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qu'on exige même injuftement, & de fouffrir patiemment d'être contredit même fans raison. Il ne faut donc qu'aimer la raison & la verité de Dieu pour fouffrir avec paix les déraifons & les con tradictions injuftes des homnies. Je fai que cela eft pénible, mais ce qui eft pé nible s'adoucit peu à peu, pourvu que nous travaillions fincerement & fortement à nous corriger; que nous ne nous amufions point à occuper notre efprit des défauts des autres, & que nous fongions davantage à réformer en nous cette résistance à l'ordre de Dieu, qu'à vouloir que les autres foient parfaite ment raifonnables. La grace de Dieu nous fait furmonter nos inclinations, forfque nous avons foin de la demander comme il faut, & il ne faut jamais defefperer de l'obtenir

Enfin c'eft encore une autre fantaisie que de fe reprefenter l'état du mariage comme moins pénible & plus fûr en foi, que ces deux étars. Il peut-être moins pénible aux fens, fi l'on n'y veut pas faire fon devoir. J'avoue même qu'il peut atver qu'on feroit un choix fi heureux, qu'en y menant une vie chrétienne, on s'exemteroit de ces autres peines; mais qui nous affûtera de ce choix? La plur part des hommes font ou bizarres &

capricieux, ou infideles & vicieux, ou au moins fans pieté.

Tout cela fe connoît peu avant l'engagement, & eft irremediable après l'engagement. Or qui peut fe promettre d'avoir la force de fouffrir toute fa vie les caprices d'un mari déraifonnable, & les defordres d'un mari vicieux ? Et enfin en quel danger n'est point une femme qui n'a qu'une lumiere commune, de prendre part à la conduite intereffée, ambitieule & fouvent injufte d'un mari & au mauvais exemple des jeunes Dames de fon âge qui n'ont la tête pleine que des folies & des vanités du monde? Il eft facile à la verité de fuivre ce torrent; mais c'eft le dernier malheur de fe laiffer emporter à cette facilité. Et il eft fi pénible de ne le pas fuivre, que jofe dire qu'il faut toute une autre force de vertu pour cela que pour fouffrir une tante incommode, ou la contrainte d'un Monaftere. On fouffre tout en fe forçant, en fe faisant violence; mais la violence qu'il fe faut faire pour réfifter au torrent du monde, eft plus pénible que celle qu'il fe faut faire dans les deux autres états que j'ai marqué. Je croi donc, Madame, qu'à ne confiderer que la rai fon, vous pouvez dire à cette Demoiselle, que quoique vous foyez fenfiblement

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touchée de fes peines, ce n'eft pas néan moins un bon moyen de les foulager que de fe mettre au hazard de s'engager à de plus grandes.

Mais ce qui rend, Madame, la conduite difficile, eft que fouvent on ne peut & on ne doit pas régler toutes chofes par la raifon. Il y a quelquefois des fantaifies fi fortes & fi roides, qu'il ne faut pas efperer de les furmonter; & telle peine qui eft beaucoup moindre en foi, paroîtra infuportable à des des perfonnes préocupées. Ainfi l'on trouve quantité d'honnêtes femmes,qui s'étant mariées pour fe fouftraire aux petites incommodités de l'humeur de leurs meres, fouffrent enfuite fort patiemment des maux beaucoup plus grans, parcequ'elles n'y voyent point de remede. Il eft donc quelquefois raifonnable de céder à des fantailies. Peut-être qu'un fage Directeur pourroit enfin dire à cette Demoifelle, que fi elle ne veut pas fe faire la violence néceffaire pour fouffrir en patience les contradictions domeftiques, fielle ne veut pas vaincre les répugnances qu'elle a dans la vie qu'elle peut choilir dans un Couvent, qu'elle penfe donc à ce troifiéme parti, quelque dangereux qu'il foit, puifqu'enfin le danger neft pas tout-à-fait certain, & que fou

vent celles qui ont été foibles à l'égard des maux que l'on pouvoit éviter, deviennent fortes & patientes à l'égard des maux néceffaires & inévitables. Mais avant que d'en venir là, il lui confeilleroit peut-être d'eflayer de bonne foi, de vaincre ces deux autres fantaifies. Les effais n'en font point périlleux ni irremediables comme celui du mariage. Il n'est point impoffible en foi de fouffrir l'humeur d'une tante impérieufe ou déraifonnable. La regle même eft certaine; il n'y a qu'à céder, à obéir & à fe taire dans toutes les chofes indifferentes où la conscience n'eft point intereffée. Il faut adoucir les actions par la vue de Dieu qui les commande, par le befoin que l'on doit reconnoître que l'on a d'être humilié, par les peines attachées aux autres conditions; il faut reconnoître que Dien nous traite favorablement, en nous donnant ces occafions de fouffrir, puifque nous n'en choififons pas de nous-mêmes. IF ne faut pas le décourager pour quelques fautes paffageres que l'on fait contre fes réfolutions, & il faut rentrer incontinent après dans la paix, fans s'agiter ni s'inquiéter. Si l'on eft tombé plus fouvent un jour, il faut efperer que l'on fera mieux un autre; ainfi en tombant & en fe relevant on avance peu à peu, & l'on apprend

à fouffrir ce qui nous paroiffoit infi portable.

Il est encore plus facile en foi, Ma dame, de tenter de vaincre l'autre fantaifie, qui eft l'éloignement de la vie des Monafteres. L'effai n'en eft fujet à aucun inconvenient réel; il ne faut point dire qu'on veut s'y retirer pour y demeurer pour y être Religieuse; mais il faut dire qu'on s'y veut retirer pour pen fer férieusement à l'état de vie qu'on doit embraffer, ce qui ne fe fait pas si bien dans le monde; & fe réfoudre à paffer un an dans cette vie qu'on regarde en nuyeuse; mais où cent mille filles paf fent toute leur vie fans chagrin.

LETTRE XIV.

Que pour l'ordinaire c'eft une tentation que d'avoir recours à des fecours éloignés en negligeant les fecours préfens.

A UNE RELIGIEUSE.

Ons feriez, ma Sœur, bien fatisfaite de la Lettre que j'ai deffein de vous écrire, s'il fuffi oit pour cela de defirer que vous le fuffiez, & d'avoir une affection très-fincere pour vôtre véritable bien. Mais parce qu'on ne difpofe pas de fon efprit, commes des ac

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