Imágenes de páginas
PDF
EPUB

lique a fait construire dans l'église d'un village auprès d'Almaraz, où il s'était retiré après avoir mené à Madrid une lougue et joyeuse vie. Cet auteur a donné au théâtre un grand nombre de comédies pleines de gravelures et de gros sel; mais il s'en est repenti avant sa mort; et, pour expier le scandale qu'elles ont causé, il a fail peindre sur son tombeau une espèce de bûcher composé de livres qui représentent quelques-unes de ses pièces où l'on voit la pudeur qui tient un flambeau allumé pour y mettre le feu.

Outre les morts qui sont dans les mausolées que je viens de vous faire observer, il y en a une infi. nité d'autres qui ont été enterrés ici fort simplement. Je vois errer toutes leurs ombres elles se promènent, passent et repassent sans cesse les unes aupres des autres, sans troubler le profond repos qui regne dans ce lieu saint. Elles ne se parlent point, mais je lis dans leur silence toutes leurs pensées. Que je suis mortifié, s'écria don Cléophas, de ne pouvoir jouir, comme vous, du plaisir de les apercevoir! Je puis encore vous donner ce contentement, lui dit Asmodée, rien n'est plus facile pour moi. En même temps ce démon lui toucha les yeux, et par un prestige lui fit voir un grand nombre de fan-tômes blancs.

A l'apparition de ces spectres, Zambullo frémit. Comment donc, lui dit le diable, vous frémissez? Ces ombres vous font-elles peur ? Que leur habillement ne vous épouvante point; accoutumez-vous-y dès à présent vous le porterez à votre tour; c'est l'uniforme des månes; rassurezvous donc, et ne craignez rien. Pouvez-vous man. quer de fermeté dans cette occasion, vous, qui avez eu l'assurance de soutenir ma vue? Ces gens-ci ne sont pas si méchants que moi.

L'écolier, à ces paroles, rappelant tout son courage, regarda les fantômes assez hardiment. Considérez attentivement toutes ces ombres, lui dit le boiteux : celles qui ont des mausolées sont confondues avec celles qui n'ont qu'une misérable bière pour tout monument. La subordination, qui les distinguait les unes des autres pendant leur vie, ne subsiste plus. Le grand sommelier du corps et le premier ministre ne sont pas plus présentement que les plus vils citoyens enterrés dans cette eglise. La grandeur de ces nobles mânes a fini avec leurs jours, comme celle d'un héros de théâtre finit avec la pièce.

Je fais une remarque, dit Léandro; je vois une ombre qui se promène toute seule, et semble fuir la compagnie des autres. Dites plutôt que les

autres évitent la sienne, répondit le démon, et vous direz la vérité. Savez-vous bien quelle est cette ombre-là ? C'est celle d'un vieux notaire, lequel a eu la vanité de se faire enterrer dans un cercueil de plomb; ce qui a choqué tous les autres mânes de bourgeois dont les cadavres ont été mis en terre ici plus modestement. Ils ne veulent point, pour mortifier son orgueil, que son ombre se mêle parmi eux.

Je viens de faire encore uue observation, reprit don Cléophas: deux ombres, en passant l'une devant l'autre, se sont arrêtées un moment pour se regarder; ensuite elles ont continué leur chemin. Ce sont repartit le diable, celles de deux amis intimes, dont l'un était peintre et l'autre musicien. Ils étaient un peu ivrognes; à celà près fort honnêtes gens. I's cessèrent de vivre dans la même année. Quand leurs månes se rencontrè. rent, frappés du souvenir de leurs plaisirs, ils se dirent par leur triste silence: Ah! mon ami, nous ne boirons plus!

Miséricorde! s'écria l'écolier, qu'est-ce que je vois? Je découvre au bout de cette église deux ombres qui se promènent ensemble qu'elles me paraissent mal appareillées !Leurs tailles et leurs allures sont bien différentes. L'une est d'une

hauteur démesurée et marche fort gravement; au lieu que l'autre est petite et a l'air évaporé. La grande, reprit le boîteux, est celle d'un Allemand, qui perdit la vie pour avoir bu, dans une débauche, trois santés avec du tabac dans son vin; et la petite est celle d'un Français, lequel, suivant l'esprit galant de sa nation, s'avisa, en entrant dans une église, de présenter poliment de l'eau bénite à une jeune dame qui en sortait. Dès le même jour, pour prix de sa politesse, il fut couché par terre d'un coup d'escopette.

De mon côté, dit Asmodée, je considère trois ombres remarquables que je démêle dans la foule. Il faut que je vous apprenne de quelle façon elles ont été séparées de leur matière. Elles animaient les jolis corps de trois comédiennes, qui faisaient autant de bruit à Madrid, dans leur temps, qu'Origo, Cithéris et Arbuscula en ont fait à Rome dans le leur, Voici quelle fut leur fin. L'une creva subitement d'envie, au bruit des applaudissements du parterre, au début d'une actrice nouvelle; l'autre trouva dans l'excès de la bonne chère l'infaillible mort qui le suit, et la troisième, venant de s'é chauffer sur la scène à jouer le rôle de vestale, mou-rut d'une fausse couche derrière le théâtre.

Mais laissons en repos toutes ces ombres, pour

suivit le démon; nous les avons assez examinées. Je veux présenter à votre vue un nouveau spectacle. Je vais, par la même puissance qui vous a fait apercevoir ces mânes, vous rendre la mort visible. Vous allez contempler cette cruelle ennemie du genre humain, laquelle tourne sans cesse autonr des hommes, sans qu'ils la voient, qui parcourt en un clin d'oeil toutes les parties du monde, et fait, dans un même moment, sentir son pouvoir aux divers peuples qui les habitent. `

Regardez du côté de l'Orient : la voilà qui s'offre à vos yeux; une nombreuse troupe d'oiseaux de mauvais augure vole devant elle avec la terreur, et annonce son passage par des cris funèbres. Son infatigable main est armée de la faux terrible sous laquelle tombent successivement toutes les générations. Sur une de ses ailes sont peints la guerre, la peste, la famine, le naufrage, l'incendie, avec les autres accidents funestes qui lui fournissent à chaque instant une nouvelle proie; et l'on voit sur l'autre aile de jeunes médecins qui se font recevoir docteur en présence de la mort, qui leur donne le bonnet, après leur avoir fait jurer qu'il n'exerceront jamais la médecine autreinent qu'on la pratique aujourd'hui.

Quoique don Cléophas fùl persuadé qu'il n'y avait

« AnteriorContinuar »