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la puiffance il paffe bientôt à l'acte; & voici commens il prouve qu'il n'y a point de diftinction entre l'ame & le corps. Les deux parties de nous-mêmes, dit-il, font unies par des liens fi étroits, qu'il eft impoffible de n'en pas confondre la nature. L'ame ne connoît rien que par l'entremise des fens : qu'ils foient altérés par une fievre brûlante que le fommeil les affoupiffe, l'efprit fe trouble, & on le voit errer confufément d'objet en objet. Il croît avec le corps : uniforme & brut dans les années de l'enfance, il fe développe par des degrés infenfibles Sa jeuneffe a l'éclat & la durée d'une fleur; & s'il porte quelques fruits dans un âge plus mûr, bientôt la vieilleffe l'affoiblit, le glace, en flétrit les reftes languiffans. Combien d'hommes naiffent privés de raison, ou la perdent par accident! Ils en manquent, parce que les parties de leur cerveau n'ont pas eu d'abord un certain ordre, ou qu'elles ont depuis ceffé de l'avoir. Combien d'autres font dégradés au point de devenir Temblables à des bêtes féroces. La morfure d'un chien furieux infecte la maffe du fang, & fait couler dans les veines un cruel poifon : c'en eft affez pour abrutir un homme : quelle différence faut-il mettre alors entre cet homme & le chien qui l'a bleffé? Ce font deux animaux que tourmente une aveugle frénéfie : tous deux ont la même fureur de mordre; leur rage eft égale; leurs tranfports font les mêmes.

Voilà fans doute le plus grand argument que puiffent apporter les Matérialistes pour prouver l'indiftinction de l'ame & du corps. Ils ne diront pas que M. le Cardinal de Polignac l'a affoibli, & que l'incomparable traducteur de l'Anti-Lucrece l'a préfenté de maniere à ne pas d'abord faire impreffion fur l'efprit du lecteur. Mais quelle eft foible, quelle eft puérile cette objection, lorsqu'on l'examine de près! Que penferiez-vous du raifonnement fuivant? Le muficien eft fi dépendant de fa lyre, que fans elle il ne peut faire entendre aucun fon: qu'elle foit brifée par quelque chute que les cordes trop lâches ou trop tendues ne foient pas montées fur le ton: qu'il en manque une feule: qu'enfin l'intérieur foit rempli de corps étrangers qui le rendent moins fonore; le muficien, malgré toute fa fcience, ne tire point de fons, ou n'en tire que de vicieux. Donc la lyre a autant de

connoiffance de la mufique que le muficien. Donc l'inf trument & le joueur font la même chose. Ce raisonnement eft pitoyable; celui des Matérialistes l'est-il moins? Que prouve-t-il autre chofe, finon que l'homme produit des actions auxquelles l'efprit & le corps ont part à la fois, celui - là comme cause physique & efficiente, celui-ci comme pur inftrument & pure condition? Les Matérialistes ont beau fe faire illusion à eux-mêmes ; ils ne peuvent pas ne pas goûter une pareille réponse. Auffi l'auteur du nouveau traité fur la fpiritualité & l'immortalité de l'ame (le R. P. Hubert Hayer, Récolet) les compare-t-il à des joueurs de gobelets. De part & d'au→ tre, dit-il, les prétentions font les mêmes. Tous deux • veulent attribuer certains effets à des caufes avec lef quelles ces effets n'ont aucun rapport. Les moyens qu'ils emploient pour y parvenir font auffi affez femblables. Ceux-ci par des tours d'adreffe & de fubtilité occupent les fens pour féduire la raison; ils favent la diftraire & lui présenter comme caufe d'un effet ce qui ne le fut jamais, ce qui même ne fauroit l'être. Ceux-là dans leurs fophifmes ne parlent que de l'imagination, ils ne parlent qu'à elle & d'après elle. Partout il leur faut de l'étendue, de la figure, des images. L'imagination, caufe factice, ils la préfentent à des efprits diftraits comme l'unique principe de tout ce qu'il y a d'opérations dans l'homme. Mais ce qui acheve la reffemblance entre le Matérialiste & le joueur de gobelets, c'eft que, tous deux, féducteurs fans être féduits, fe divertissent de la fimplicité de leurs ftupides admirateurs.

