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Mais il y a quelque chofe de plus pur & qui témoigne une amitié plus ferme & plus folide, quand on agit avec eux avec la même bonté, quoique l'on foit prévenu fur leur fujet. L'extrême moderation de Saint Jofeph dans le plus fenfible foupçon qu'un homme puifle avoir, n'auroit point paru, fi Dieu ne l'eût laiflé quelque tems dans l'ignorance de ce qu'il avoit operé dans la Sainte Vierge, & l'on peut dire que fa prévention fur ce point eft ce qui a relevé la vertu.

Comme il y a des loix de Dieu qui reglent les témoignages d'amitié qu'on doit rendre aux amis,lorfqu'on eft dans une parfaite union de fentiment avec eux, il yen a auffi qui reglent la conduite qu'on doit tenir envers eux dans les diverfités inévitables de fentimens qui arrivent dans la vie par la difference des manieres dont on envisage les mêmes chofes, & les divers degrés de connoiffance que l'on a.Et celles-là, Madame, font les plus difficiles à obferver, & demandent plus de vertuque les autres.

C'est par la pratique de ces regles qu'on empêche que les divifions ne paffent de l'efprit au cœur, qu'on les refferre & les diminue autant que l'on peut, qu’on tâche d'affermir ce qui paroît ébranlé, qu'on évite de témoigner qu'on foit

tellement fixe & arrêté à ses sentimens, qu'on ote toute elperance d'en pouvoir jamais changer, qu'on n'ajoute aucune dureté à la diverfité des opinions, qui eft affez fàcheuse par elle mème, qu'on ne Fétend pas au-de-là des points dans lef quels elle eft renfermée, qu'on ne témoigne pas avoir l'efprit & le cœur ouvert à tous les bruits calomnieux qui se manquent guére de se répandre en de femblables occafions: Et enfin, c'eft ce qui nous fait agir avec eux dans les choles indépendantes de cette diverfité, avec la même bonté que fi nous avions en tout les mêmes lumieres, & cela par un véritable fentiment de notre propre infirmité, & dans la jufte crainte que nous devons tous avoir de nous tromper en ce qui nous paroît le plus évident.

Voilà, Madame, l'idée que je vous at tribue, & vous devez juger par là qu'elle n'a fait que me faire recevoir avec plus de gratitude l'offre que vous avez bien voulu me faire,& me faire eftimer davantage le cœur dont elle partoit. Celtpourquoi vous ne devez pas apprehender que je falle jamais de grans efforts pour vous en délivrer. Mes Lettres ne vous en diront plus rien, & ce fera beaucoup fi je vous en dis quelque chose de vive voix, fija jamais l'honneur de vous voir:

LETTRE VIII.

Que les préventions que des amis conçoivent contre nous ne coivent point diminuer notre affection pour eux,& qu'elles peuvent nous être très-utiles.

JE

A UNE ABBESSL

E ne me fuis point donné, M. R. Mere, l'honneur de vous écrire depuis deux ans, parce qu'après toutes les traverfes que j'ai eues, il me fembloit inutile de le faire, fans vous éclaircir de bien des chofes; & je ne voyois pas de moyen de le faire avec fruit, tant il y avoit de choses à dire. Je ferois encore dans le même embarras, s'il ne m'étoit venu dans l'efprit, qu'en laiffant à part, & en abandonnant à Dieu ces pentées ou prévues, ou imaginées, pour y remedier comme il lui plaira, je pouvois en vous écrivant me renfermer dans certains devoirs qui en font indépendans. Celui de témoigner fon affection à ceux pour qui on ena, eft proprement de ce genre. Car fi elle eft telle qu'elle doit être, elle n'eft nullement attachée à tous ces jugemens qu'on peut s'imaginer que les autres font de nous, Ceux qui en favent le prix, la regardent

comme un bien précieux qui leur est trop important pour le faire dépendre d'une chofe auffi peu folide que ces impreffions qu'on peut prendre d'eux. Il est vrai que l'on doit avoir quelque foin de ménager l'eftime & l'affection que nos amis ont pour nous, mais c'eft plus pour leur interêt que pour le nôtre. Et quand Dieu nous en ôte les moyens, cette privation doit nous faire peu de peine par rapport à nous. Je dois donc être perfuadé, Ma R. Mere, que mon véritable bien ne confifte point dans les fentimens que l'on peut avoir pour moi, inais dans les fentimens que j'ai pour les autres: c'est-à-dire, qu'il confifte à vous honorer, à honorer en vous & dans votre Maison tout ce que Dieu y a mnis, & à agir dans les occafions felon que cette difpofition le demande. C'est-là le bien que je ne puis perdre que par ma faute, & que j'ai deffein de me conferver avec tout le foin qui me fera poffible. Je fuis de plus très-convaincu, Ma R. Mere, qu'il n'y a rien de moins raisonnable de fe priver de ce bien, parcequ'on auroit fait de nous quelque jugement peu favorable. Car fi ces jugemens étoient vrais, qu'y auroit-il de plus injufte que de ceffer d'aimer ceux qui le méritent, parcequ'ils auroient bien jugé de nous ? Et

que

Et quand même ils ne le feroient pas, il By auroit gueres moins d'injuftice d'en prendre fujet de renoncer à leur amitié, Car il eft également ridicule de ne vouloir aimer ni estimer perfonne, qu'à condition qu'il ne fe préviendra contre qui que ce foit, ou de vouloir bien fouffrir que nos amis fe préviennent contre d'autres, pourvu que ce ne foit pas contre

nous.

Vous voyez donc, Ma R. Mere, que quelqu'impreffion que je puiffe avoir, qu'on n'a pas bien pris au lieu où vous êtes, ce qui s'eft paflé, je ne me croi point difpenfe par-là d'aucun des devoirs de l'amitié, & que je ne me fens pas moins obligé de conferver les mêmes fentimens que j'ai eu pour vous & pour toutes les perfonnes qui vous font unies. Si elles continuent à ne m'être pas favorables, & à defapprouver que je ne me fois pas rendu à leurs avis, il n'y a point d'autre remede que d'agir comme on croit devoir agir, & de trouver bon que les autres jugent comme ils croyent devoir juger. Je fai, M. R. Mere, qu'il eft bien plus facile de concevoir ces difpofitions, que de les avoir en effet: mais ce que je vous puis dire, eft que je me fens tellement le même à votre égard & à l'égard de ces perfonnes, que s'il y

Tome VII.

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