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favorable & de meilleur pour ces perfonnes, que de vivre quelque tems avant la mort, fans avoir d'autre objet que Dieu, & fans avoir part à rien, pour rẻparer par là cette fauffe vie d'amour propre, qui fe pafle toute dans l'agitation & dans l'action? Il ne faut pas que vous difiez, Madame, que j'en parle bien à mon aise, car je fuis maintenant de ce même ordre des anéantis. Depuis la paix de l'Eglife, j'ai été un certain Saint, à qui l'on offroit fort peu de chandelles, mais il en venoit quelquefois par ci parlà; & quoique je ne me mêlaffe de rien, j'entendois pourtant parler de diverses chofes. J'avois affez de lumieres de foi, pour me contenter de cet état, & je ne m'en trouvois pas incommodé. La pro vidence divine me porte maintenant plus loin, & m'engage à une plus grande inaction par des raisons de confcience, dont je fuis pleinement perfuadé. Toute cette année même je n'ai pas manqué d'occupation; car l'affaire qu'on m'a fait m'en a donnée affez. Il a fallu répon dre à cent objections differentes, & l'on fe confole quelquefois en bien réfutant les gens, quoiqu'on n'avance rien par là. S'il s'y mêle quelque paffion, elle di vertit & empêche le chagrin. Mais maintenant, Madame, je m'en vais entrer

dans un entier néant; je ne réfuterai perfonne, je continuerai à ne me mêler de rien, je n'aurai commerce qu'avec les morts, qui ne font pas toujours les plus divertiffans du monde, & ce qui eft de plus fingulier, eft qu'au lieu que le néant des autres eft au moins accompagné de fureté, & de quelque efpece d'honneur, le mien n'aura aucune de ces qualités. Le monde n'eft pas perfua

que je ne falle rien, & que je fois réfolu de ne rien faire, & par je ne fai quels principes on ne trouve pas bon de len perfuader. On a travaillé de plus de fort bonne foi, pour empêcher que je ne puiffe être en repos avec honneur, & jamais on ne s'eft acquité avec plus de foin d'aucune œuvre, que de celle là. Cependant, Madame, fi j'avois au tant de foi que je devrois, ce néant ne m'en devroit être que plus précieux, avec ces deux conditions que la providence y a attachées ; puifqu'elles pour

roient fervir à faire mourir en moi tout ce qui n'y devroit pas être. Ce doit être le fujet de mes prieres, & je vous deman de les votres pour la même fin

LETTRE XXV,

Il montre pour fon exemple, combien il eft utile de s'accoutumer aux privations des commodités des agrémens de la vie.

A LA MESME.

PUifque tout le monde me lapide, &

qu'on ne vous diftingue point en cela des autres, il feroit peut-être bon, Madame, de favoir de quelle groffeur font les pierres que vous me jettez, afın de juger par là, s'il y a fureté à vousaborder par une lettre, & fi cela ne m'attireroit point quelque pierre capa ble de m'écrafer tout d'un conp. Car vous favez que je ne m'expofe pas vo lontiers aux coups, & que je ne fis jamais profeffion d'intrepidité. Néanmoins comme jufqu'ici vous ne m'avez pas don né lieu de vous croire des plus mauvai fes, j'ai pensé que je pourrois prendre le hazard d'effuyer quelques-uns de vos coups en vous écrivant, & afin que vous ne craigniez rien de ma part, je vous déclare que quoique j'aye de mon côté un tel amas de pierres autour de moi, qu'il femble qu'il y en ait de quoi repouffer tout le genre humain, je ne daignerois pas néanmoins en jetter à

perfonne, non pas même à ceux qui viennent m'en accabler dans mon de

fert, parceque les gens me paroiflent avoir la tête à l'épreuve de mes pierres qui ne font que des raifons, en cela differentes de celles qu'on me jette, qui reffemblent fort à des injures.

Je laiffe donc là tous les differents, pour ne vous parler que du fujet particulier de cette Lettre. Ceft, Madame, que j'ai reçû ici un billet de cette bonne De moifelle, pour qui vous avez tant travaillé, où elle fe loue extraordinairement de vous & de la bonté que vous avez de la fouffrir quelquefois ; & comme je me fuis imaginé que c'étoit par votre canal que je l'ai reçu & que peut être auroit-il eté accompagné de quelqu'undes vôtres fans ma profcription, j'ai cru devoir pren dre la même voie pour lui répondre & me fervir de cette occafion pour vous louer de cette bonté & pour vous en reprefenter les avantages. Outre que c'est une charité, Madame, de foutenir ainfi celles qui ont reçu une auffi grande fecouffe qne celle que cette Demoiselle a reçue, & que toute charité trouve fa recompenfe enelle même, vous ne fauriez croire combien on gagne à s'accoutumer ainfi à fouffrir ces petites vifites. L'ame s'abaiffe infenfiblement en con

verfant avec les petits, comme elle fe hauffe en traitant avec les grans, & ainsi elle devient plus humble avec les uns, comme elle nourrit fon orgueil avec les autres. On ne fauroit croire combien il eft utile aux gens comme vous, de n'être pas toujours occupés de ces grans noms & de ces grandes idées, & de le paffer des conversations fines & délicates. Car par ce moyen on fe rend capable de fubfifter fans abattement en des lieux où l'on en eft privé néceffairement, & où l'on n'a pas d'autres entretiens que ceux que Vous pouvez avoir avec cette Demoifelle. Il eft bon, Madame, d'accoutu mer le corps aux viandes communes, & qu'on trouve par-tour, pour n'être pas miferable, quand on n'a pas ce qu'on fe feroit rendu neceffaire. Il eft bon auffi d'accoutumer fon efprit aux efprits communs & de pouvoir fe pafler de M. de T: de M. du B. & de M. de la C. & enfin de fe défaire de l'idée de la nécefficé de toutes ces choses. Je ne faurois m'empê cher de vous faire faire fur cela réflexion touchant ce qui m'eft arrivé cette année en l'efpace de fix mois. J'avois trois pe -tits établissemens, l'un à Paris, l'autre à faint Denis, l'autre à Beauvais, & j'étois meublé dans tous ces trois lieux,très petitement à la verité ; mais tout eft grand

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