cette

Ce qui doit nous rendre fufpecte la fincérité des Phyfi ciens Matérialistes, ce font les étonnantes contradictions dans lesquelles nous les voyons tomber. Comme Phyficiens, ils foutiennent que toute matiere, effentiellement indifférente aux différens états dans lesquels elle peut fe trouver, est absolument incapable de paffer d'elle-même d'un état dans un autre : comme Matérialiftes, ils avancent que certaine matiere a un tel degré d'activité, qu'elle peut produire des idées, des juge mens, des raifonnemens, &c.

Comme Phyficiens, ils reconnoiffent l'étendue & la divifibilité pour des propriétés de la matiere: comme Matérialistes, ils admettent une matiere inétendue &

indivifible; puifqu'une modification inétendue & indivi fible, telle qu'eft la penfée, fuppose son sujet privé d'extenfion & fimple dans fa nature.

Comme Phyficiens, ils difent qu'il eft des dénominations qui conviennent à toute forte de matiere ; ces dénominations font, être long, large, profond, capable de figure, de couleur, &c. Comme Matérialistes ils exceptent de cette regle générale toute matiere qui penfe; aucun d'eux en effet n'a encore ofé demander fi fon ame avoit 4 ou 5 pieds de hauteur : fi elle étoit quarrée ou triangulaire, rouge ou blanche, &c.

Comme Phyficiens, ils conviennent que tout effet. doit avoir quelque relation, quelque reffemblance avec fa caufe comme Matérialistes, ils feroient fort embarraffés à nous affigner le rapport qu'il y a entre une penfée, un defir, un doute & une matiere très-fubtile mue de telle & telle façon.

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Comme Phyficiens, ils font obligés d'admettre des caufes fecondes dont les unes font libres & les autres privées de liberté : comme Matérialiftes ils doivent regarder toute caufe feconde comme matérielle, & par conféquent comme affujettie à une indifpenfable néceffité.

Comme Phyficiens, ils doivent regarder le hafard comme une caufe aveugle, imaginaire, chimérique incapable de produire aucun effet, qui fuppofe de l'ordre & de la fageffe : comme Matérialistes on ne les entend que trop fouvent attribuer au hafard l'union & la défunion des atomes dont ils compofent l'ame de l'homme.

Comme Phyficiens, ils ont fous les yeux les preuves les plus fenfibles & les plus convaincantes de l'existence d'un Etre tout-puiffant dont la fageffe infinie gouverne l'Univers : comme Matérialistes, ils ne nient que trop fouvent l'existence de l'Etre fuprême, ou ils n'admettent qu'un Dieu fans providence Créateur d'un monde dont il laiffe la conduite au hafard.

Enfin, comme Phyficiens ils font Théiftes: & com me Matérialistes, on doit les regarder comme de vrais Athées. Combien d'autres contradictions ne nous fourmiroient pas les Matérialistes, fi nous voulions oppofer

leurs principes avec ceux de la métaphyfique & de la morale ?

