Imágenes de páginas
PDF
EPUB

femble que la connoiffance que Madame fa tante a avec Madame N... & M. N.... font une exclufion pour elle de prendre confiance en eux. Car felon mon fens, ce feroit ce qu'elle devroit rechercher, parceque des perfonnes qui feroient bien avec la tante, n'en feroient que plus capables d'adoucir fon efprit envers elle, & d'obtenir d'elle un confentement pour une retraite libre, & ce feroit la voye que je voudrois prendre, que de me mettre bien avec tous ceux pour qui fa tante a de la créance, & fi elles font perfonnes fidelles comme ceux-là, de leur parler avec toute forte d'ouverture. C'est ainsi qu'on rẻuffit dans les affaires du monde, & Dieu veut qu'on employe les mêmes moyens. dans celles qui le regardent, lorsqu'ils font innocens, & il ne peut approuver que l'on ne veuille faire aucun effort pour faire réuffir les chofes que l'on a le plus de raifon de fouhaiter.

J'ai quelque honte de vous envoyer Madame, une Lettre auffi mal écrite que celle-ci, mais la peine de tranfcrire eft fi grande pour moi, & j'en ai fi peu le tems que j'efpere que vous aurez la bonté d'excufer ce défaut de bien-feance,

LETTRE XIIL

Qu'il faut tâcher de connoître en foi ce qui eft fantaisie & ce qui eft raison.

J

'Ecrivis, Madame, après la lecture de votre derniere Lettre, les penfees qui me vinrent fur le champ, mais les réflexions que j'y ai faites depuis, men ayant donné non de contraires mais de differentes, jai cru qu'il n'étoit pas inu tile de vous les mander.

Je ne trouve dans cette Demoiselle, pour qui vous avez tant d'amitié,& qui seft découverte à vous, que des foibleffes communes; elle a grand tort d'en faire tant de myfteres. Le monde eft plein de perfonnes qui lui reffemblent dans les défauts, & il n'y en a pas un fi grand nombre qu'on pourroit croire qui i foient femblables dans fes bonnes qualités. Ne craignez donc point de m'en avoir donné mauvaise opinion, & trouvez bon néanmoins que fur ce que vous m'avez dit, je vous marque ce qui n'eft venu dans l'efprit.

Il y a, Madame, deux grans refforts de la conduite des hommes, la fantaisie & la raifon. J'appelle raifon, une connoifLance yéritable des chofes telles qu'elles

font, qui fait que nous en jugeons fatnement, & que nous les aimons & les haïffons felon qu'elles méritent; & j'appelle fantaifie, une impreffion faulle que nous nous formons des chofes, en les concevant autres qu'elles ne font, on plus grandes ou plus petites, plus plailantes ou plus fachenfes qu'elles ne font effectivement, ce qui nous engage en plufieurs jugemens faux, & produit des paf fions déraifonnables.

Ce que je veux conclure de-là, eft que chacun pour fe connoître, doit faire réflexion fur les fantaifies, & fur fes ju gemens raiformables. En s'appliquant ainfi à confiderer ce qui fe pafle dans fon efprit, on reconnoîtra qu'il y a fouvent très-peu de raison & de lumiere dans nos jugemens, & que pour l'ordinaire ce qui nous conduit, & nous fait agit, fe réduit à de pures fantaisies.

Comme ce n'eft pas mon deffein de vous faire ici, Madame, une leçon de Philofophie imorale en géneral, vous jugez bien que je veux appliquer ce difcours general à ce que vous m'avez expofé des difpofitions de cette Demoiselle. Je vous ditai donc franchement que je trouve fon efprit occupé de trois impreffions.

Elle a un extrême dégoût pour les

Couvents, elle regarde l'humeur de fa tante comme infupportable, & elle efpere peu d'obtenir de Dieu la grace de la fouffrir en patience. Et ces deux impreffions jointes ensemble, en font naître une troifiéme, qui est que n'aimant pas le mariage, & n'y étant pas attirée par les paffions qui y portent beaucoup d'autres, elle le regarde pourtant comme un état qui la pent tirer des con traintes des Couvents, & de l'aflujettif fement de fa tante; & ainfi cette idée de liberté lui fait prefque juger cet état plus fupportable que les deux autres. Voilà, Madame, ce que j'ai conçu, & apparemment ce que vous concevez des difpofitions de cette perfonne.

S'il ne s'agifloit de juger des chofes que felon la verité & la raison, il me feroit aifé de faire voir que ces impref fions ne font que des fantaisies. L'éloignement qu'elle a des Couvents n'eft fon dé que fur des impreffions faufles ou outrées. Elle s'y reprefente certaines pratiques comme infupportables; cependant cent mille filles les fouffrent fans peine, & il n'y a gueres de ces peines qu'un peu d'accoutumance ne faffe évanouir en pen de tems. D'ailleurs je fuis bien trompé fr cet éloignement ne vient autant du peu d'idée qu'elle a de la vie Chrétienne,

que de l'averfion des exercices qni n'y font pas effenciels. Or s'il ne vient que du peu d'amour qu'elle a pour les vertus néceffaires à tout état, elle devroit penser qu'elle trouvera encore plus de difficultés à pratiquer ces vertus dans des conditions qui favorisent par elles-mêmes nos paffions, & qui nous donnent plus de liberté de les fuivre.

Elle ne confidere pas de plus qu'une perfonne riche comme elle est peut trouver dans les Couvents un genre de vie proportionné à fa foiblefle, c'est-à-dire, qu'elle y pourroit vivre fans faire de vou, fans s'obliger à la regle, & en ne pratiquant des exercices de la Religion que ce qui lui conviendroit.

Il en eft de même de l'impreffion qu'elle a de l'humeur de fatante, qui lui paroît infupportable. Il est indubitable que cette impreffion eft encore une fantaisie : quand on fuppoferoit que cette tante a toujours tort de la contredire & de la gêner, ce n'eft point une chofe infupportable ni impoffible de céder à une perfonne qui a tort, il ne faut qu'éconter la voix de Dieu qui le commande. La tante n'a peut-être pas raifon d'exiger telle & telle chofe de fa conduite en telle & telle occafion : Mais Dien a raifon de commander de céder à ce

« AnteriorContinuar »