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Il faut que vous tâchiez de vous met tre dans la tête l'ordre du Latin, ou plu tôt le defordre, c'est-à-dire, la difference de l'arrangement des mots Latins d'avec l'arrangement des mots François, Nous fuivons l'ordre naturel, mais pour les Latins ils ne s'attachent à aucun or dre.

Si je veux dire, par exemple, en Francois Le Roi a fait la paix avec le Pape, il faut que je le dife en cet ordre-là. Mais en La tin on pourra dire: Avec le Pape le Roi a fait la paix: ou, a fait la paix le Roi avec le Pape:ou, la paix avec le Pape le Roi a fait, ou, la paix a fait avec le Pape le Roi: de forte qu'il faut que l'efprit s'accoutume à former la même penfée, & à concevoir le même fens dans ces differens arrange

mens

Pour s'accoutumerà ce defordre,quand vous aurez une fois bien entendu trois ou quatre pages du Latin de l'Evangile, il faut les relire fouvent, & vous accontu mer à fuivre le fens par la penfée. Il eft vrai que le Latin de l'Evangile eft prefque dans l'ordre naturel, parcequ'il eft fimple, mais il vous en fera d'autant plus facile au

Commencement.

Ne prétendez pas quand vous aurez une traduction, que vous deviez trouver mor amor dans le Latin tous les mots Fran

cois. Mais faites-vous fouvent cette quel tion. Pourquoi ces mots Latins-là fignifient-ils ces mots François, & vous trouverez alors qu'on traduit quelque fois à peu près, & que l'on fe détache રે des mots pour faire mieux comprendre le fens. Mais ceux qui commen cent doivent d'abord tâcher de comprendre le fens précis & litteral de tous les mots, & lorfqu'ils l'ont bien compris, ils conçoivent facilement pourquoi ce fens litteral a été exprimé par les termes dont on s'eft fervi.

Diftinguez entre les nots Latins ceux qui fe devinent par quelques mots François qui en viennent, de ceux qui font entierement éloignés du François, & pour mieux retenir ces derniers, prenez la peine de les écrire, & de relire ce que vous aurez écrit.

Il faut pour faire tout cela avoir un Dictionnaire, & s'accoutumer à y ches cher.

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LETTRE XXXIV.

Du bonheur de ceux qui font entierement detachés du monde.

A LA MES ME.

"Eft ici le tems, Mademoiselle, de faire au moins des fouhaits pour les perfonnes que l'on aime & à qui on fe croit obligé; & il eft bien jufte d'en faire pour vous, puifque l'on ne peut reconnoître qu'en cette maniere les obliga tions que l'on vous a. Je fuis feulement en peine quel fera celui que je ferai pour vous, puifque je ne veux pas feulement vons fouhaiter la fin de tous les defirs des -Chrétiens qui eft le fouverain bonheur, mais auffi quelque moyen particulier qui Vous y conduife. Je fai bien que qui vous confulteroit fur ce point, il n'y auroit pas beaucoup à déliberer, & que vous choifiriez d'abord celui que David faifoit par Pf.16.4. ces paroles. Unam petii à Domino hanc requiram, ut in habitem in domo Domini omnibus diebus vita mea. J'ai demandé at Seigneur une feule chofe, je la rechercherai uniquement; c'eft d'habiter dans la maifon du Seigneur tous les jours de ma vie, Ce ne fera pas néanmoins celui que je

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ferai pour vous, parceque quoiqu'il dépende de Dieu, il femble néanmoins par les évenemens exterieurs qu'il ne vous donne pas lieu d'efperer fitôt ce bien, & qu'il veut que vous l'achetiez encore par vos exercices de charité, Je veux, Mademoifelle, vous fouhaiter quelque chofe de plus préfent qui vous difpofe à celui-là, quiy fupplée,& qui n'ait pas befoin d'un fi grand changement de la face présente des chofes; Et il me vient fur cela une idéee affez extraordinaire qui fe terminera à quelque chofe de fort ordinaire.

Je lis prefentement à certaines heures les lettres d'une fainte de ces derniers temps* dont on m'a fait préfent, qui pour n'être pas écrites ni en Grec ni en Latin, ne laiffent pas de contenir de fort belles chofes, & affez divertiffantes. Or un des fouhaits qu'elle fait quelquefois pour cer tains Miffionnaires avec qui elle avoit beaucoup de commerce,eft qu'ils ayent la tête fendue par un coup de hache, ce qui leur arrivoit quelquefois. Je ne fai fi ces bons Miffionnaires confentoient de bon cœur à ce fouhait, mais celle qui le faifoit ne fouhaitoit rien pour eux qu'elle ne fouhaitât pour elle-même,

Eft-ce donc-là, me direz-vous, votre

* La Mere Marie de l'Incarnation premiere Su. perieure des Urfulines de Quebec en Canada. Tome VII.

I

fouhait pour moi? Non, Mademoiselle, tant d'honneur ne vous eft pas dû, & puis je ne vois perfonne difpofé à vous fendre la tête. Je ne vous fouhaite donc point un coup de hache qui vous ôte du monde, mais je vous fouhaite le glaive du Saint Esprit, & une hache spirituelle qui yous fasse retrancher en vous tout ce qui tient encore du monde, tout ce qui vous y attache, tout ce qui vous en plaît. Car on y tient, Mademoiselle, en bien des manieres, fans qu'on y pense. Et quand on n'y tient point du tout, en eft Religieufe en tout lieu & en tout ha bit. Tout cela eft aifé, direz-vous, à fouhaiter & à dire, mais difficile à executer. Je ne vous le propofe pas auffi comme chofe facile, & je vous avoue au contraire qu'elle eft fi difficile, qu'il n'y a que cela qui le foit effectivement. Tout eft facile dans le monde à qui n'aime point le monde. Cependant il ne faut pas laiffer de tendre-là, & la voye pour y parvenir eft de se priver du monde autant que l'on peut. Or pour s'en priver, il eft utile ce me femble d'être vivement perfuadé que la jouiffance du monde n'eft rien,mais què la privation du monde eft quelque chofe de grand. Que l'une eft baffe, fade, paf fagere, & ne produit que des amertumes & des dégoûts; & que l'autre eft une

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