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LETTRE. V.

Qu'en quelque degré de vertu qu'on foit, on a toujours de continuels fujets de s'bumilier,& de veiller fur foi-même.

A UNE RELIGIEUSE.

Toutes les queftions que l'on fait, ma très-chere Sœur, aux perfonnes qui ne vous connoiflent pas à fonds, font par elles-mêmes équivoques, & ainfi ne peuvent guére attirer que des difcours géneraux, qui fervent de peu; & la raifon en eft, que des difpofitions qui s'expriment par les mêmes termes peuvent être jointes avec une grande vertu, our avec une vertu médiocre, ou être des effets & des fuites d'un grand relâchement. Les perfonnes les plus parfaites n'ont pas toujours un vif fentiment de leurs fautes, & ne font pas toujours frappées de leur grandeur d'une maniere fenfible. Ils n'ont pas toujours non plus ces fentimens tendres de reconnoissance; ils ne difcernent pas toujours en eux les effets de l'Euchariftie. Ces mê mes effets arrivent auffi aux perfonnes imparfaites, & encore plus aux perfonnes relâchées. La difference de la vie & des autres actions, eft ce qui donne lieu

de juger fi ces difpofitions font feulement des voies par lesquelles Dien couvie aux amnes qu'il aime fes propres dons, ou des tenebres que leurs imperfections attirent; il n'y a que ceux qui conduifent particulierement les amies qui les fuiffent difcerner, & encore ne le font-ils pas avec une grande certitude. Mais ce qu'il y a d'avantageux, eft qu'il ne nous eft pas fort néceflaire de connoître la caufe des privations de fentimens. Gar les parfaits, les imparfaits, & les relâchés fe doivent tous humilier; ils doivent tous veiller fur eux-mêmes, ils doivent être tous fideles à fe corriger de tout ce qu'ils reconnoillent en eux de mauvais; & agiffant de la forte, les par→ faits avancent dans la vertu, les imparfaits fe corrigent, les relâchés fe convertiffent & changent de vie. Ainfi notre application ne doit pas être à réformer ces difpofitions aufquelles nous ne pouvons rien, fi ce n'eft de nous remplir des verités qui y font contraires, & qui peuvent d'elles-mêmes nous porter à d'autres fentimens : mais elle do't être à travailler à la correction des chofes repréhen fibles que nous connoiffons en nous.C'eft le feul re mede folide que l'on y puiffe apporter. La queftion que vous me faites, comment il fe faut humilier toujours, feroit В іш

bien facile à réfoudre, s'il ne falloit que bien prouver que l'on a toujours fujet de s'humilier. Car l'on en a toujours fujet en effet, & dans les bonnes & dans les mauvaises actions ; dans les bonnes, parce qu'elles ne font pas à nous, & que fouvent nous les gâtons par la part que nous y prenons, & que nous arrêtons & diminuons prefque toujours un peu l'impreffion de la grace; dans les mauvaises, puifqu'elles nous font connoître notre mifere & notre néant. Mais ces connoiffances ne fuffifent nullement pour nous humilier toujours. Elles humilient toutau plus notre esprit & non pas notre cœur, & notre efprit même s'éleve fouvent de les connoître. Il n'y a point d'autre moyen de s'humilier en effet toujours que d'obtenir de Dieu par les prieres la grace de Thumilité, qui n'eft pas differente de celle de fon amour. Mais comme il ne veut pas que nous foyons dans cette vie dans an fentiment continuel de fa grace, puik qu'il eft fouvent interrompu par nos fautes, le fentiment d'humilité ne peut être auffi continuel dans cette vie, & il fera toujours interrompu par des actions d'amour-propre, & de propre eftime. Ceux qui commettent le moins de ces fautes font les plus parfaits, & il refte aux imparfaits qui en commettent plus fouvent

den prendre des fujets de s'humilier. Car comme l'humilité même est souvent matiere d'orgueil, l'orgueil peut être un trèsgrand fujet d'humilité, n'y ayant rien qui falle mieux connoître à l'ame fon néant, fa légereté, & enfin fa corruption. Ces difcours géneraux, ma trés-chere Sour, étant de fi peu d'utilité, je ne vois pas que vous ayez sujet de rechercher que je vous écrive, principalement ayant une fource prés de vous, qui vous peut fournir des eaux plus proportionnées à votre temperament, c'est-à-dire, à vos difpofitions particulieres.

LETTRE VI.

Sur la diverfité des fentimens entre des perfonnes de pieté. Regles pour diftinguer ceux qui font juftes, de ceux qui ne le font pas.

A. M. L'ABBE DE CHASTILLON.

UN de

N des défauts des hommes, Monfieur, eft de ne favoir pas aimer les hommes tels qu'ils font, & de fonder l'a- mour qu'on leur porte fur une fauffe efperance de trouver en eux ce qu'on ne trouve point dans les hommes,qui est une exemtion de tous défauts. De là vient qu'on fe rebute des moindres défauts

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qu'on découvre en eux, & que l'on conclut qu'ils n'ont rien d'aimable, parcequ'ils ne font pas aimables en tout.

Il y a long-tems, Monfieur, que je m'apperçois de cette illufion, & que je tâche de m'en corriger. Je n'efpere plus trouver des hommes fans défauts, & je ne m'attens plus à ea recevoir une justice exacte, quand ils fe rendent juges de ma conduite. Je n'efpere plus par mes raifons les faire changer de fentiment, & je m'accoutume enfin à me contenter de ce qu'ils me donnent.

Je vois, Monfieur, fi peu de changement dans les efprits, lorfqu'ils ont pris au hazard une certaine fituation, que je n'enefpere plus. Je ne ferai jamais fort brouillé avec certaines gens, & nous. nous accorderons fort bien ensemble; & je vous dirois prefque le contraire avec la même affurance de quelques autres, dont je ne laille pas d'honorer le mérite & la pieté Chacun ira à peu près le mê, me train & demeurera dans fes idées. Car il ne faut pas croire, Monfieur, que la pieté rende toujours les gens plus fléxibles. Il en arrive quelquefois tout-aucontraire, quand ils ont l'efprit un peu dominé par leur imagination. L'exemtion d'interêts qu'ils fentent en eux, leur ôte la défiance, leur pieté les rend plus fenfi

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