1 leur des Rois, que par la félicité du meilleur des peuples. Après ce tribut payé aux bienfaiteurs de la Patrie par la reconnoiffance, l'admiration fe tourne aujourd'hui vers l'homme qui a le plus perfectionné la raifon humaine, qui a le plus détruit de préjugés, qui méritoit le plus d'arracher à la nature fes fecrets, peut-être impénétrables. En effet, combien d'erreurs, tour à tour maîtreffes des efprits, tour à tour honorées de la faveur publique, & décorées du beau nom de vérités, le temps n'a-t-il pas vu naître, tomber, renaître fous cent formes nouvelles, & avec des fuccès divers? Les vérités révélées, feules fixes, feules immuables, furnagent conftamment fur cet océan des âges, où s'abyme & s'engloutit tout ce qui n'eft que fyftème & opinion. Le monde eft livré aux difputes des hommes; mais ces difputes ne font pas abfolument vaines, elles étendent l'efprit, elles exercent la raison. De ce choc d'opinions partent quelques traits de lumière, quelques étincelles de vérité; les contradictions préviennent l'engourdiffement de l'ame, & l'empêchent de s'endormir dans de trop honteufes erreurs. L'homme a besoin de croire, parce qu'il a besoin de favoir; & que croire, c'eft prefque favoir, du moins jufqu'à ce que l'erreur foit foupçonnée. La foibleffe de l'efprit humain cherche un point fixe pour s'appuyer, & fa pareffe aime à fe perfuader qu'elle l'a trouvé. La crédulité difpenfe d'un examen toujours difficile, fouvent infructueux; mais cette crédulité affermiroit trop l'empire de l'ignorance, fi le doute falutaire ne prenoit foin de la troubler; fi la nouveauté audacieufe, & qui a droit de l'être dans tout ce qui n'intéreffe ni la Foi, ni le Gouvernement, ne venoit de temps en temps détruire & reconftruire, ou du moins changer & modifier. A travers cette fermentation des efprits & cette mobilité des idées, il eft difficile de prévoir jufqu'à quel point le temps refpe&tcra les débris du Cartéfianifme, déja ébranlé par de fi grands coups; mais on peut affurer que la gloire perfonnelle de DESCARTES eft au-deffus des révolutions; que fon nom à jamais illuftre dans les faftes de la Philofophie, furvivroit au règne du Cartéfianifme, comme un Héros ne cefferoit point d'être admiré pour avoir été vaincu, ni un grand Roi pour avoir été détrôné. Nous avons deux hommes à confidérer dans DESCARTES; l'homme privé, & l'homme public ou le Philofophe. La poftérité ne s'occupe de l'homme privé, que quand l'homme public a frappé fes regards: de-là vient que tant de vertus modeftes & utiles meurent dans l'obfcurité où elles fe font cachées, que leur mémoire s'éteint pour jamais, & que leur exemple eft perdu pour le monde: de-là vient que ce fexe auquel nous avons prefque interdit la gloire, pour ne lui laiffer que la vertu, eft trop rarement propopour modèle. C'eft l'éclat des talens qui met la poftérité fur la trace des vertus; elle veut favoir fi elle peut eftimer ce qu'elle doit admirer; c'eft pour l'homme de génie une raifon dé fé plus d'être vertueux. Il doit aux talens qui font fa gloire de les rendre refpectables par leur réunion avec les vertus, & qu'il fache que l'œil vigilant de l'envie, que l'œil équitable & sévère de l'avenir, feront toujours ouverts fur lui. L'eftime eft la base naturelle de l'admiration. Voyons donc d'abord quel étoit DESCARTES par les qualités qui ne produifent que l'eftime; dépouillons-le pour un inftant de fa gloire; voyons-le tel que fes parens, fes concitoyens, fes amis, fes domeftiques l'ont connu avant que l'Europe l'admirât. PREMIÈRE PARTIE. La noblesse du fang eft un avantage que la Philofophie même ne peut s'empêcher de regarder comme réel, s'il en résulte