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Mais pour faire mieux connoître tout ce que ce fyfteme a de ridicule & de dangereux, bornons nous dans cet article à l'histoire même du matérialisme, c'est-à-dire, mettons fous les yeux du lecteur les différentes explications des Matérialistes. Faifons un pas de plus, oppofons-leur les explications des Spiritualifies; nous verrons fi ceux-là ont droit de regarder ceux-ci comme des fuperftitieux, des efprits foibles, comme des gens incapables de penfer fainement : nous verrons fi ces Meffieurs méritent véritablement les titres d'efprits forts d'Etres penfans, de Phyficiens. Au refte, les explications que nous leur attribuerons, n'ont pas été puifées dans des fources, qui leur foient fufpectes. Hobbes, Bayle, M. de Voltaire, le livre des Moeurs, celui de l'Esprit, l'Homme machine, l'Encyclopédie, &c. nous les ont fournies. Pour ce qui regarde les Spiritualistes, ils feront charmés que nous nous foyons fervi de l'Anti-Lucrece de M. de Polignac, des ouvrages de M. le François, du livre du P. Hubert Hayer, Récolet, & d'une excellente brochure à laquelle on ne fauroit donner de trop grands éloges intitulée : la petite Encyclopédie ou Dictionnaire des Philofophes. Tels font les ouvrages qui nous ont fourni le fond des tableaux fuivans.

EXPLICATIONS EXPLICATIONS

DES SPIRITUALISTES.

Idée générale de l'Homme.

L'homme, le chef-d'œuvre forti des mains d'un Etre infiniment puiffant, eft un composé de deux fubftances fpécifiquement différentes. L'une effentieliement active, inétendue & indivisible fe connoit, fait qu'elle penfe, nie ce qui

DES MATERIALISTES.

Idée générale de l'Homme.

L'homme qu'on regarde fans raifon comme un Etre plus parfait que la bête & que la plante, eft compofe de deux fubftances qui ne different que par quelques accidens. L'une n'est qu'un affemblage de corpufcules déliés, toujours en mouvemens

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lui parott faux, affirme ce qu'elle croit véritable. Souvent par l'examen des raifons contraires, elle demeure en fufpens, elle flotte dans l'incertitude parce qu'elle n'a qu'une connoiffance imparfaite. Souvent auffi ce qu'elle fait, la conduit à la découverte de ce qu'elle ignore. Elle infere l'un de l'autre, en fuivant le fil d'une progref fion méthodique; & capable de méditer, elle diftingue une conclufion jufte de celle qui ne le feroit pas, examine le rapport de fes idées, réfléchit fur l'ordre qu'elle doit leur donner. Par ces efforts redoublés,elle parvient à comprendre un objet, à l'embraffer tout entier; fe repliant fur elle-même, elle confidere tous les pas qui l'ont conduite à ce terme. Combien d'autres opérations l'ame n'a-t-elle pas qui ne dépendent que d'ellemême, & auxquelles la fubftance à laquelle elle eft intimement unie, n'a aucune part. Quoique finie dans fa nature, elle perce d'un vol rapide, l'éternel, l'infini, l'immenfe : elle ofe en fonder la profondeur; en parcourir l'étendue, &c, L'autre fubftance qui fait partie de l'homme, effen, tiellement inerte & paffive, c'est-à-dire, effentiellement

que le hafard a réunis, & que le hafard doit féparer après un certain tems. Ces corpufcules matériels ont eu par fucceffion, du mouvement, de la fenfation, des idées, de la penfée, de la réflexion,de la confcience, des fentimens des fignes, des geftes, des paffions, des fons, des fons articulés, une langue, des loix des fciences & des arts. L'ame de l'homme, l'ame de la bête & l'ame de la plante font certainement de la même pâte & de la même fabrique. Elles ne different que du plus ou du moins. L'homme eft celui de tous les Etres connus qui a le plus d'ame plante eft celui qui en a le moins. Toute ame, matérielle de fa nature, connoît néceffairement, & ne connoît que par les fens. Mortelle, elle eft bornée au bonheur d'ici-bas 2 fon intérêt eft fa regle; fes penchans, fes loix; le plaifirou la douleur, les moteurs de fa morale; la crainte des loix humaines, le feul frein à fes entreprises.

comme la

Pour le corps de l'homme, c'est une fubftance de même nature que fon ame. Les corpufcules de l'un font moins divifés, plus groffiers, moins propres au mouvement que les corpufcules de l'autre 3 mais dans le fond ils n'en font pas moins nobles. Telle molécule de matiere qui d'a

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