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nous fommes en effet doubles, c'eft. dire, qu'il y a deux perfonnes dans chaque perfonne, l'une écoute & conçoit la raifon, l'autre eft le jouet des paffions. Tout le defordre confifte au-contraire à ce que fouvent la paffion conduit à alterer la raison. C'est une espece de jeu que ce que je propose, mais qui ne laisse pas de foulager l'esprit.

Si elle demande à quoi bon tout cela, vous n'avez qu'à lui répondre, qu'elle n'a qu'à le pratiquer, qu'elle en verra l'utilité. Car je mets en fait que cette perfonne, auffi bien que la plupart du monde, s'imagine un peu que la pieté s'apprend comme une recette, & qu'après qu'on l'a apprife, il n'y a qu'à en ufer. Or cela n'eft pas ainfi; la pieté confifte à pratiquer ce qu'on fait, & pour cela il eft bon de fe convaincre qu'on le fait. Elle le fera en pratiquant ce que je lui confeille, elle y pourra ajouter diverfes chofes, elle fera voir par-là à fon Confesseur les bornes de fa lumiere. C'eft tout ce que je puis faire pour fon fervice, que delni donner ce confeil, qui la met dans la voye de penfer térieufement à elle: fon Confeffeur la portera plus loin en approuvant ces vûes, ou en lui en donnant d'autres.

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Des Antipathies, combien elles font à crain dre dans l'état du Mariage.

I

L faudroit, Madame, avoir un peur le don de prophetie pour répondre bien precifement fur la question que Vous me faites touchant la conduite de cette Demoiselle votre amie, qui étant engagée comme néceffairement à vivre avec une tante, fent de secretes anupathies, qui lui caufent divers chagrins, & lui donnent même quelquefois de certaines penfees de s'engager dans le Mariage pour le délivrer de cet état. La taifon en eft, que les antipathies peuvent être differentes, & dans leurs caufes, & dans leurs effets, & dans leurs fuites, & qu'il est ainfi difficile de les renfermer dans une même regle. Il y en a dont cel-les qui les reffentent font caules ellesmêmes; leur peu de complaisance attite la contradiction, & la contradiction produit en elies un certain foulevement, qu'elles appellent antipathie. Il y en a aifquelles on ne contribue rien directament par la conduite, mais la maniere impatiente dont on les fouftre les entretient. On fe trouble de s'être troublé, & comme Fonne demeure pas précilement dans les

bornes de fon devoir, & qu'on fait quel ques repliques feches aux contradictions que l'on trouve déraisonnables, on entretient d'une part une disposition aigre dans les perfonnes avec qui l'on vit, & l'on entre de l'autre dans un certain chagrin & contre les autres, & contre soi-même. Enfin il y en a où la perfonne qui les éprouve n'a point de tort ni dans fa conduite, ni dans fes paroles, & où elle n'est blamable, que parcequ'elle eft rrop fenfible aux défauts des autres, & qu'elle fouffre avec une impatience interieure l'état de rabaiffement & d'humiliation où elle eft Je ne fai du-tout, Madame, auquel de ces trois genres on doit rapporter la difpofition de la perfonne pour laquelle Vous vous intereffez fi fort, & l'amitié que vous avez pour elle, me fait même pencher à croire que c'est au dernier.Ainfi vous ne prendrez point pour elle, s'il vous plaît, ce que je pourai dire qui aura rapport aux deux autres qui ne lui conviennent peut-être point.

Mais l'on peut bien dire en géneral à l'égard des peines de cette vie, que ce qui nous y rend fi fenfibles, c'eft l'imagination que nous avons que nous fonimes pour ne rien fouffrir. Chacun cherche à s'exemter de peines; les homines & les femmes conrent aux plaifirs, &

nés

cette impreffion eft encore plus forte dans les femmes que dans les hommes, & entre les femmes dans les perfonnes de qualité.Il leur femble que leur par- tage devroit être au-moins, d'être dans une exemtion des maux de la vie ; & elles le prétendent encore plus fortement, fi la pieté fait qu'elles fe contentent de ce que le monde appelle des plaisirs & des divertiffemens innocens.

Cependant il s'en faut bien que ce foit-là Fétat & la condition des homines. Les lumieres de la Religion nous font voir an contraire clairement, que nous ne fommes dans le monde que pour y fouffrir, & pour y être humiliés felon la mefure que Dieu l'aura ordonné, & que c'eft notre avantage qu'il nous ait ordonné une abondante mefire d'humiliations & de fouffrances. L'homme ne peut avoir que deux fins, la fouveraine mifere qui le rend éternellement malheureux, & le fouverain bonheur qui le rend fouverainement heureux. La premiére eft fihorrible que quand elle feroit précedée de la jouiflance de tous les biens du monde, on ne les devroit compter pour rien; & cependant la verité eft qu'au- lieu de plaifirs, les

méchans ne trouvent dans ce monde mê me que des amertumes: & la feconde qui eft fi defirable en foi, ne s'acquiert aufli

que par la fouffrance en ce monde, & c'eft-là l'unique voye pour y parvenir. Ainfi le monde eft une espece de Purgatoire, & y vouloir être heureux & fans peine, c'est vouloir ne rien fouffrir dans le Purgatoire, ce qui eft impoffible, ou plutôt ce qui feroit très préjudiciable & très-dangereux. Car la diminution des peines du Purgatoire de ce monde augmenteroit infiniment celles de l'autre, qui feront terribles en elles-mêmes. Je voudrois donc bien, Madame, que vous tâchaffiez de perfuader à cette Demoifelle, que les peines comme peines, ne font jamais une raifon de changer d'état, & qu'elle fe devroit tenir heureufe de celles qu'elle fouffre, fi c'étoit de fimples peines. Mais je vois bien qu'elle vous dira qu'elle ne les apprehende pas comme des peines, mais comme des tentations, comme des occafions d'offenfer Dieu, comme des pieges tendus à fa foibleffe; qu'elle les fouffriroit gaiement, fi elle n'y faifoit point de fautes, & qu'elle ne fonge à y remedier que dans cette vue. Ce difcours, Madame, est raisonnable en foi, & je ne ferai nullement contraire aux voies qu'elle pourroit prendre pour s'en délivrer, pourvu qu'elles ne la mettent pas dans un état encore plus dangereux. Je ne doute pas même qu'elle n'en trouve

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