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forte toutes renfermées dans chacune en particulier. C'est ce qui fait que nous devrions plus nous occuper à les pénétrer,& à les goûter, qu'à en remplir fimplement notre mémoire, où elles le gâtent & fe corrompent en quelque forte, fi l'on n'a foin de les tranfporrer de la mémoire dans le cœur, qui eft leur place naturelle. C'est l'exercice que vous pratiquez naturellement par la maniere d'Oraifon, qui vous a été donnée par votre faint Fondateur, qui paroît toute fondée fur cette verité. Car par ce que vous appelez Confiderations, on va chercher les verités divines dans la mémoire; on leur ouvre la porte du cœur par les Affections, & on les y établit par les Réfolutions,lors principalement qu'on les réduit en pratique. Cette application de votre oraifon,fait voir que quoique l'on ne trouve pas cette métode dans les Livres des Peres, elle a toujours été néanmoins pratiquée dans l'Eglife.Car on y a toujours médité la Loi de Dieu, & on a toujours tâché de la faire paffer de la mémoire dans le cœur. C'eft en particu lier ce que S. Auguftin preferit fi fouvent, lorfqu'il recommande aux Chrétiens de ruminer les verités divines, pour n'être pas du nombre de ces animaux immondes, dont Dieu avoit défendu l'usage àfon peuple;& c'est à quoi il applique en

10.

Prov.21.core fouvent ce paffage du Sage: Thefan rus defiderabilis in ore Japientis; vir autem fultus glutit illum ; c'est-à-dire, dans le fens qu'il y donne, que la Loi de Dieu, eft un tréfor defirable dans l'efprit du Sage, parce qu'il la médite, & qu'il la fait paffer dans fon cœur par cette méditation; au lieu que le fou fe contente de la faire pafler des yeux,dans fa mémoire fans la méditer. Mais cela fait voir en mêmetems, qu'il n'eft pas queftion dans l'Oraifon de produire des pensées nouvelles, mais de confiderer les verités dont on eft déja inftruit. La lumiere de la verité doit venir en nous de dehors, par la lecture & par l'inftruction; & la méditation ne fait que nous y appliquer ; deforte que celles qui n'ont pas la mémoire pleine de verités divines feroient beaucoup mieux de les emprunter d'un Livre, que de fe fatiguer à chercher des pensées qui font toujours fufpectes de n'être pas fort folides, fi on les trouve de foi même,& qui flattent de plus l'amour propre, par le plaifir de l'invention. Je vois que j'entre infenfiblement dans un fujet qui me pouroit mener bien loin: Mais le fecret eft de couper court,& de finir ce Billet, fans autre façon, que de me recommander à vos prieres, le long de cette nouvelle année, & de vous affurer de la continuation de mes refpects.

LETTRE L.

Difpofitions où l'on doit être à l'égard des perfonnes d'humeur pénible.

J

A UNE RELIGIEUSE

E fuis tout à fait touché de l'état où vous êtes, mais il me femble que Vous l'empiriez en prenant la peine de le décrire fi en détail. Ne vaudroit-il pas mieux employer ce tems & cette application à vous fortifier devant Dieu contre ce que vous avez à fouffrir? Ce n'eft point des hommes que vous pouvez recevoir un foulagement réel & folide; ils n'ont que des paroles à vous donner, & vous avez befoin d'une force interieure pour foutenir ces atraques.

Que vous puis-je même dire que vous ne fachiez auffi-bien que moi? Car vous fa vez fort bien, par exemple, que lorfque nous ne pouvons changer les difpofitions de certaines perfonnes à notre égard; c'eft une marque que Dieu nous veut faire fouffrir par elles, que cette épreuve est utile, que nous en avons befoin,que Dieu veut que nous en faffions un moyen de nôtre falut, & que nous l'operions par cette voye, que nous nous devons foumettre à fes ordres & en adorer la juftice.

Vous favez fort bien que les difcours & les jugemens que l'on fait de nous ne nous peuvent nuire, pourvu que nous ne nous nuifions point nous-mêmes, en confervant de l'aigreur contre celles qui les

font.

Vous favez fort bien qu'il ne faut prétendre remedier à ces maux, en changeant l'efprit des autres, quoiqu'il le faille faire autant que l'on peut; mais que notre principal foin doit être de travailler fur nous-mêmes & d'apprendre à fouffrir ce qui ne dépend pas de nous.

Vous favez fort bien que nous ne fommes dans ce monde que pour faire pénitence, & que celle que nous faifons de nous mêmes eft très-imparfaite, fi nous n'y joignons celles qu'il plaît à Dieu de nous impofer par lui-même, & gens qui nous environnent.

par les

Vous favez fort bien que fi vous faites comparaifon des maux que vous fouffrez avec ce qu'en fouffrent d'autres, votre partage vous paroîtra fort raisonnable. Car enfin il n'y a que votre imagi nation qui fouffre, étant bleffée par ces difcours &par ces jugemens; mais il y a une infinité d'autres perfonnes qui font frappées de plaies réelles & profondes dans leurs ames & dans leurs corps, qui leur caufent des peines tout autrement fenfibles.

Enfin vous favez fort bien, qu'il ne le faut pas même abattre, quand les contradictions & les médifances nous feroient faire des fautes, & qu'il faut feulement s'en humilier, & s'en relever avec plus de force & de réfolution de résifter aux fentimens de la nature.

Vous favez tout cela fans doute, & je ne vous le dis que pour vous montrer qu'un des maux des ames eft de rechercher ailleurs avec inquiétude ce qu'elles trouveroient en elles-mêmes, fi elles avoient foin de confulter leurs lumieres, d'exciter leur foi, & d'éveiller JesusChrist qui dort en elles, parcequ'elles ne penfent pas aflez à lui.

Mais ce qui fait que l'on cherche ainsi ce que l'on a, eft que fouvent les vérités ne font que dans la mémoire, & que l'on ne les goûte pas. Ainfi on s'imagine que les hommes nous les feront mieux goûter, & cependant ce n'eft point des hommes qu'il faut attendre le goût de la verité qui nous confole dans les traverfes

que nous recevons de la part des créatures, c'eft Dieu feul qui le peut donner, & il ne le donne qu'à celles qu'il ca- Pf.30. che, comme dit David, dans le fecret de fa20. face, pour les préferver du trouble des hommes, qu'à celles qu'il garantit dans fon Tabernacle de la contradiction des langues,

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