Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[merged small][ocr errors]

Que l'impuiffance eft un grand talent.

A LA MES MÉ

E vous écris, Mademoiselle, dans une efpece de convalefcence qui n'a pas été précédée d'une grande maladie. Deux jours de fiévre pour un autre ne font rien, mais pour moi cela fuffit pour être réduit à une très grande foibleffe. Il femble pourtant que je fuis quitte de la fiévre, mais non pas de la courte-haleine ou afthme qui me dure depuis quatre mois. Ceft un mal où je retombe de tems en tems, & qui m'emportera que!que jour felon l'apparence. Pourvu qu'il me dure encore autant qu'il m'a duré, cela n'ira pas mal; car il y a quarante ans que j'en fus attaqué la premiere fois, & les premieres cinq années il fut continuel, & l'on crut chaque année que j'en mourrois. Il a été moins violent depus; mais il eft un peu bien long cette année. Peut-être que les chaleurs m'en tireront. Vous voyez que c'eft un mal d'affez borne compofition, puifqu'il. laifle vivre les gens fi long-tems. Mais il eft encore bien meilleur pour l'ame que pour le corps. I!

m'a réduit à une espece de filence néceffaire, en me rendant presque incapable de tous les emplois du monde, parcequ'il n'y en a gueres où il ne faille avoir de la voix & de la force de corps. Or c'eft un grand talent qu'une impuiflance bien averée. Combien penfez-vous qu'il faille de déliberations à M. le Tourneux pour favoir quel ufage il doit faire du talent qu'il a de prêcher. Il se peut tromper en s'y portant: il fe peut tromper en s'en retirant. Je n'ai jamais, Dien merci, été en peine.de tout cela, parceque j'ai fu certainement que Dieu ne vouloit pas que je fufle d'aucun emploi qui eût befoin d'avoir des poulmons: & je vous affure que ce n'eft pas un petit foulagement. Je me laiffe aller à vous parler de cette matiere, parcequ'il me femble qu'elle n'eft pas inutile. Le monde ne fait état que des talens d'action, & l'objet de fon horreur, c'est de n'être bon à rien. Cependant c'est un jugement plein de faufleté, & qui n'a fa fource que dans la vanité naturelle à l'homme: & fi nous nous en étions bien défaits, nous trouverions bien plus de bonheur dans la privation des talens que j'appelle des talens d'impuiffance, que dans toutes les grandes qualités. Le bonheur des Religions eft pour celles celles qui n'ont point de talent exterieur que l'on

connoît pour n'en point avoir, & qui font bien aifes de n'en point avoir. Celles qui en ont font beaucoup moins heureules quand on les connoît & qu'on les emploie, parceque l'on les tire de l'état de rabaiffement, qui eft le vrai état qui con. vient à l'homme dans cette vie. Et c'eft toujours un fujer de peine quand on ena & qu'on n'eft pas employé, qui eft plus ou moins fenfible, felon que l'ame eft plus

ou moins humiliée.

Ce n'eft pas que je croye qu'il foir permis à une perfonne qui feroit dans une Religion, de fe contrefaire, & de cacher ce que Dieu lui a donné de talent. Elle doit aller fimplement & faire le mieux qu'elle peut tout ce qui lui eft commandé, parceque ce n'eft pas à elle à difpofer d'elle-même ni de ce que Dieu lui a donné. Mais fi par une privation réelle de talent, par des accidens & des maladies, & même par des préventions, on vient à ne la juger bonne à rien, elle doit embrafler cet état comme le plus grand don de Dieu, & s'y tenir dans la joye & dans le repos tant que Dien l'y laiffera, & fouhaiter même qu'il l'y laiffe. Voilà aflez des moralités Mais il n'étoit pas jufte que je vous euffe entretenu d'une petite maladie comme la mienne, fans vous donner aumoins quelque fujet de vous la rendre utiles vous-même

LETTRE XXXVII.

Comment on doit fe conduire avec les perfon Jonnes vaines & curieuses.

A LA MESME.

Vous devez recevoir un paquet de ma part par une Demoiselle qui a paflé par ici. Et afin que vous n'y foyez pas furprise, j'ai cru vous devoir prévenir fur fon fujet. Cette Demoiselle elt diocefaine de M. l'Evêque de N. & il a allez de confideration pour fon pere qui est un Officier, & pour elle. Elle a pallé près de fix ans à Paris pendant lesquels elle a vu tout le monde, & j'ai eu l'honneur fouyent d'être fon Prédicateur ordinaire ou extraordinaire. Ce que je vous puis af furer eft que je l'ai peu épargnée; vous reconnoîtrez aisément par fon exterieur que ceft un efprit où il y a bien à refaire. Ĉar elle eft aflez vaine en habits, & l'on m'a dit que cela alloit jufqu'à l'immodeftie. Une de fes maladies eft qu'elle eft fort curieufe. Je ne puis pas dire néanmoins que j'aye reconnu en elle qu'elle manque de fecret. Mais quoiqu'il en foit, le milieu qu'il y a à garder eft de la recevoir honnêtement, de ne lui dire rien de particulier, & de ne la choquer pas auffi par

une trop grande referve en chofes communes & qui fe difent fur le Pont-neuf. Le peu de profit qu'elle a fait de tout ce qu'on lui a pu dire m'auroit prefque porté à ne la point voir quand elle paffa par ici, & qu'elle me demanda. Mais j'ai peine à prendre ces fortes de conduite. Je crains toujours d'éteindre la meche qui fume encore contre la défense de l'’Evangile, & il me femble qu'il n'eft pas mauvais de laiffer certaines portes par où les gens puiffent revenir. Ne vous imaginez pas néanmoins qu'il y ait aucun déreglement de ceux que le monde condanne : ce n'eft point ce que je veux dire. Je ne l'accufe que de vivre à sa fantaisie, & d'être emportée dans les paffions, & je ne vous dirois pas tout cela d'elle, n'étoit que quiconque la connoît vous le dira auffi bien que moi, & qu'il eft important de connoître les gens avec qui Pon a à traiter. Elle a d'ailleurs de l'hor nêteté & de l'efprit.

« AnteriorContinuar »