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befoin d'être amufé. Car un écrivain quand ouvre-t-il fon Dictionnaire ? Quand tout à coup fa plume eft arrêtée par un doute fur la langue. Dans ce temps-là, plus on fe hâte de l'inftruire, plus on le fert utilement. Les momens alors lui font précieux. Des exemples clairs & courts lui fuffifent. Mais que par hazard il trouve des pensées brillantes, fententieufes, elles ne feront bonnes qu'à le dérouter, en lui donnant l'occafion de fe diftraire, & le loifir de fe réfroidir. Je m'en rapporte à ceux qui font dans l'habitude d'écrire.

III. Que les exemples alléguez par l'Académie, ne font que phrafes communes qui ont été faites fur le champ dans fes affemblées, & qui fe renferment prefque toutes dans les bornes de la converfation qu'on ne trouve que dans des ouvrages faits à loifir, les expreffions hardies, figurées ; & que par conséquent, renoncer à citer des phrafes d'auteurs, c'eft renoncer aux expreffions non communes, & bannir d'un Dictionnairo le plus beau de notre langue.

A cela on répond, que les phrafes figurées font l'ouvrage, non pas d'un

Dictionnaire, mais du génie. C'est au génie feul à enfanter toutes ces hardieffes, qui contribuent fi fort au mer veilleux de la Poëfie, & au fublime de l'Eloquence. Comment les mettre dans un Dictionnaire, puifque le nombre n'en fauroit être limité, & qu'elles naiffent perpétuellement fous la plume d'un écrivain, dont l'imagination eft montée à un certain degré de chaleur? Il y auroit même du danger pour un écrivain novice, à trouver ces fortes d'expreffions hors du lieu où elles ont été miles originairement. Ce feroit l'expofer à s'en fervir mal à propos; & peut-être qu'une imitation vicieuse le conduiroit à ne faire qu'un tiffu de phrafes étudiées, qui de tous les ftyles eft le plus mauvais.

Enfin , pour ne pas m'étendre davantage fur ce fujet, toutes les fois que le pour & le contre des citations a été mûrement examiné, la Compagnie s'eft toujours déterminée à les exclure de fon Dictionnaire.

J'allois oublier un autre reproche qu'on lui fait encore: c'eft d'avoir jufqu'à préfent retenu l'ancienne maniére

d'écrire, qui marque l'analogie & l'étymologie des mots; au lieu de fe conformer à la nouvelle, qui fupprime ou remplace par des accens, la plufpart des lettres inutiles pour la prononciation. Ce que j'ai donc à dire là-def fus, c'eft qu'à l'égard de l'orthographe, comme en tout ce qui concerne la langue, jamais l'Académie ne prétendit rien innover, rien affecter. Sa loi, dès fon établissement, fut de s'en tenir (4) à l'orthographe reçuë, pour ne troubler la lecture commune, & n'empêcher pas que les livres déjà imprimez ne fuffent lus avec facilité. Dès-lors il fut réfolu, qu'on travailleroit pourtant à ôter toutes les fuperfluitez, qui pourroient être retranchées fans conféquence. Et c'eft aussi ce qu'elle a voulu faire infenfiblement: mais le Public eft allé plus vîte, & plus loin qu'elle. Peut-être eft-il allé trop loin, & trop vîte. Quoiqu'il en foit, elle dit très-bien, que comme il ne faut point (5) fe preffer de rejetter l'ancienne orthographe,

pas

(4) Projet du Dictionn. rapporté dans l'Hist. de M. Pelliffon.

(5) Préface du nouveau Dictionnaire.

orthographe, on ne doit pas non plus faire de trop grands efforts pour la retenir. Ce qui fignifie que, toujours affervie à l'ufage, elle a refpecté l'ancien, tant que ç'a été celui de nos écrivains les plus célébres: mais qu'elle eft difpofée néanmoins à fubir la loi du nouveau, lorf qu'il aura entiérement pris le deffus.

J'ai déjà dit que fon Dictionnaire parut pour la premiére fois en 1694. Elle n'en commença la révifion qu'en 1700.

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y eut donc fix années d'intervalle, qui furent employées à recueillir, & à réfoudre des doutes fur la langue, dans la vuë que cela ferviroit de matériaux à une Grammaire, ouvrage qui devoit immédiatement fuivre le Dictionnaire, felon le plan du Cardinal de Richelieu.

On arrêta que pour ce travail, qui n'étoit regardé que comme un prélimi naire, la Compagnie fe partageroit; & qu'à l'un des bureaux M. l'Abbé de Choify tiendroit la plume, à l'autre M, l'Abbé Tallemant. D'abord ces deux bureaux travaillérent avec l'ardeur qu' inspirent les nouvelles entreprises. On y raffembla les trois premiers mois de quoi faire deux petits Recueils, l'ua

defquels fut imprimé en 1698, fous le titre de Remarques & décisions de l'Académie Françoife, recueillies par M. L. T. Ces trois lettres initiales veulent dire Monfieur l'Abbé Tallemant. Il eut ordre (6) de fe défigner à la tête du volume, foit parce que le ftyle étoit purement de lui, foit parce que la Compagnie ne vouloit pas, à ce que je foupçonne, prendre fur elle toutes ces décifions, qui ne venoient que d'un bureau particulier, compofé feulement de cinq ou fix Académiciens. Quant au Recueil de M. l'Abbé de Choify elle ne jugea pas propos d'en permettre l'impreffion, parce qu'il l'avoit écrit de ce ftyle gai, libre, dont il a écrit fon Voyage de Siam. Mais bien loin qu'en cela il fût à blâmer, la pluspart des lecteurs lui auroient fu gré, fi je ne me trompe, d'avoir corrigé par un peu de badinage la féchereffe des questions grammaticales.

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Au bout de trois mois, les deux bureaux fe réunirent pour travailler conjointement à des Obfervations fur les

Remarques (6) Reg. de l'Acad. 16 Janvier 1698.

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