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dent vos commandemens. Et nous fommes véritablement defunis de tous ceux qui ne le cherchent pas, quelque amitié qu'ils nous témoignent. Je n'aimerois pourtant un Monaftere où la calomnie régneroit, & où l'on prendroit à tâche de décrier les gens de bien, comme l'on fait en quelques Monafteres.Mais je crois que celui-là en eft bien éloigné. Elles m'ont écrit par rencontre de la maniere la plus civile du monde, & avec des témoignages de bonté aufquels rien ne les obligeoit.

LETTRE XV.

Qu'il y a peu de folidité dans les amitiés

bumaines.

A UNE RELIGIEUSE

Os Lettres, ma très-chere Sœur, font toujours pleines de témoigna ges d'affection pour ceux à qui vous les écrivez, & vous les en partagez fi bien chacun en particulier, que perfonne n'a de jalouse de ceux que vous rendez aux autres. J'en fuis pour moi plus que fatisfait, & je ferois ingrat, fi je n'en avois pas toute la reconnoillance que je dois. Mais comme il y a diverfes manieres de le té moigner, je ne fai pas tout-à-fait bien fi

vous ferez contente de celle que j'ai choi fie, qui eft de vous entretenir des réflexions que j'ai faites fur cette maniere fi rendre & fi careflante dont vous agilfez envers tout le monde, & que l'on a fu jet de prendre pour une effufion toute na turelle de votre cœur. Je ne fuis pas en réputation d'être des plus tendres de ce monde, ni des plus portés à la complai fance. Cependant je n'ai pas laifle de m'appercevoir que les marques d'affec tion que je recevois de la Sœur.... me gagnoient le cœur, que je la diftinguois par là des autres qui n'avoient pas peutêtre moins de vertu qu'elle; que j'étois bien aile de recevoir de fes Lettres, & que je me fentois plus porté à la fatisfaire qu'une autre perfonne qui auroit agi d'une autre maniere envers moi. Cela m'a donné lieu d'examiner fi ces fentimens étoient raisonnables, & il m'a fem blé que non. Je veux croire, difois-je en moi-même, que que ces témoignages d'af fection qu'elle me rend, font très-fince res, ils en ont le caractere, & il n'y a pas lieu de foupçonner d'autre artifice que celui qui fe gliffeinfenfiblement dans le commerce de l'amitié, & qui porte à exagerer un peu les chofes, mais quel que finceres qu'ils foient, eft-il jufte de l'en aumer davantage VDE CA

Il faut premierement, qu'elle fe trompe fur mon fujet, & qu'elle s'imagine ce qui n'y eft pas or je ne dois aimer ni l'erreur, ni les effets de l'erreur. Peutêtre même que cette effufion ou temoignage d'amitié eft un défaut en elle, que cela peut partager fon efprit & fon cœur, & hi fervir au moins d'amusement en l'occupant des créatures, & je ne dois pas aimer en elle ce qui lui peut nuire, &ce que Dieu n'y aime peut-être pas. Il ne faut pas auffi le flater, en s'imaginant que ce que l'on aime en elle, foit cette inclination violente qu'elle a à aimer tout le monde, & à s'imaginer des vertus, qui n'y font pas le plus fouvent; car elle pourroit être telle qu'elle eft, que fi elle ne me faifoit aucune part de fon affection, je ne laifferois pas de la regarder dans la foule, fans la diftinguer des

autres.

Ces penfées, ma très-chere Sœur, qui yous regardoient en particulier m one pouffé plus avant, & m'ont fait entrer dans une confideration plus génerale de tout ce qu'on appele dans le monde, amitié & affection. Et je vous avoue que j'en ai prefque conclu que ce n'étoit de beaux noms dont on couvroit la véritable chapropre, &

que

l'amour

& que

é y avoit fi peu de part, qu'on pouvait

Tome VIL

E

prefque dire que nous n'aimons dans les autres que nous-mêmes.

Si cela n'êtoit, pourquoi ferions nous fi peu touchés de ce que nous voyons de bien dans les autres, quand nous n'y appercevons aucun regard vers nous ? Et pourquoi ferions-nous au-contraire fi infenfibles à ce que nous y voyons de mal, quand ils ont de la complaifance pour nous? L'idée d'être aimé couvre en quelque forte à notre égard tous les défauts du prochain; & l'idée de ne l'être pas, anéantit toutes fes vertus, & groffit rous fes défauts. On fupporte tout de ceux qui nous aiment, & tout nous eft infupportable de la part de ceux dont nous croyons n'être pas aimés.

Qu'une perfonne foit éclairée, vigilante, laborieufe, pénitente, appliquée à l'oraison, & à toutes fortes de bonnes œuvres; s'il arrive par quelque rencontre qu'elle foit un peu prévenue contre nous, nous ne regardons toutes fes vertus qu'avec dégoût, les louanges qu'on lui donne nous incommodent, & nous lui préferons au moins en affection, & en tendreffe des perfonnes imparfaites, qui nous témoigneront plus d'affection. Nous ferons fermés à l'égard de l'une & ouverts à l'égard de l'autre, parce que ce pauvre cœur ne s'ouvre, & ne fe ferme

que par l'amour-propre. Nous ne favons pas même nous aimer raifonnablement, ni regler notre affection par nos vêritables interêts. Et j'ai fait quelquefois réflexion,que des offices très-réels & très-solides étoient fouvent effacés par de fades complaifances, & que de deux perfɔnnes, dont l'une rendroit des fervices très utiles, mais avec quelque chagrin, l'autte témoigneroit feulement de la complaifance, fans être utile à rien; l'on préfereroit d'ordinaire la complaifance à l'autre, au-moins par la pente du cœur, & par l'inclination qui ne manquoit pas enfuite de fe faire paroître, lorfqu'on étoit en état de fe paffer des fervices de celui dont l'humeur étoit un peu plus chagrine.

C'eft, ma très-chere Sœur, que l'on ne s'aime pas feulement, mais que l'on s'aime tendrement. L'on s'aime d'un amour qui fe nourrit de carreffes, de complaifances & même de flatteries. Car on n'y eft pas fi délicat, & on ne fe met pas tant en peine de difcerner ce qu'il y a de fincere dans les témoignages d'aitié que l'on nous read, l'on aime à s'y tromper, & à ne pénetrer pas fi avant.

Je ne fai pas ce qui fe paffe dans les Monafteres; mais je m'imagine qu'une des grandes tentations qu'on y ait, eft la

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