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du corps de don Guillem après quoi ils prirent tous ensemble la route de Siguença,

La fille de Stéphani dit en chemin mille extravagances, qui furent autant de coups de poignards pour son amant.

En arrivant à Siguença, le commandant alla rendre compte de sa commission au corregidor, qui sur le champ envoya Julio et la duègne dans les prisons de cette ville, où ils sont encore. Ce juge reçut la déposition de Lizana, qui prit ensuite congé de lui pour se retirer chez son père. Pour dona Emérenciana, le coriégidor eut soin de la faire conduire à Madrid où elle avait un oncle du côté maternel. Ce bon parent, qui ne demandait pas mieux que d'avoir l'administration du bien de sa nièce, fut nommé son tuteur. Comme il ne pouvait honnêtement se dispenser de paraître avoir envie qu'elle guérit, il eut recours aux plus fameux médecins: mais après y avoir perdu leur latin, ils déclarèrent le mal incurable. Sur cette décision, le tuteur n'a pas manqué de faire enfermer ici sa pupille, qui, suivant les apparences, y demeurera le reste de ses jours.

La triste destinée! s'écria don Cléophas. Et don Kimen, ajouta-t-il, qu'est-il devenu? Je suis curieux de savoir quel parti il a pris, Un fort rai

sonnable, repartit Asmodée: Quand il a vu que le mal était sans remède, il est allé dans la Nouvelle-Espagne; il espère qu'en voyageant il perdra peu à peu le souvenir d'une dame que sa raison et son repos veulent qu'il oublie... Mais, poursuivit le diable, après vous avoir montré les fous qui sont enfermés, il faut que je vous en fasse voir qui mériteraient de l'être.

CHAPITRE X.

Dont la matière est inépuisable.

REGARDONS du coté de la ville, et à mesure que je découvriral des sujets dignes d'être mis au nombre de ceux qui sont ici, je vous en dirai le caractère. J'en vois déjà un que je ne veux pas laisser échapper. C'est un nouveau marié. Il y a huit jours que, sur le rapport qu'on lui fit des coquetteries d'une aventurière qu'il aimait, il alla chez elle plein de fureur, brisa une partie de ses meubles, jeta les autres par les fenêtres et le lendemain il l'épousa. Un homme de la sorte, dil Zambullo, mérite assurément la première place vacante dans cette maison.

Il a un voisin, reprit le boiteux, que je ne trouve pas plus sage que lui. C'est un garçon de

quarante-cinq ans qui a de quoi vivre, et qui veut, se mettre au service d'un grand. J'aperçois la veuve d'un jurisconsulte; la bonne dame a douze lustres accomplis: son mari vient de mourir; elle veut se retirer dans un couvent, afin, dit-elle, que sa réputation soit à l'abri de la médisance.

Je découvre aussi deux pucelles, ou, pour mieux dire, deux filles de cinqnante ans : elles font des vœux an ciel pour qu'il ait la bonté d'appeler leur père qui les tient enfermées comme des mineures. Elles espèrent qu'après sa mort elles trouveront de jolis hommes qui les épouseront par inclination. Pourquoi non ? dit l'écolier: il y a des hommes d'un goût si bizarre ! J'en demeure d'accord, répondit Asmodée: elles peuvent trouver des épouseurs, mais elles ne dol. vent pas s'en flatter: c'est en cela que consiste leur folie.

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Je remarque dans une maison poursuivit l'esprit, deux hommes qui ne sont pas trop raisonnables. L'un est un enfant de famille qui ne saurait garder d'argent ni s'en passer : il a trouvé un bon moyen d'en avoir toujours. Quand il est en fonds, il achète des livres, et dès qu'il est à sec, il s'en dé t our la moitié de ce qu'ils lui

ont coûté. L'autre est un peintre étranger qui fait des portraits de femmes : il dessine correctement: il peint à merveille, et attrape la ressem blance; mais il ne flatte point; et il s'imagine qu'il aura la presse. Inter stultos referatur.

Comment donc, dit Pécolier, vous parlez la tin! Cela doit-il vous étonner ? répondit le diable: je parle parfaitement toutes sortes de langues: je sais l'hébreu, le ture, l'arabe et le grec; cependant je n'en ai pas l'esprit plus orgueilleux ni plus pédantesque : j'ai'cet avantage sur vos érudits, Voyez dans ce grand hotel une dame malade, qu'entourent plusieurs femmes qui la veillent : c'est la veuve d'un riche et fameux architecte, une femme entêtée de noblesse. Elle vient de faire son testament: elle a des biens immenses qu'elle donne à des personnes de qualité qui ne la connaissent seulement pas : elle leur fait des legs à cause de leur grand nom. On lui a demandé si elle ne voulait rien laisser à un certain homme qui lui a rendu des services considérables. Hélas! non, a-t-elle répondu d'un air triste, et j'en suis fachée je ne suis point assez ingrate pour refuser d'avouer que je lui ai beaucoup d'obligation; mais il est rôturier

testament.

son nom déshonorerait mon

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Seigneur Ásmodée, interrompit Leandro, appre nez-moi, de grace, si ce vieillard que je vois occupé à lire dans un cabinet ne serait point par hasard un homme à mériter d'être ici ? Sans doute, répondit le démon: C'est un vieux licencié qui lit une épreuve d'un livre qu'il a sous presse. C'est apparemment quelqu'ouvrage de morale ou de théologie, dit don Cléophas. Non, répondit le boiteux, ce sont des poésies gaillardes qu'il a composées dans sa jeunesse. Au lieu de les brûler, ou du moins de les laisser périr avec lui, il les fait imprimer de son vivant, de peur qu'après sa mort ses héritiers ne soient tentés de les mettre au jour, et que, par respect pour son caractère, ils n'en ôtent tout le sel et l'agrément.

J'aurais tort d'oublier une petite femme qui demeure chez ce licencié: elle est si persuadée qu'elle plaît aux hommes, qu'elle met tous ceux qui lui parlent aux nombre de ses amants.

Mais venons à un riche chanoine que je vois à deux pas de là. Il a une folie fórt singulière. S'il vit frugalement, ce n'est ni par mortification, ni par sobriété s'il se passe d'équipage, ce n'est point par avarice. Eh! pourquoi donc ménage-t-il son revenu? C'est pour amasser de l'argent. Qu'en veut-il faire? des aumônes? Non : il achète des

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