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Peut-être ferez vous bien aile avec cela que je vous dife quelque chofe de mes nouvelles, & ce que je vous en puis dire, eft qu'il ne tient qu'à moi d'être fort heureux, car le vrai bonheur de la vie eft d'avoir peu d'affaires, mener une vie morte & anéantie, de penser à foi & à fon falut. Or toutes choses me portent à cette forte de vie. Je ne pourrois me remuer tant foit peu fans faire du bruit, il faut donc ne fe point remuer, ne fe mêler de rien, & c'est là le plus grand bien de la vie. De forte que fr l'on étoit fage, le monde ne pourroit que contribuer à notre bonheur en nous privant d'occupations & d'emplois. Et nous profiterions même des préventions de nos amis, parceque ces préventions nous déchargent de quantité d'affaires embarraflantes, en les empêchant de s'adreffer à nous.

Je ne vous dis pas que je fente toujours ce bonheur, mais je vous puis dire que je le connois, & qu'au moins cette vie anéantie ne me chagrine pas, y vivant Dieu merci affez gai, après que certains orages comme celui de ce differend que je vous ai marqué font paffés. Ce feroit une grande grace de regarder les cho

fes lorfqu'elles font nouvelles & préfentes de la même forte dont on les regarde enfuite. Il s'en faut bien que je n'en fois là. Je fuis ému & occupé de quantité de chofes qui me paroiffent des néants, lorfqu'elles fe font un peu éloignées de moi. J'étois fort choqué, par exemple de cette déraifon que je trouvois dans des perfonnes que j'honorois, & maintenant cela ne me paroît plus rien. Priez bien Dieu, s'il vous plaît, pour moi, c'eft toujours la principale fin des lettres que je vous écris & c'eft à quoi tend l'ouverture avec laquelle je vous parle.

2. Cor. 9.

35.

LETTRE LVI

Comment la reconnoiffance s'accorde avec L'idée que la Religion nous donne des œuvres de charité, qui font plus utiles. à ceux qui les font qu'à ceux qui les reçoivent. Qu'une mere chrétienne eft Inftrument de la fantification de fai famille.

A MADAME DE LA HOUSSAYE

I'Idée que la Religion Chrétienne

nous donne, Madame, des moindres œuvres de charité, eft fi grande & fi élevée, qu'on a quelque peine à l'allier d'abord avec les fentimens ordinaires de reconnoillance qu'on a accoutumé de témoigner à ceux qui les pratiquent envers nous: car si eft vrai, comme s'il l'eft fans doute, que les plus petits offices de charité font des œuvres éternelles à qui Dieu prépare une recompenfe éternelle; que ce font non feulement des dens que Jefus Chrift fait aux ames qu'il aime; mais des dons que faint Paul appelle ineffables: enfin, fi tons ceux qui les pratiqueat reçoivent beaucoup plus de Dieu qu'ils ne donnent aux autres, ne femble-il pas, Madame, que ces pensées por

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rent davantage à congratuler ceux dont on a reçu quelque fervice, de la grace que Dieu leur a faite, qu'à les remercier avec foin de ce qu'ils ont fait pour nous. Il n'en eft pas néanmoins ainfi, Madame, & bien loin que l'idée que nous devons avoir de ces œuvres de charité éteigne la reconnoiffance dans ceux qui les recoivent, qu'elle en eft au contraire le fondement. Car fi ces offices font des dons que Dieu fait à ceux qui les prati quent, ce font auffi des dons qu'il fait à ceux qui les reçoivent. Ils ont à l'égard des uns & des autres leur fource dans la charité infinie de Dieu, & quelques bor nés qu'ils foient en eux-mêmes, ils font infinis dans cette fource divine, & nous obligent ainfi à une reconnoiffance que l'on ne fauroit porter trop loin. Or cette reconnoiffance, Madanie, ne regarde pas feulement Dieu qui eft toujours la premiere caufe de tout le bien que nous pouvons recevoir des hommes; elle regarde auffi les perfonnes qu'il en rend les inftrumens,& elle les regarde même tellement, que nous devons être perfuadés qu'il n'eft pas poffible de s'en acquitter envers eux autant qu'on le doit. Car comme la charité que nous devons aux hommes, eft une espece de dette dont on ne s'acquitte jamais plei

nement, parceque Dieu à qui nous det vons beaucoup plus que nous ne lui pouvons rendre, a fubftitué le prochain en fa place pour recevoir de nous ce que nous devons à Dieu : On peut dire de même, qu'on ne farisfait jamais pleinement à la reconnoiflance que l'on doit à ceux que Dieu rend les inftrumens de fa charité pour nous; parceque Dieu les fubftitue en fa place pour recevoir les témoignages de notre reconnoiffance, qui n'égale jamais fes bienfaits. Vous voyez, Madame, que ce n'eft point ni par compliment, ni par exageration, mais par un fentiment effectif & veritable, que j'ofe vous dire que je ne faurois affez reconnoître le dernier office de que vous avez eu la bonté de pratiquer à mon égard. Votre generofité, Madame, vous en peut donner telle idée qu'il vous plaira, mais pour moi je ne l'eftime que ce que je dois, en le concevant & en en parlant de la maniere que j'ai fait dans cette lettre. Je fai qu'on ne fauroit toujours fuivre ces fortes d'idées dans toute leur étendue, mais c'est toujours quelque chofe que d'être convaincu qu'elles font juftes, & de fe reprocher plutôt qu'on n'eft pas affez reconnoillant, que de croire qu'on puiffe porter ces fentimens trop loin. C'eft la dif

charité

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