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mique de garder son sérieux, il lui est échappé un éclat de rire. Ah! que je reconnais bien, dit-il, cette bonne comtesse à ce trait-là ? C'est une femme qui ne peut souffrir la comédie : elle a tant d'aversion pour le comique, qu'elle sort ordinairement de sa loge après la grande pièce pour emporter toute sa douleur. La tragédie est sa belle passion que l'ouvrage soit bon ou mauvais, pourvu que vous y fassiez parler de: amants malheureux, vous êtes sûr d'attendrir la dame. Franchement, si je composais des poëmes sérieux, je voudrais avoir d'autres approbateur; qu'elle.

Oh! j'en ai d'autres aussi, dit le poète tragi. que; j'ai l'approbation de mille personnes du qualité, tant mâles que fem... je me défierai encore du suffrage de ces personnes-là, inter. rompit l'auteur comique: je serais en garde con tre leurs jugements.

Eh bien! a repris l'auteur sérieux, puisque vou voulez que ces juges-là me soient suspects, je m'en fie donc aux applaudissements du parterre. Eh? ne me vantez pas, s'il vous plaît, votre parterre. a répliqué l'autre : il fait paraître trop de capric: dans ses décisions. Il se trompe quelquefois si lourdement aux représentations des pièces nou.

velles, qu'il sera des deux mois entiers sottement enchanté d'un mauvais ouvrage. Il est vrai que dans la suite l'impression le désabuse, et que l'auteur demeure déshonoré après un heureux succès.

C'est un malheur qui n'est pas à craindre pour moi, a dit le tragique : on réimprime mes pièces aussi souvent qu'elles sont représentées. J'avoue qu'il n'en est pas de même des comédies: limpression découvre leur faiblesse : les comédies n'étant que des bagatelles, que de petites productions d'esprit... Tout beau, monsieur l'auteur tra gique, interrompt l'autre, tout beau: vous ne songez pas que vous vous échauffez: parlez, de grâce, devant moi de la comédie avec un peu moins d'irrévérence. Pensez-vous qu'une pièce comique soit moins difficile à composer qu'une tragédie? Détrompez-vous: il n'est pas plus aisé de faire rire les honnêtes gens que de les faire pleurer. Sachez qu'un sujet ingénieux dans les mœurs de la vie ordinaire ne coûte pas moins à traiter que le plus beau sujet héroïque.

Ah! parbleu, s'écrie le poète sérieux d'un ton railleur, je suis ravi de vous entendre parler dans ces termes. Eh bien! monsieur Calidas, pour éviter la dispute, je veux désormais autant estime

vos ouvrages que je les ai méprisés jusqu'ici. Je me soucie fort peu de vos mépris, monsieur Giblet, reprend avec précipitation l'auteur comique; et, pour répondre à vos airs insolents, je vais vous dire nettement ce que je pense des vers que vous venez de me réciter. Ils sont ridicules, et les pensées, quoique tirées d'Homère, n'en sont pas moins plates. Achille parle à ses chevaux, ses chevaux lui répondent : il y a là-dedans une image basse, de même que dans la comparaison du feu que les villageois font sur une montagne.

Puisque vous n'avez pas assez d'élévation de génie, a répliqué Giblet, pour apercevoir les bautés de ma poésie, et pour vous punir d'avoir osé critiquer ma scène, je ne vous en lirai pas la suite. Je ne suis que trop puni d'avoir entendu le commencement, a reparti Calidas. Il vous sied bien à vous de mépriser mes comédies!

Grâce au ciel, dit le tragique d'un air dédaigneux, si j'ai le malheur de n'avoir pas votre estime, je crois devoir m'en consoler. Eh! ne croyez pas, interrompit Calidas, mieux valoir que les auteurs comiques. Pour vous prouver même que je suis convaincu qu'il est plus aisé de composer des poëmes dramatiques sérieux que d'autres, c'est que, si je retourne en France, et que je n'y

réussisse pas dans le comique, je m'abaisserai à faire des tragédies.

Pour un composeur de farces, dit le poète tragique, vous avez bien de la vanité. Pour un versi→ ficateur qui ne doit sa réputation qu'à de faux brillants, dit l'auteur comique, vous vous en faites bien accroire. Vous êtes un insolent, a répliqué l'autre. Si je n'étais pas chez vous, mon petit monsieur Calidas, la péripétie de cette aventure vous apprendrait à respecter le cothurne. Que cette considération ne vous retienne point, mon grand monsieur Giblet, a répondu Calidas. Si vous avez envie de vous faire battre, je vous battrai aussi bien chez moi qu'ailleurs.

En même temps, ils se sont tous deux pris à la gorge et aux cheveux, et les coups de poing et de pied n'ont pas été épargnés de part et d'autre. Un Italien, couché dans la chambre voisine, a entendu tout ce dialogue; et, au bruit que les auteurs faisaient en se battant, il a jugé qu'ils étaient aux prises. Il s'est levé, et, par compassion pour ces Français, quoique Italien, il a appelé du monde. Un Flamand et deux Allemands, qui sont ces personnes que vous voyez en robe de chambre, viennent avec l'Italien séparer les combattants.. Ce démêlé me paraît plaisant, dit don Cléophas,

Mais la nuit est fort avancée : nous allons voir dans un moment paraître les premiers rayons du jour : j'attends de vous un nouveau plaisir. J'apperçois un grand noinbre de personnes endormies: Je voudrais, par curiosité, que vous me disiez les divers songes qu'elles peuvent faire. Très volontiers, repartit le démon. Vous aimez les tableaux changeants: je veux vous contenter.

CHAPITRE XIV.

DES SONGES.

Je crois, dit Zambullo, que je vais entendrǝ des songes bien ridicules. Pourquoi ? répondit le boiteux. Vous, qui possédez votre Ovide, ne savezvous pas que ce poète dit que c'est vers la pointe du jour que les songes sont plus vrais, parce que, dans ce temps-là, l'âme est dégagée des vapeurs des aliments. Pour moi, répliqua don Cléophas, quoi qu'en puisse dire Ovide, je n'ajoute aucune foi aux songes. Vous avez tort, reprit Asmodée : il ne faut ni les traiter de chimères, ni les croire tous ce sont des menteurs qui disent quelquefois la vérité. L'empereur Auguste, dont la tête valait bien celle d'un écolier, ne méprisait pas les songes dans lesquels il était intéressé ; et bien

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