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ABRÉGÉ

DES

CAUSES CÉLEBRES

ET INTÉRESSANTES, Avec les Jugemens qui les ont décidées.

RÉCLAMATION

Contre des Vœux.

ANTOINE Derlon, marchand de fer de la ville de Lyon, & Françoise Bertaud, ont de leur mariage quatre enfans, deux garçons & deux filles; de ce nombre cft celui qui réclame contre fes vœux. Il tient le principal rang dans l'affection de fon pere, quoiqu'il foit le dernier dans l'ordre de la naiffance; Tome III. A

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il n'a pas encore dix ans, qu'il a la dou leur de le perdre. Son pere lui laiffe des preuves de fa tendrefle, & des effets de fa libéralité, en l'inftituant par fon teftament fon héritier univerfel.

Françoife Bertaud, après la mort de fon mari, reconnoiffant en ce fils, fon cadet, un heureux naturel, & des difpofitions avantageufes pour les fciences, le deftine aux études; mais le choix aveugle qu'elle fait du maître auquel elle confie fon éducation, eft la fource funeste des infortunes du jeune Derlon,

Son précepteur a le talent de s'acquérir en peu de tems la confiance & l'amitié de la mere; il ne donne pas fes uniques foins aux progrès de fon écolier; l'habitude que fon emploi lui fait contracter dans la maifon, produit dans fon coeur une paffion peu convenable à fon caractere d'eccléfiaftique tonfuré; elle s'excite par des vues de cupidité. La fortune de Françoise Bertaud, quoique médiocre, lui affure une fubfiftance toujours incertaine aux perfonnes de fon état; il porte fes défirs jufqu'à vouloir l'époufer.

Les occafions de féduire la fimplicité de cette veuve font fréquentes; le prétexte de l'inftruction du difciple favorife fes affiduités & fes complaifances. Bien

tôt le temps des leçons du jeune étudiant eft employé auprès de la mere à tenir un autre langage que celui de l'école. Parvenu ians peine à obtenir tout ce qu'il fouhaite, il abdique l'habit eccléfiaftique; & de précepteur du fils, il devient le mari de la mere.

Le mariage n'a pas plutôt affermi son autorité, qu'il n'y met plus de bornes : fon projet eft de s'emparer du bien que le fieur Derlon pere a laiffé à fa famille; mais fes deux garçons forment un obstacle à l'avidité de ce fecond mari, il ne tarde pas à leur faire éprouver toute la haine & les duretés d'un beau-pere.

L'aîné, ne pouvant fupporter plus long-temps les mauvais traitemens qu'il endure, s'engage dans le service, où il finit fes jours.

Le cadet, appellé par une inftitution folemnelle à recueillir toute la fucceffion de fon pere, eft l'objet le plus dangereux que le beau-pere a intérêt d'écarter; il réfout de le jeter dans un cloître. Les menaces & les violences font les voies dont il fe fert pour lui infpirer fa vocation.

La réfiftance continuelle du fieur Derlon aux ordres barbares de fon beau-perễ, porte fon courroux au dernier dégré ; tantôt, pour l'obliger à entrer en reli

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gion, il s'emporte contre lui en des termes qui expriment toute fa colere d'une maniere fcandaleufe; tantôt il accompagne fes paroles foudroyantes de coups réitérés, tout ce qui eft fous fa main eft l'inftrument de fa fureur. Souvent les alimens néceffaires lui font impitoyablement refufés, tous les jours fe fignalent par de nouveaux emportemens; l'excès de fa cruauté le porte fréquemment jufqu'à le chaffer hors la maifon, & le réduire à paffer des journées & des nuits entieres à la merci des injures de l'air, fans nourriture & fans afyle. La compaffion du voifinage, foulevé par les cris & les pleurs du fieur Dérlon, augmente les coups au lieu de les arrêter; tout eft mis en ufage pour forcer cet enfant à ne prendre confeil que de fon défespoir.

Ces traitemens inhumains font cependant impuiffans pour arracher du cœur du fieur Derlon l'acceptation d'un état auquel la providence ne l'appelle point. Son beau-pere, incapable de fe rebuter, imagine de joindre l'artifice à la force :: il a un frere, prêtre de l'ordre des minimes, qui eft attaché à leur couvent de Lyon, engage ce facrificateur complaifant à lui prêter fa main & fon miniftere, pour immoler le fieur Derlon à fon avarice,

il

en le contraignant abfolument de fe faire

moine.

Ce complot facrilége n'eft pas difficile à former entr'eux. Le pere minime croit juft fier fon entreprise criminelle, & travaill r faintement pour la gloire de Dieu, en tâchant d'acquérir un fujet à son ordre. Ces deux freres fe diftribuent leur rôle, ils confervent chacun leur caractere. Le foin eft remis au pere minime de dégoûter le jeune homme du monde par fes exhortations, & de lui dévoiler les douceurs fpirituelles & la béatitude de la vie monaftique; il ne néglige ni ces careffes, ni ces promeffes féduifantes, qu'un moine expérimenté fait habilement mettre en œuvre pour infinuer le goût du repos & de la tranquillité que préfente le couvent.

Ces deux perfonnes conduifent leur entreprife odieufe avec une adreffe fingu liere, & un concert admirable. Le jeune Derlon ne revient point de fes claffes, qu'il ne foit battu & maltraité par fon beau-pere avec la derniere inhumanité. Le bâton ne ceffe d'etre levé fur lui, que lorfqu'il promet d'aller aux minimes voir le frere de fon bourreau; c'eft avec lui feul qu'il peut en liberté répandre fes plaintes, & laiffer couler fes larmes. Le pere charitable adoucit les unes & effuie

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