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me les garder; que je vous aie cette obligation-là. Il n'est pas besoin de demander si Xaral y consentit outre qu'il était mal en argent, il avait la conscience d'un dépositaire. Il se chargea volontiers de cette somme; et il ne l'eut pas sitôt entre les mains, qu'il en employa sans façon une bonne parlie à faire réparer sa chaumière, et à se donner toutes ses petites commodités : un habit neuf d'un très beau velours bleu fut levé et fait à Salamanque, et une plume verte qu'on y acheta vint ravir au vieux plumet jaune la gloire, `dont il était en possession immémoriale; d'orner le noble chef de don Thomas. La belle Hipolyta eut aussi sa paraguante, et fut parfaitement bien nippée c'est ainsi que Xaral dissipait les ducats qui lui avaient été confiés, sans penser qu'ils ne lui appartenaient point, et que jamais il ne pourrait les restituer. Il ne se fit point le moindre scrupule d'en user ainsi : il crut même qu'il était juste qu'un roturier payât l'honneur d'être en commerce avec un gentil homme.

Fabricio avait bien prévu cela; mais en même temps il s'était flatté qu'en faveur de ses espèces, don Thomas vivrait avec lui familièrement, qu'Hipolyta peu à peu s'accoutumerait à souffrir ses soins, el lui pardonnerait enfin l'andace d'a

voir élevé sa pensée jusqu'à elle. Véritablement il en eut auprès d'eux un accès plus libre: ils lui firent plus d'amitié qu'ils ne lui en avait fait auparavant. Un homme riche est toujours gracieusé des grands, quand il se rend leur vache à lait. Xaral et sa sœur, qui jusqu'alors n'avaient connu les richesses que de nom, n'eurent pas plus tôt senti leur utilité, qu'ils jugèrent que Fabricio méritait d'être ménagé : ils eurent pour lui des égards et des attentions qui le charmèrent. Il crut que sa personne ne leur déplaisait pas, et qu'assurément ils avaient fait réflexion que tous les jours des gentilshommes, pour soutenir leur noblesse, étaient obligés d'avoir recours à des alliances roturières. Dans cette opinion, qui flattait son amour, il se résolut à demander Hipolyta en mariage.

Dès la première occasion favorable qu'il put trouver de parler à don Thomas, il lui dit qu'il souhaitait passionnément d'être son beau-frère, et que, pour avoir cet honneur,.non seulement il lui abandonnerait le dépôt, mais qu'il lui ferait encore présent d'un millier de pistoles. Le superbe Xaral rougit à cette proposition qui réveilla, son orgueil; et dans son premier mouvement, peu s'en fallut qu'il ne fit éclater tout le

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mépris qu'il avait pour le fils d'un laboureur. Néanmoins, quelqu'indigné qu'il fut de la témérité de Fabricio, il se contrignit; et sans témoigner aucun dédain, il lui repondit qu'il ne pouvait sur-le-champ se déterminer dans une pareille affaire ; qu'il était à propos de consulter làdessus Hipolyła, et de faire même une assemblée de parents.

Il renvoya le galant avec cette réponse, et convoqua effectivement une diète, composée de quelques hidalgos de son voisinage, lesquels étaient de ses parents, et qui tous avaient, comme lui, la rage de la hidalguia. 11 tint conseil avec eux, non pour leur demander s'ils étaient d'avis qu'il accordât sa sœur à Fabricio, mais pour délibérer de quelle façon il fallait punir ce jeune insolent qui, malgré la bassesse de sa naissance, osait aspirer à la possession d'une fille de la qualité d'Hipolyta.

Dès qu'il eut exposé cette audace à l'assemblée. au seul nom de Fabricio et de fils de laboureur, vous eussiez vu les yeux de tous ces nobles s'allumer de fureur: chacun vomit feu et flammes contre l'audacieux. Les uns, ainsi que les autres, veulent qu'il expire sous le bâton pour expier l'outrage qu'il a fait à leur famille par la proposition

d'un si honteux hyménée. Cependant, après qu'on eut considéré la chose plus mûrement, le resultat de la diète fut qu'on laisserait vivre le coupable; mais que, pour lui apprendre à ne plus se mécon naître, on lui ferait un tour dont il aurait sujet de se souvenir long-temps.

On proposa diverses fourberies, et celle-ci prévalut. On décida qu'Hipoltya feindrait d'être sensible à l'attachement de Fabricio, et que, sous prétexte de vouloir consoler ce malheureux amant du refus que don Thomas ferait de le prendre pour beau-frère, elle lui donnerait une nuit rendezVous au château, où, dans le temps qu'il serait introduit par la femme maure, des gens apostés le surprendraient avec cette soubrette, qu'on lui ferait épouser par force.

La sœur de Xaral se prêta d'abord sans répugnance à cette supercherie : il lui sembla qu'il y allait de sa gloire de regarder comme une injure ja recherche d'un homme d'une condition si inférieure à la sienne. Mais cette orgueilleuse disposi tion fit bientôt placé à des mouvements de pitié; ou plutôt l'amour se rendit tout-à-coup maître de la fierté d'Hipolyta.

Dès ce moment elle vit les choses d'un autre œil elle trouva l'obscure origine de Fabriciq

compensée par les belles qualités qu'il avait, t n'aperçut plus en lui qu'un cavalier digne de toute admirez son affection. Admirez, seigneur écolier, le prodigieux changement que cette passion est capable de produire : cette même fille qui s'imaginait qu'un prince méritait à peine de la posséder, s'entête en un instant d'un fils de labour r, et s'applaudit de ses prétentions, après les avoir envisagées comme une ignominie.

Elle s'abandonpa au penchant qui l'entraînait; et, bien loin de servir le ressentiment de son frère, elle entretint avec Fabricio une secrète intelligence par l'entremise de la femme maure qui le faisait entrer quelquefois la nuit dans la chaumière. Mais don Thomas eut quelque soupçon de ce qui se passait sa sœur lui devint suspecte; il l'observa, et fut convaincu par ses propres yeux qu'au lieu de répondre aux intentions de la famille, elle les trahissait. Il en avertit promptement deux de ses cousins, qui, prenant feu à cette nouvelle, commencèrent à crier : Vengeance! don Thomas, vengeance! Xaral, qui n'avait pas besoin d'être excité à tirer raison d'une offense de cette 'nature, leur dit avec une modestie espagnole, qu'its verraient l'usage qu'il savait faire de son épée quand il s'agissait de l'employer à venger

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