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fes ont de fleuri, il eut grand foin aussi de ne pas toucher à ce qu'elles peuvent avoir d'épineux. Il ne remporta de leur commerce que ce qui pouvoit contribuer à répandre dans fa maniére de penfer, d'agir, & d'écrire, cette galanterie fine & ingénieuse, qui eft comme la fleur de la politeffe.

On voit affez que dans un homme fi diftingué par tant d'autres endroits, je ne cherche ici que l'homme de lettres. Car, fi je m'engageois à parler des occafions brillantes, où fa valeur s'est fignalée, combien de fiéges, combien de batailles s'offriroient à mon efprit? Mais ici encore une fois, je n'ai, & ne dois avoir devant les yeux que le titre d'Académicien.

Jaloux de ce titre, non-feulement M. le Duc de Saint-Aignan le fouhaita dans l'Académie Françoife, mais il l'accepta dans celle des Ricovrati de Pa doüe, & dans une Académie (1) de Phyfique, qui fe forma en 1662 à Caen, fous les aufpices de M. Huet, depuis Evêque d'Avranches.

(1) Huet. Comment. lib. IV, pag. 229.

II

Il fit plus. Car fachant que dans cette même ville de Caen, la patrie du grand Malherbe, tous les ans on couronne une pièce de Poëfie à l'honneur de la Sainte Vierge, il concourut pour le prix, dans la vuë de ranimer ces fortes d'exercices, & de leur attirer un nouvel éclat, en faisant voir qu'un Seigneur de fon rang étoit frappé de la gloire qu'on y acquiert. Il fut victorieux, & certainement la faveur y eut d'autant moins de part, que les Juges le foupçonnoient moins d'être au nombre des concurrens. Tous les Poëtes de Normandie applaudirent à fon triomphe, ceux mêmes qui avoient été les rivaux fans le favoir: au nom du vainqueur, la jaloufie ne trouva point à entrer dans l'ame des vaincus : & il y eut un volume (2) de piéces publiées à fa loüange, tant en latin qu'en françois.

Il eût prétendu avec un égal fuccès

à

(2) Voyez le Recueil des Poëfies qui ont été couronnées fur le Puy de l'Immaculée Conception de la Vierge, tenu à Caen dans les grandes écoles de l'Univerfité. 1667.

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s'il eût

à une autre forte de couronne,
vêcu du temps que la Gréce attachoit
tant d'honneur à ces Jeux célébres, où
des Rois même alloient faire preuve
d'adreffe & de force. Ces deux quali-
tez, dont les Anciens croyoient l'usa-
ge fi utile à leurs héros,le faifoient infi-
niment paroître dans les Ballets de la
Cour. Premier Gentilhomme de la
Chambre, à peine avoit-il reçu les or-
dres immédiats du Roi, que dans un
moment il concevoit l'idée (3) d'un
fpectacle magnifique, il en traçoit le
plan, il compofoit une partie des ré-
cits; & quand fa Majefté diftribuoit les
perfonnages, elle lui permettoit de
choifir toujours le plus difficile.

Pour l'ordinaire, le fujet de ces fêtes galantes étoit tiré de nos vieux Romans, dont il favoit imiter jufqu'au ftyle: comme nous le voyons par quelques-unes de fes lettres imprimées avec celles de Voiture, & qui feroient grand honneur à Voiture lui-même.

Quant

(3) Voyez les Plaisirs de l'ifle enchantée dans Moliére, les Ballets, les Carroufels, &c..

Quant à fes (4) Poëfies, le peu qu'il en a laiffé fortir de fon cabinet, montre qu'il poffédoit les regles de l'art comme ceux qui en font leur principal objet; mais que par une fineffe de l'art même, il y répandoit de ces négligences méditées, qui donnent lieu de croire qu'on n'en a fait que fon amufe

ment.

Il procura en 1669 l'établiffement de l'Académie d'Arles, qui a cela de fingulier, qu'elle ne doit être composée que de Gentilshommes. La France joüiffoit alors d'une paix profonde, & le deffein de M. le Duc de Saint-Aignan étoit d'inspirer le goût des lettres à une Nobleffe oifive, deffein véritablement digne d'un bon Citoyen. Car enfin, quand le goût des lettres ne seroit de nulle autre utilité

pour un royaume

(4) Il y en a dans les Mercures Galans, & dans quelques autres Recueils de fon temps.

L'Abbé de Marolles, dans fon Dénombrement d'Auteurs, fait mention de Bradamante, piéce de Théatre, qu'il attribuë à M. le Duc de Saint-Aignan. Il y a en effet une Tragi-comédie fous ce titre, imprimée fans nom d'Auteur en 1637.

tres,

royaume, du moins il eft certain que c'est une paffion douce, qui écarte, ou qui modére les paffions turbulentes, & qui fert de préfervatif contre les fuites de l'oifiveté, & de la barbarie. Mais la protection que M. le Duc de Saint-Aignan accordoit aux gens de letne se bornoit pas à fon Académie d'Arles. Quels font les Poëtes de fon temps, qui n'ont pas laiffé des témoignages publics de ce qu'ils croyoient devoir, ou à fes lumiéres ou à fes bienfaits? Jamais le mérite ne manqua de le toucher: fur-tout, le mérite peu aidé de la fortune. Au lieu de ces dépenfes folles, qui ne peuvent caufer que du regret, il aimoit celles dont un cœur généreux fe dédommage par le plaifir de les avoir faites.

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Il mourut à l'âge de quatre-vingts ans. Ce fut un deuil univerfel fur le Parnaffe. Telle eft l'heureuse destinée de l'Académie, qu'après l'avoir perdu depuis tant d'années, elle vient tout récemment de le voir renaître pour elle dans un de fes fils, qui, avec un nom qu'elle honore, lui apporte les talens qu'elle eftime.

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