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LETTRE XXXVIII,

Des Amis. Qu'il faut s'accommoder à leurs differens caracteres, & ne rien exiger d'eux de ce qui dépend de leur bonne vo lonté.

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Ai quelque fcrupule, Mademoiselle, de vous avoir témoigné que j'étois peu fatisfait du peu de ponctualité de M.... Le plus fur eft de lailler agir les gens comme ils l'entendent, d'avoir de la reconnoiffance quand ils agiffent bien, & de n'en rien témoigner quand ils agiffent alltrement. On ne doit rien exiger de ce qui dépend de la bonne volonté, & à quoi on n'eft pas oblige par un devoir de juftice. Chacun a fes vues, fes principes, fes défauts, & il faut peu s'occuper de ceux d'autrui, ayant tant de matiere de s'occu per en foi-même.

Pour M.... il prend un peu trop-tôt feu. C'est un difcours en l'air que je lui ai écrit, & ma raison ne manque gueres de corriger ces fortes d'imaginations. Il est vrai que les frayeurs de certaines gens m'en donnent quelquefois d'affez plaifantes. Mais cela ne va pas plus loin, & j'évite beaucoup de faire des plaintes des effets

que j'éprouve de ces frayeurs. Il en eft de; amis comme des habits. Il y en a qui ne font bons que pour l'été, d'autre pour l'hyver, d'autres pour le printems & pour l'autonne. Mais comme on ne jette pas fes habits d'été dès lors que leur faifon eft paffée, & qu'on les réferve pour une autre année, il faut de même épargner fes amis, quoiqu'ils ne foient pas bons en certain tems, & les réserver pour ceux où ils peuvent être d'usage, Il y en a qui ne font bons que pour le mois de Juillet, c'eft-à-dire, lorfqu'il n'y a point de froid à craindre, & le nombre en eft aflez grand.

LETTRE XXXIX.

De l'adreffe de l'amour-propre pour nous cacher nos défams, des pénitences qu'il impofe.

Q

A LA MES ME.

Uelque recherche que j'aye faite, Mademoiselle, de cette premiere feuille; je n'en ai pu encore découvrir aucun veftige: ce qui me fait croire que yous pourriez bien l'avoir employée ailleurs. Mais la conclufion que vous en tirez, que vous en aurez donc pour vos deux écus, me femble mériter quelque réflexion,

C'eft une condannation que vous prononcez contre yous-même, & j'ai bien peur que ce ne foit pas ni la juftice > ni la charité qui la prononce, mais un certain Juge & un certain Superieur que nous avons en nous-mêmes, qui fe mêle quelquefois de juger de nos actions & de nous imposer des peines felon fes caprices.

Ce Superieur bizare & déraisonnable, afin que vous l'entendiez, Mademoiselle, s'appelle l'amour-propre. Comme il veut être infaillible en toutes chofes, il ordonne quelquefois des pénitences difproportionnées & fans raifon pour empêcher qu'on n'apperçoive quelque défaut en lui. En vit-on jamais, par exemple, une plus déraisonnable que celle qu'il prétend vous imposer: Une Demoiselle fe charge par charité & par bonté de vendre un exemplaire d'un bon Livre, il arrive que par mégarde elle en égare ou en perd une premiere feuille ; il faudroit être extravagant pour lui en favoir mauvais gré, & pour en faire la moindre plainte. Cependant ce juge capricieux prononce incontinent une Sentence contr'elle: Vous payerez le Livre entier, lui dit-il, Mademoiselle, puifque vous avez perdu cette feuille. Elle écoute la Sentence, & le réfout à l'excuter.

Or c'eft, Mademoiselle, ce que je ne crois point du tout fupportable. Il faut appeler de ces Sentences bizarres, à la raifon & à la verité, & fi vous prenez la peine de les confulter, elles vous diront que ce jugement eft tout à-fait inique. Ceux qui le font adreflés à vous pour la vente de ce Livre, n'ont point du tout fuppose qu'il ne s'en pût perdre aucune feuille; vous n'avez dû leur offrir que votre miniftere de bonne foi, & vous n'êtes nullement garante de ces accidens humains.

Mais je vois bien ce que c'eft. Il faudroit donc dire à ces perfonnes que vous avez perdu cette feuille,& ils concluront delà que par votre négligence ils ont perdu deux écus. Voilà un grand mal : j'aime mieux les perdre, dit l'amour-propre. Il le dit, Mademoiselle, mais il le dit fans raifon. Eh quoi, dira-t-il, ne m'est-il pas permis de prendre cette perte fur moi? Non, Mademoiselle, parcequ'il eft déraifonnable que vous la preniez fur vous. C'est une liberalité que je veux exercer, dit l'amour-propre: Il n'est pas tems, ne lui en déplaife, d'exercer cette liberalité. Il faut fuivre Dieu dans le choix des vertus. Or la vertu que Dieu nous prefcrit en ces rencontres n'eft pas la liberalité c'est l'aveu fimple de notre méprife,ou

bli ou négligence, s'il y en a. Voilà ce que Dieu deinande. Mais cette amande de deux écus a tout-à-fait la mine d'une pénitence d'amour-propre. Si j'étois donc en votre place, je rebuterois ce confeil, ou cette Sentence pleine d'injuftice, & je me réduirois à demander cette feuille au pays d'où ce Livre eft venu; car il eft rare que l'on n'ait pas une feuille à fuppléer parmi ce qu'on appelle les défaits, & fi elle ne fe trouve point; il faut fe résoudre à avouer fimplement ce qui eft arrivé, malgré toutes les répugnances de l'amour-propre; & lui dire même qu'il ne fe mêle plus de vous donner à l'avenir de tels avis, & que quand vous voudrez dépenfer deux écus, vous tâcherez de les mieux employer qu'à le conten

ter.

Voilà, Mademoiselle, un petit plaidoyé en forme, de vous-même contre vousmême, & je crois que fi vous le comprenez bien, il vous pourra fervir, & dans cette occafion & dans beaucoup d'autres femblables: Car j'ai bien peur que l'amour-propre ne vous impofe quantité de pénitences de ce genre-là, que vous êtes affez bonne pour executer, ou plutôt que vous n'êtes pas affez bonne pour rejetter.

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