Imágenes de páginas
PDF
EPUB

faut-il qu'une aussi charmante personne soit insensée! Par quel accident est-elle réduite en cet élat? Écoutez-moi avec attention, repartit le boiteux, vous allez entendre l'histoire de son infortune.

Dóna Émérenciana, fille unique de don Guillem Séphani, vivait tranquille à Siguença dans la mai. son de son père, lorsque don Kimen de Lizana vint troubler son repos par ses galanteries. SensiIle aux soins de ce cavalier, elle eut la faiblesse de εe prêter aux ruses qu'il employà pour lui parler, et bientôt elle lui donna sa foi en recevant la ienne.

Ces deux amants étaient d'une égale naissance, nais la dame pouvait passer pour un des meilleurs partis d'Espagne, au lieu que don Kimen

'était qu'un cadet. Il y avait encore un autre 9bstacle à leur union. Don Guillem halssait la farnille des Lizana, et semblait même avoir plus d''a version pour don Kimen que pour tout le reste de sa race. Émérenciana, vivement affligée de voir scon père dans cette disposition, en concevait pour son amour un triste présage. Elle ne laissait pourtant pas d'avoir des entretiens secrets avec Lizana qui s'introduisait de temps en temps chez elle la pit par le ministère d'une soubrette.

Il arriva, une de ces nuits, que don Guillem crut entendre quelque bruit dans l'appartement: de sa fille, peu éloigné du sien. Néanmoins, touk soupçonneux qu'il était, Émérenciana tenait une conduite si adroite, qu'il ne se doutait nullemen't de son intelligence avec don Kimen; mais, n'étant pas un homme à pousser la confiance trop loir, il se leva tout doucement de son lit, alla ouvrir une fenêtre qui donnait sur la rue et eut la patience. de s'y tenir jusqu'à ce qu'il vit descendre d'u balcon, par une échelle de soie, Lizana, qu'il re connut à la clarté de la lune.

[ocr errors]

t

Quel spectacle pour Stéphani, le plus vaindi-. catif et le plus barbare mortel qu'ait jamais produit la Sicile. Il ne céda point d'abord à sa colère, il attendit que sa fille fût levée le lendemai pour entrer dans son appartement. Là, seul avec elle, et la regardant avec des yeux étincelants die: fureur, il lui dit: Malheureuse, qui, malgré la noblesse de ton sang, n'as pas honte de commettire des actions infâmes, prépare-toi à souffrir un jus *.e châtiment. Ce fer ajouta-t-il en tirant de son sein un poignard, ce fer va t'ôter la vie, si tu ne colfesses la vérité nomme-moi l'audacieux qui e st venu cette nuit déshonorer ma maison.

[ocr errors]

Lérenciana troublée de cette menace, reput

proférer une parole. Ah! misérable, poursuivit le père, ton silence et ton trouble ne m'apprennent que trop ton crime. Eh! t'imagines-tu, fille indigne de moi, que j'ignore ce qui se passe? J'ai vu cette nuit le téméraire ; j'ai reconnu don Kimen. Ce n'eût pas été assez de recevoir la nuit un cavalier dans ton appartement, il fallait encore que ce cavalier fût mon plus grand ennemi. Mais sachons jusqu'à quel point je suis outrage: parle sans déguisemeni: ce n'est que par ta sincérité que tu peux éviter la mort.

La dame, à ces derniers mots, concevant quelque espérance, perdit une partie de sa frayeur, et répondit à don Guillem: Seigneur, je n'ai pu me défendre d'écouter Lízana, mais je prends le ciel à témoin de la pureté de ses sentiments. Comme il sait que vous baissez sa famille, il n'a point encore osé vous demander votre ayeu; et ce n'est que pour conférer ensemble sur les moyens de l'obtenir que je lui ai permis quelquefois de s'introduire ici. Eh! de quelle personne, répliqua Stéphani, vous servez-vous l'un et l'autre pour faire tenir vos lettres ? C'est, répartit sa fille, un' de vos pages qui nous rend ce service. Là dessus, toujours la dague à la main, il lui fit prendre du papier et de l'encre, et l'obligea aussitôt d'écrire

à son amant ce billet, qu'il lui dicta lui-même :

Cher époux, seul délice de ma vie, je vous « avertis que mon père vient de partir tout à «l'heure pour sa terre, d'où il ne reviendra que • demain. Profitez de l'occasion: je me flatte que • vous attendrez la nuit avec autant d'impatience « que moi. »

Après qu'Émérenciana eut écrit et cacheté ce billet perfide, don Guillem lui dit: Fais venir le page qui s'acquitte si bien de l'eraploi dont tu le charges, et lui ordonne de porter ce papier à don Kimen. Mais n'espère pas me tromper: je vais me cacher dans un endroit de cette chambre, d'où je L'observerai; si tu lui dis un mot, lui fais quelque signe qui lui rende le message suspect, je te plongerai aussitôt le poignard dans le cœur. Émérenciana connaissait trop son père pour oser lui désobéir; elle remit le billet comme à l'ordinaire entre les mains du page.

Alors Stéphani rengaîna la dague; mais il ne quitta point sa fille de toute la journée: il ne la laissa parler à personne en particulier : et fit si bien que Lizana ne put être averti du piège qu'on lui tendait. Ce jeune homme ne manqua donc pas de se trouver au rendez-vous. A peine fut-il dans la maison de sa maîtresse, qu'il se sentit tout à coup

saisi par trois hommes des plus vigoureux, qui le désarmèrent, lui mirent un linge dans la bouche pour l'empêcher de crier, lui bandèrent les yeux, et Jui lièrent les mains derrière le dos. En cet état ils le portèrent dans un carrosse dans lequel il montè. rent tous trois, et le conduisirent à la terre de Stéphani. Don Guillem partit un moment après dans un carrosse avec sa fille, deux femmes-dechambre, et une duègne rébarbative. Il enmena aussi tout le reste de ses gens à la réserve d'un vieux domestique qui n'avait aucune connaissance du ravissement de Lizana.

Ils arrivèrent tous avant le jour à Mièdes. Le premier soin du seigneur Stéphani fut de faire enfermer don Kimen daus une cave yoûtée, qui recevait une faible lumière par un soupirail étroit. Il ordonna ensuite à Julio, son valet-de-confiance, de donner pour toute nourriture au prisonnier du pain et de l'eau ; pour lit, une botte de paille, et de lui dire chaque fois qu'il lui porterait à manger : Tiens, lâche suborneur, voilà de quelle manière don Guillem traite ceux qui sont assez hardis pour l'offenser. Ce cruel Sicilien n'en usa pas moins durement avec sa fille. Il l'emprisonna dans une chambre qui n'avait point de vue sur la campagne, lui ôta ses femmes, et lui donna pour gcolière la duègne qu'il avait choisie,

« AnteriorContinuar »