Imágenes de páginas
PDF
EPUB

c'eft joindre une vûe de pieté à la fin directe de l'action, & qui en doit être le principe. Ainfi on ne marche pas propre : ment pour honorer Jefus Chrift, mais on marche en l'honorant.

LETTRE

XLV.

Pon

peut

Qu'il faut verifier autant que
chofes extraordinaires miraculeuses.

Q

les

dit

Uelque envie que j'aye, Madame, d'épargner vôtre tête en vous répondant, comme vous dites que vous l'avez épargnée en écrivant ; il ne fera pas néanmoins que j'aurai le dernier, ni que vous demeurerez fans replique, en matiere de difpute. Ainfi tout ce que je puis faire pour ne vous pas incommoder, eft de vous prier de differer à lire cette Lettre jufqu'à ce que vous foyez en état de le faire, fans vous fatiguer. Il n'est plus question préfentement entre nous de ce qui s'eft paflé, car je n'ai eu nul deffein d'examiner les lumieres de Monfieur de Lecfedal. Mais étant perfuadé de la verité du fait que je propofai, je voulus y ajouter une preuve capable d'en perfuader les autres, par le témoignage de celle à qui j'en parlai. Auffi depuis que j'eus reconnu qu'on ne

demeuroit pas d'accord des faits, je m'ar rêtai & laiffai tout cet examen, & je ne propofai aucune autre queftion. Mais pour venir à la Thefe génerale,s'il eft bon on non d'examiner les chofes extraordi+ naires, je conviens avec vous prefque de tout, & je ne fai pas bien ce qui reftera de different entre nous.

Premierement, vous demeurez d'accord que cet examen est toujous utile à ceux qui ont ces lumieres.

Secondement,qu'il peut être utile à ceux qui ont de l'équité, & qui ne condannent pas fur une feule erreur toutes les autres lumieres qu'un homme de bien peut avoir eûes.

Je vous accorde auffi qu'il peut être dangereux aux efprits téméraires & précis pités. Et fi vous ne voulez conclure delà autre chofe, finon qu'il faut tâcher en faifant cet examen d'éviter les inconveniens qui en peuvent naître, nous ferons encore d'accord.Mais fi vous en concluez ou qu'il y ait toujours des inconveniens dans cet examen, ou qu'il ne le faut jamais faire quand il y a quelques inconveniens à craindre; c'est-à-dire, qu'il faut toujours plutôt éviter le mal, que de procurer le bien, vos conclufions fe font un peu trop étendues.

Car la verité eft que ces inconveniens

font affez rares, & qu'on n'a pas tant de fujet de les apprehender. Si j'y fuis tombé, c'est que croyant le fait dont je m'informois certain dans le tems; il avoit la mine de l'être, & n'en ayant aucune défiance, je voulus feulement y ajoûter une certitude exterieure pour le rendre certain à l'égard des autres, & & je fis la queftion fans réferve. Mais il étoit facile, fije me fuffe défié de quelque chofe, de détruire tout ce bruit qui n'étoit pas fort prévoyable.

Suppofé néanmoins qu'il y ait tou jours quelque chofe à craindre dans cet examen, ne le faut-il jamais faire? Je dis que lorfque la chofe le mérite, & qu'il y a du bien à efperer, il le faut faire nonobftant ces prétendus inconveniens, Car on peut appliquer à cet égard la regle que faint Auguftin propofe fur un autre cas, qui eft que la prédication d'une verité foit utile aux uns, & inutile aux autres; & comme il décide nettement qu'il n'en faut pas priver ceux à qui elle eft utile, à caufe de ceux à qui elle peut nuire; on peut dire de même qu'il ne faut pas s'abftenir d'une recherche utile de la verité d'un fait, parceque d'autres en peuvent abuser. Ce qui fuppofe néanmoins quelque égalité entre le bien que l'on recherche, & le mal qui en arrive à

d'autres, car fi le bien étoit petit, & le mal fort grand, il en faudroit juger

autrement.

Quittons, s'il vous plaît, l'hypotêfe de M. de Lecfedal, qui eft plus embar raffée, & prenons un autre cas. Faut-il, par exemple, examiner fi ce qu'on dit être arrivé à la Sœur Séraphine eft vrai ou non? Je parle de cet enlevement extraordinaire devant toutes fes Sœurs. Si on le trouvoit faux ou incertain, ce la nuiroit au Monaftere; fi on le trouvoit vrai, cela ferviroit à l'Eglife. Que faut-il faire dans cette efperance & dans cette crainte? Je dis qu'il le faut examiner. Si on n'examine aucune des chofes extraor dinaires que Dieu fait en ce tems, & qu'il fait fans doute à deffein qu'elles foient utiles, elles font toutes inutiles, non feulement aux gens de bien, mais à toutes les perfonnes fenfées. Car il y a un tel mélange de vrai & de faux, par la crédulité, l'impofture, le manquement de lumiere de ceux qui les rapportent ; qu'une chofe extraordinaire que l'on pro pofe; & qui n'eft pas diftinguée de la foule des autres par quelque marque particuliere, doit felon la raifon être rejettée; c'est-à-dire, qu'on n'y doit point avoir égard, Cela fuppofé, je demande, GP'Eglife, les gens de bien, les personnes

de bon fens doivent être privées de l'utilité d'une merveille que Dieu aura operée, par cette feule confideration, qu'il fe pourra peut-être faire que ces exàmens rendant incertaines des choses qui pasfent pour merveillenfes, il y anra des étourdis qui en feront fcandalifes?

Car il ne faut point fe tromper: toutes chofes extraordinaires non examinées & non prouvées deviennent inutiles, & plus elles font grandes, plus elles fe tournent facilement en ridicules. Il faut donc avoir un foin extraordinaire de les bien établir quand on le peut; car quand on les néglige, c'en est fait. Je me fouviens fur ce fujet, qu'ayant lu dans la vie d'un certain Carme Déchauffé, nommé le Pere Dominique, qu'il fut élevé en l'air devant le Roi d'Espagne, la Reine & toute la Cour, & qu'il n'y avoit qu'à souffler fon corps pour le remuer, comme une bouteille de favon, je fis cê récit chez Madaine de Longuevifle pour la divertir. Diverses personnes de fort bon efprit, ne manquerent pas de tourner mon récit en ridicule: & leur principale raifon étoit, que ce miracle étant la chose la plus éclatante du monde, & la plus importante pour la Religion, on en auroit dreflé des actes autentiques, on en autoit fait bâtir quelque monument pour le

« AnteriorContinuar »