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Une perfonne qui fait cela profite fouvent beaucoup à celles qui font préyenues contre elle, & fe profite tonjours à foi-même. Qui ne le fait pas, n'a pas droit d'éxiger des autres, qu'elles ne manquent à rien de ce qu'elles lui doivent; puifqu'elle manque elle-même à des devoirs fi eflenciels. Permettez-moi de n'étendre pas davantage cette Lettre, elle n'eft déja que trop longue, & vous fu pléerez d'autant mieux à ce qu'elle ne contient pas, que vous auriez fupléé fans peine à ce qu'elle contient.

LETTRE LI

Qu'on ne doit fe porter qu'avec beaucoup de réferve à donner des avis de conduite, furtout aux femmes, lorsqu'on n'y eft pas engagé par fon miniftere,

Ous m'avez fait plaifir, Mademoi- v. la Les felle, de me donner occafion de tre 4. yous ôter une peine qui vous fatigue inutilement l'efprit. J'ai eu d'autres raisons que celles que vous vous imaginez, de ceffer d'avoir rélation avec vous, qui font toutes indépendantes des rencontres dont vous me par1ez. Les impreffions que je puis prendre fur des chofes de cette nature, ne font pas fi fortes, ni fi durables.

Mais comme je n'ai jamais prétendu vous rendre d'autre fervice que de vous ménager les fecours que vous pouviez tirer de M. N... j'ai cru que la fin de nos entretiens ceflant, je dévois rentrer à votre égard dans mon état naturel, qui eft de ne me mêler de ces fortes de charités que pour facilirer à certaines perfonnes les moyens de s'attacher à ceux qui ont caractere pour cela. Je fuis, Mademoiselle, plus perfuadé que jamais que c'est à quoi je m'en dois tenir; que quoique l'on puisse rendre quelque fervice aux perfonnes pour les foutenir en certaines occafions, on doit toujours avoir dans l'efprit de se dégager; & que c'eft ce qui diftingue la charité des particuliers, lorfqu'ils entrent dans ces fortes de confiances, de celle des Pafteurs: que l'une doit tendre continuellement à borner ces commerces exterieurs, & à fe renfermer dans le cœur: au-lieu que la charité des Pasteurs ne doit point avoir de bornes, ni pour l'interieur, ni pour l'exterieur, & qu'ils doivent toujours être prêts d'aider les ames en toutes les manieres dont ils font capables.

Je vous avoue de plus qu'à mesure que je vais en avant, je fuis de plus en plus convaincu de l'inutilité de tous les entretiens, foit par lettres, foit de vive voix, qu'on peut avoir avec des personnes de

votre fexe, lorfque l'on n'eft pas dans un état qui donne lieu de favoir toute la fuite de leur vie & de leurs actions; ce qui doit être le fondement de tous les difcours de pieté qu'on peut avoir avec elles. La plupart ne cherchent pas effectivement à s'inftruire de quelque chofe d'utile par ces entretiens; mais à fe fortifier dans l'idée qu'elles ont d'elles-mêmes. Il eft d'ailleurs prefque impoffible de les proportionner à leur véritable état. La plupart des filles ont des impreffions vives, dont elles font pénetrées, C'est-à-dire, en un mot qu'elles font attachées à leurs fantaisies, & qu'elles font peu capables d'approuver ce qui y feroit contraire. Il faut quelquefois les contredire, quelquefois ufer de condefcendance: mais le moyen d'en juger quand on connoît peu les gens, & qu'on ne fait pas la mefure de leur force. Si je m'amufe à combattre quelqu'une de ces impreffions faites à contre-tems, je nuis à la perfonne, à qui je parle, je la rens plus coupable qu'elle n'étoit, je la trouble, je la révolte, & je me nuis à moi-même, puifque je me rens coupable du mal que je lui fais par mon. peu de condefcendance. Si je la fupporte lorfqu'on la doit pouffer, je lui nuis encore; elle s'imagine que ceux qui pourroient lui parler plus fortement, n'ont

pas raifon, qu'ils font prévenus & mal informés. Car de deux jugemens, dont l'un nous eft favorable & l'autre contraire, nous prenons toujours le favorable pour le vrai. Il faut donc laiffer agir & parler ceux qui ont plus de connoiffance, & qui peuvent ainfi mieux proportionner leurs paroles aux befoins des ames, Voilà; Mademoiselle où j'en fuis; & quand j'en fuis là, je n'en fuis que plus commode pour ceux avec qui j'ai eu pendant quel que tems un peu plus de liaison. Je ne les juge plus, je fuppofe que tout ce qu'ils font eft bien, & tout mon commerce le réduit à quelques offices exterieurs.

LETTRE LII.

De l'obligation & de l'utilité qu'ont les perJonnes Religieufes de découvrir leur interieur à leurs Superieures.

UN Payen difoit, qu'il vieilliffoit en

apprenant beaucoup de chofes ; mais il me femble, Monfieur, que je pourrois dire au-contraire, que je vieillis en defapprenant beaucoup de choses, foit par l'affoibliffement de ma memoire, à laquelle la plupart des faits échappent; foit parcequ'à mefute qu'on avance en âge, on découvre en toutes chofes beau

coup

coup plus de difficulté, qu'on n'y en concevoit autrefois, & ainfi on devient moins décifif. Il y en a qui ne craignent que le relâchement; mais je ne crains pas moins l'excès de feverité, & je fuis perfuadé que les fautes de ce dernier genre, quoique naiffant d'un meilleur principe, n'ont pas néanmoins fouvent des fuites moins dangereufes. On avorte par là certaines ames en les voulant poufler trop avant; on les rebute, on les choque, on les charge d'un fardeau, qu'elles ne font pas capables de porter. Ainfi la vraie fcience, eft de favoir fouffrir ce qu'il faut fouffrir, & de laiffer croître les ames, fans les trop preffer; en fe réfervant pour les chofes effencielles, & qui ne fouffrent point de retardement. Je ne sai si ce n'eft point un des fens qu'on pourroit donner à ce Verfet des Proverbes, que la Science d'un homme fe reconnoit par la pa- 11. tience. Doctrina viri per patientiam nof citur ; & qu'au contraire l'impatient fera prov.14. des folies Impatiens operabitur ftultitiam. '7• Qui trouvera donc ce milieu, qui pourra connoître ces bornes de la patience & du zele, qui difcernera ce qu'il faut tolerer & ce qu'il faut corriger promtement? Ce fera, Monfieur, celui que Dieu inftruira par lui-même, & à qui il fera connoître la vraie explication de fes loixt Tome VII. N

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Prov.19%

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