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Son intention n'était pas de s'en tenir là; il avait résolu de se défaire de don Kimen, mais impunément, ce qui paraissait assez difficile, Comme il s'était servi de ses valets pour enlever ce cavalier, il ne pouvait pas se flatter qu'une action sue de tant de monde demeurerait toujours secrète. Il prit son parti en grand scélérat: il assembla tous ses complices dans un corps de logis séparé du château, il leur témoigna combien il était satisfait de leur zèle, et leur dit que, pour le reconnaître, il prétendait leur donner une bonne somme d'argent après les avoir bien régalés. Il les fit asseoir à une table; et, au milieu du festin, Julio les empoisonna pas son ordre ensuite le maître et le valet mirent le feu au corps de logis; et avant que les flammes pussent attirer en cet endroit les habitants du village, ils assassinèrent les deux femmes-de-chambre d'Émérenciana et le petit page dont j'ai parlé. Puis, ils jetèrent leurs cadavres parmi les autres. Bientôt le corps de logis fut enflammé et réduit en cendres, malgré les efforts des paysans des environs.

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S'étant de cette manière assuré de la discrétion des gens qui auraient pu le trahir, il dit à son confident: Mon cher Julio, je suis maintenant tranquille, et je pourrai, quand il me plaira,

ôter la vie à don Kimen; mais avant que je l'immole à mon honneur, je veux jouir du doux contentement de le faire souffrir la misère et l'horreur d'une longue prison seront plus cruelles pour lui que la mort.

Mais c'était en vain que Stéphani espérait avoir l'esprit en repos, Une nouvelle inquiétude vint l'agiter, il craignait que Julio ne se laissât gagner par des promesses, et cette crainte lui fit prendre la résolution de hâter la perie de l'un et de l'autre. Julio, de son côté, jugeant que son maire, après s'être défait de don Kimen, pourrait bien le sacrifier aussi à sa sûreté, conçut le dessein de se sauver une belle nuit avec tout ce qu'il y avait dans la maison de plus facile à emporter,

Voilà ce que ces deux bonnêtes gens méditaient chacun en son particuliert lorsqu'un jour ils furent surpris l'un et l'autre, à cent pas du château, par quinze ou vingt archers de la Sainte-Hermandad, qui les environnerent tout à coup en criant: 1 par le roi et la justice. A cette vue don Guillem faisant bonne contenance, demanda au commandant à qui il en voulait. A vous-même, lui répondit l'officier: on vous accuse d'avoir enlevé don Kimen de Lizana. Je suis chargé de faire dans ce château une exacte recherche de ce cava

lier, et de m'assurer même de votre personne. Stéphani, persuadé qu'il était perdu, devint furieux; il tira de ses poches deux pistolets, dit qu'il ne souffrirait point qu'on visitât sa maison, et qu'il allait casser la tête au commandant, s'il ne se relirait promptement avec sa troupe. Le chef de la sainte confrérie, méprisant la menace, s'avança sur le Sicilien, qui d'un coup de pistolet le blessa au visage; mais deux ou trois archers firent feu sur lui dans le moment, et le jetèrent par terre raide mort. A l'égard de Julio, il se laissa prendre sans résistance, avoua tout; mais, voyant son maître sans vie, il le chargea de toute l'iniquité.

Enfin il mena le commandant et ses archers à la cave où ils trouvèrent Lizana couché sur la paille,ce malheureux crut que tant de gensjarmés n'entraient dans sa prison que pour le faire mourir; et il fut agréablement surpris d'apprendre que ceux qu'il prenait pour ses bourreaux étaient ses libérateurs. Après qu'ils l'eurent délié et tiré de la cave, il les remercia de sa délivrance, et leur demanda comment ils avaient su qu'il était prisonnier dans ce château. C'est, lui dit le commandant, ce que je vais vous conter en peu de mots.

La nuit de votre enlèvement, un de vos ravis

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scurs qui avait une amie à deux pas de chez don Guillem, étant allé lui dire adieu, cut l'indiscrétion de lui révéler le projet de Stéphani. Cette femme garda le secret pendant deux ou trois jours, mais comme le bruit de l'incendie arrivée à Mièdes se répandit, et qu'il parut étrange que les domestiques du Sicilien, eussent tous péri dans ce malheur, elle se mit dans l'esprit que cet embrâsement devait être l'ouvrage de don Guillem: ainsi, pour venger son amant, elle alla trouver le seigneur don Félix, votre père, et lui dit tout ce qu'elle savait. Don Felix, effrayé de vous voir à la merci d'un homme capable de tout, mena la femme chez le corregidor, qui, après l'avoir écoutée, ne douta point que Stéphani n'eût envie de vous faire souffrir de longs et cruels tourments, et ne fût le diabolique auteur de l'incendie: ce juge m'a ce matin envoyé ordre de vous chercher, et de prendre don Guillem mort ou vif, Je inc suis beureusement acquitté de ma commission Four ce qui vous regarde; mais je suis fàché de ne pouvoir conduire à Siguença le coupable vivant: il nous a mis, par sa resistence, dans v nécessité de le tuer.

Seigneur commandant, s'écria Julio dans cet endroit, vous avez une autre personne prisonnière

à mettre en liberté. Dona Emérenciana est enfer mée dans une chambre obcure, où une du gue impitoyable ne la laisse pas un moment en repos. Julio mena le commandant et don Kimen, suivis de cinq ou six archers, à la prison de la fille de don Guillem. La duègne vint ouvrir. Vous concevez bien le plaisir que Lizana se faisait de revoir sa maîtresse après avoir désespéré de la posséder. Dès qu'il aperçut Emérenciana, il courid se jeler à ses pieds: mais elle avait été tant tourmentée par la duègne, qu'elle en était devenue foile. Ma chère Emerenciana, lui dit'tendrement don Kimen, rappelez votre esprit égaré; apprenez que pos malheurs sont finis, Le commandant même, quoique très peu pitoyable de son naturel, sentit quelques mouvements de compassion, et dit à don Kimen, qu'il voyait accablé de douleur: Seigneur cavalier, ne désespérez point de la guérison de votre dame; mais ne nous arrêtons pas ici plus long-temps.

En disant cela, il présenta la main à Angélique pour l'aider à descendre dans la cour, où se trouva un carrosse à quatre mules prêtes à partir. Il monta dedans avec la dame et don Kimen, et il fit entrer aussi la duègne. On chargea de chaînes Julio, et on le mit dans un autre carrosse auprès

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