une obligation plus étroite d'être vertueux. RENÉ DESCARTES eut cet avantage, & ne le dédaigna point (a). L'amour de la vérité fit toujours fon caractère; tout ce qui peint un tel caractère, eft noble; ne négligeons donc point de remarquer que DESCARTES Cachoit autant qu'il pouvoit le (a) RENÉ DESCARTES naquit à la Haye en Touraine, le 31 Mars 1596, de Joachim Defcartes, Confeiller au Parlement de Bretagne, & de Jeanne Brochard, fille du Lieutenant Général de Poitiers. Sa Maifon, une des plus anciennes de la Touraine avoit étendu fes branches dans le Berri, le Poitou, l'Anjou & la Bretagne. Illuftrée par de grandes alliances, long-temps diftinguée par le fervice militaire, elle venoit d'entrer dans la Magiftrature. Elle a produit depuis un grand nombre de Confeillers au Parlement de Eretagne. jour de fa naiffance, par une averfion mêlée de mépris pour les faifeurs d'horofcope, dont on autorife,difoit-il, ou la charlatanerie, ou l'erreur, lorfqu'on fournit à leur chimérique talent l'occafion de s'exercer. DESCARTES étudia au Collége de la Fléche; il fit fes Humanités avec fuccès; il montra du goût, même du talent pour les Lettres, & en particulier pour la Poëfie; mais il n'eut de paffion que pour la Philofophie. Il vit (a) transporter à la Fléche le cœur de Henri IV, ce cœur que la rage de la fuperftition venoit de percer. DESCARTES entroit alors dans cet âge où l'efprit cherche à connoître, où le cœur cherche à s'intéreffer, où l'œil parcourt avidement les objets dont il eft entouré, mais où les événemens publics n'attachent encore que par le fpectacle qu'ils préfentent. Le deuil de la France confternée, ce grand tableau de douleur & d'effroi, rendu plus impofant par la majesté lugubre de cette augufte cérémonie, fut le premier fpectacle qui frappa fes yeux déjà obfervateurs; fa première leçon de Philofophie fun que le monde n'étoit pas digne du bonheur, ou que du moins le bonheur n'étoit pas fait pour le monde. La Philofophie fcholaftique de ces temps-là offroit peu de charmes à un efprit ami des idées fimples & des notions claires. DESCARTES avoit trop compté fur fes magnifiques promeffes, il (a) 1610. A iv ne les trouva pas remplies; elle l'inftruifit peu, & le fatisfit encore moins. Des mots vuides de fens, des objets mal conçus, mal définis, mal divifés, des abstractions perpétuelles, des qualités occultes, des formes fubftantielles, des chimères plus éloignées de l'existence, que ces êtres moraux créés par l'imagination des Poëtes, de l'obscurité, de la barbarie; c'est à quoi les Philofophes & les Savans étoient parvenus à réduire l'étude de la fageffe. DESCARTES fit des objections, propofa des difficultés ; fes compagnons d'étude ne les entendirent pas, fes maîtres s'en étonnèrent, la Philofophie vulgaire n'avoit pas de quoi les réfoudre. Ce n'étoit point la Philofophie, mais c'en étoit le phantôme, & c'étoit beaucoup pour DESCARTES; il fut en tirer parti en rectifiant, en réduifant, en fe frayant pour fon inftruction particulière, des routes nouvelles. L'étude des Mathématiques fur-tout le tranfporta. La vérité qu'elles montroient avec évidence, malgré les maîtres, étoit le digne aliment de fon ame. L'analyse des anciens, l'algèbre des modernes, firent fes délices; il les perfectionna, il les épura, il s'en fit une clef à la faveur de laquelle les Mathématiques n'eurent plus pour lui de tréfors cachés; bientôt les plus grands Mathématiciens de l'Europe le reconnurent pour leur maître. Au refte, quelque défectueufe que fût la manière d'enfeigner la Philofophie dans les écoles françoifes, la comparaifon que DESCARTES eut lieu d'en faire dans la fuite avec la méthode |