysage, et des espaces vides où pousse l'herbe inculte, cachée sous des amas de briques ou des monceaux de tuiles brisées. C'est la ville immense avec ses jardins, ses pelouses et ses ruines. Près des remparts, surtout au sud, sont encore de vastes emplacemens couverts de débris de maisons et de palais, souvenirs vivans du siège.

Au temps de sa splendeur, Sou-tchéou comptait une population de plusieurs millions d'habitants: à peine aujourd'hui renferme-t-elle dans ses murs deux cent à deux cent cinquante mille âmes. C'est du moins ce que l'on peut préjuger à la vue de la ville.

Le temps toujours clair nous permet de distinguer tous les détails du panorama que nous avons sous les yeux: à travers une délicate fumée bleuâtre qui s'échappe des cheminées en bouillonnant et qui se fond lentement avec le brouillard du

matin non encore dissipé par le soleil, nous apercevons la campagne Sou-tchéouienne, si l'on peut dire ainsi, et, à l'ouest, parfaitement dessinées, les hautes collines des bords du T'aï'hou. Une légère brise vient secouer les petites clochettes suspendues aux angles du toit de la pagode et les fait tinter doucement et à intervalles réguliers.

Nous redescendons: on nous conduit près de là à une école d'enfants; c'est un spectacle curieux à voir mais assez étourdis

sant.

Ne vous figurez pas une classe muette, penchée sur des classiques et attentive aux explications d'un professeur: rien de tel. Au contraire, imaginez-vous une école turbulente, assourdissante, où chaque élève récite sa leçon à haute et intelligible voix, chacun de son côté, ce qui forme le concert le concert le plus discordant que l'on puisse entendre, tandis que le docte maître, aux larges lunettes sur le nez, relit avec délices, sans paraître se soucier de tout ce tapage, quelque vieil et incompréhensible auteur. Le maître désigne à chaque élève le passage que celui-ci doit confier à sa mémoire et lui donne la prononciation et le ton des caractères qui s'y trouvent: l'élève retourne à sa place, et chante sa leçon de sa voix nasillarde; puis, à un moment donné, quand il la sait ou croit la savoir, il va se placer devant la table du maître en tournant le dos à ce dernier qui a son livre en main, et la récite au milieu du vacarme de l'école.

Au contraire de ce qui se passe chez nous, jamais le professeur, dans les premières années d'école, n'explique un ouvrage aux élèves. L'instruction et la méthode d'enseigner des chinois sont bien différentes des nôtres: en Chine, les premières années de l'enfance se passent à lire et à répéter à haute voix et à apprendre par cœur sans en savoir en aucune façon le sens, les phrases de deux livres élémentaires très difficiles par eux-mêmes, après que le sien-cheng ou professeur a donné seulement la prononciation et le ton de tous les caractères, et à écrire ceux-ci sur des petits carrés de papier séparés pour les retenir plus aisément et s'appliquer à manier

le pinceau. Il n'est pas d'enfant, même après plusieurs années de classe, qui puisse vous expliquer une seule phrase des volumes qu'il sait réciter; les canoniques sont étudiés de même: on ne fait appel qu'à la mémoire des élèves sans jamais développer leur intelligence. Le mot de Montaigne: "La mémoire est l'étui de la science" est bien plus vrai encore chez les chinois que tout autre peuple. Au début, la mémoire est tout, l'intelligence, rien. C'est seulement au bout de quatre ou cinq ans en moyenne, après que l'élève, au prix d'efforts prodigieux, est parvenu à retenir intégralement, sans en comprendre une seule ligne, les ouvrages les plus inintelligibles de la littérature chinoise, que le professeur explique et commente alors ces derniers.1

Telle est la méthode ennuyeuse et peu intelligente que les jeunes chinois sont obligés de suivre: elle a au moins pour résultat de développer leur mémoire d'une façon prodigieuse: à force d'exercer cette faculté les lettrés arrivent à exécuter des tours de force vraiment remarquables, comme par exemple de réciter des ouvrages entiers quelquefois dix ou vingt ans après les avoir appris.

En sortant de l'école nous traversons le canal; sur la rive gauche, presque vis à vis de la grande pagode, nous visitons le Ko-sang-yuan, Jardin des Mûriers, établi par un

mandarin nommé Fan. On y voit des plantations de mûriers et une certaine quantité de grandes jarres en terre brune de Ningpo, enfoncées en terre jusqu'au bord, qui servent d'aquariums. Des poissons de mille espèces différentes, aux formes et couleurs plus ou moins extraordinaires, s'y livrent à des jeux folâtres. Nous regrettons notre ignorance profonde en pisciculture qui ne nous permet pas de désigner ces citoyens de la gent aquatique par leurs noms scientifiques, ni de reconnaître s'il en est parmi eux qui soient inconnus en Europe.

1. Voir notre traduction du

Tchou Pô-lou Kia-hiun, Instructions familières du Dr. Tchou Pô-lou, Péking-Paris 1881, préface.

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