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fource de biens folides & éternels. Ainfi le monde n'est bon qu'à quitter & à détruire, & non pas à aimer ny à en jouir. C'est faute de cette philofophie que notre bonne mere Eve fe perdit. Elle vit, dit l'Ecri- Gen. s. ture, que l'arbre de fcience du bien & du mal 6. étoit bon à manger. Mais elle devoit voir qu'il étoit infiniment meilleur à ne manger point. Et l'on en peut dire de même de toutes les fatisfactions que le monde peut offrir, ou que l'on y peut defirer. Si la cupidité dicte qu'il eft bon d'en jouir, la verité nous répond qu'il eft infiniment meilleur de n'en jouir point, & qu'il y a aurant de difference entre l'un & l'autre qu'entre le tems & l'éternité.Cela n'est pas feulement vrai pour l'autre vie, mais auffi pour celle-ci. Car quelle liberté ne feroitce pas que celle d'un homme qui mettroit fa joye dans la privation des cho'es du monde,puisque ses ennemis ne pourroient que contribuer à fon bonheur? Chacun ne peut pas jouir du monde, mais il n'y a perfonne qui ne s'en puiffe priver. On ne peut pas toujours fe procurer des compagnies & des divertiffemens, mais on peut toujours y renoncer. Enfin on ne peut pas toujours fuivre fes inclinations, fes defirs, & fes volontés; mais l'on peut toujours renoncer & mourir à ses inclinations & à fes defirs. Et le monde

eft prefque toujours aflez difpofé à nous y aider.

LETTRE XXXV.

Qu'il nous eft avantageux de rencontrer des perfonnes eftimables pour qui nous n'avons point d'inclination.

J

A LA MESME

E ne trouve point du tour mauvais, Mademoiselle, que vous me propofiez des doutes femblables à celui que vous avez eu fur Mademoiselle A...... ce que je vous ai fait voir n'avoir point de fondement. Le mal eft, non de propofer ces doutes à ceux qui nous en peuvent éclaircir, mais de les dire à ceux qui n'étant pas capables de nous en éclaircir, font capables d'en prendre de fâcheuses impreffions ; & c'eft ce que je fuis affure que vous ne faites pas. Si vous connoif fiez davantage cette Demoiselle,vous l'aimeriez fans doute davantage d'un amour fenfible, parcequ'elle a bien des chofes capables de l'attirer; inais je fuis fort content de celui que vous avez pour elle, qui confifte à aimer ce qu'elle aime. Les gens qui ont le cœur uni en cette maniere font beaucoup plus unis que ceux qui ont des paffions ardentes

les uns pour les autres. Ayez feulement pour elle la charité génerale, & contihuez d'aimer comme elle la verité & la juftice, & vous l'aimerez fuffifamment.

Nous devrions, ce me femble, être ravis de rencontrer ainfi des perfonnes vraiment estimables pour lefquelles nous n'ayons point d'inclination, & cela pour deux raifons.

La premiere eft, que la plupart de nos affections & de nos amours nous doi vent être extremement fufpects, & ne font fouvent que des affections de Publicains: Noune & Publicani hoc faciunt ra th ? Souvent ce n'eft point ce qu'elles font à 5.46. l'égard de Dieu que nous aimons en elles; c'eft ce qu'elles font à notre égard. Toute leur vertu difparoît, & nous y devenons infenfibles, lorfque nous n'appercevons pas en elles des mouvemens de tendreffe pour nous. Cependant il n'y aura point d'autre affection qui nous foit comptée en l'autre monde que celle de Jefus-Chrift dans les ames ; c'eft-à-dire, que lorfque nous y aimons, & que nous aimons pour lui ce qu'il y aime. Ainfi quand il fe rencontre quelque perfonne d'ailleurs eftimable, dont l'efprit ne nous femble pas bien tourné à notre égard, cette perfonne nous doit être précieufe, parcequ' en l'aimant nous pouvons mieux arriver

à cette pureté d'amour qui confifte à n'aimer que Jefus-Chrift dans les autres. Ne difons donc jamais, pour nous exem ter d'aimer une perfonne, qu'elle ne nous aime pas, & qu'elle ne nous rend pas ce qu'elle nous doit. Car ce font aucontraire des raifons de l'en aimer davange, & de cultiver davantage fon affec tion. Et nous verrons peut-être dans l'autre monde qu'il reftera plus d'or de ces fortes d'affections que de celles qui paroiffent plus ardentes, plus agréables, plus vives,mais qui fouvent font bien mêlées de la paille & du bois de l'amour-propre qui fe confume néceffairement dans l'ame par le feu du Purgatoire.

La deuxième raifon vous eft en quel que forte particuliere. Toute la vie que vous menez doit être une préparation à ce que vous fouhaitez. Or la peine des Religions n'eft pas de fe lever matin, d'al ler à Matines, &c. c'eft la contrarieté des humeurs. On en trouve de mauvaises, & on s'en imagine d'autres qui ne font tel les que dans notre imagination: Voilà l'exercice par lequel on doit fe purifier dans les Religions. Il faut fouffrir des alltres & de foi-même, & agir avec toutes ces perfonnes d'une maniere charitable, nonobftant toutes leurs humeurs effecti ves ou imaginaires. N'eft-ce donc pas

une chose favorable, quand par quelque rencontre de la providence il arrive que quelqu'un nous mette à cet apprentif fage, & ne doit-on pas s'efforcer d'épronver en lui ce que nous avons deflein de pratiquer toute notre vie à l'égard d'autres? Car je puis vous affurer que vous trouveriez des perfonnes plus imparfaites que la Demoiselle qui vous choque.

Puifque vous le favez, il n'eft plus queftion de vous cacher qu'elle eft veme ici & qu'elle y a fait une neuvaine. Or je vous puis dire qu'elle a rempli d'édification toute la maifon où elle a logé, quoiqu'elle n'y ait point été connue, & que ce qu'ils en ont dit eft qu'ils n'ont jamais vû une personne fi fage, fi commode, & un efprit moins gêné; tout cela ne l'exemte pas de défauts, & elle pent ne s'être pas bien conduite à votre égard. Car il y a bien de la difference entre agir civilement avec les perfonnes qui nous applaudiffent, & furmonter un certain embarras d'efprit qui vient de l'imagination qu'on n'eft pas bien avec la perfonne à qui l'on parle: ce qui ne laiffe pas d'être une imperfection.

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