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Vous me persuaderiez si je n'étais pas en garde contre les hommes: mais ce sont des trompeurs; je ne me fie point à leurs paroles; je veux des actions. Eh! quelles actions, madame, exigez-vous de moi? a repris l'amant. Faut-il, pour vous prouver la violence de mon amour, entreprendre les douze travaux d'Hercule? Eh! non, don Nicaise, non, a reparti la dame, je ne vous en demande pas tant. Là-dessus, il s'est réveillé.

Apprenez-moi de grâce, dit l'écolier, pourquoi cet homme, couché dans un lit brun, se débat comme un possédé. C'est, répondit le boiteux, un habile licencié qui fait un songe dont il est terriblemeut agité. Il rève qu'il dispute et soutient l'immortalité de l'âme contre un petit docteur en médecine qui est aussi bon catholique qu'il est bon médecin. Au second étage, chez le licencié, loge un gentilhomme d'Estramadure, nommé don Baltazar Fanfarronico, qui est venu en poste à la cour pour demander une récompense pour avoir tué un Portugais d'un coup d'escopette. Savezvous quel songe il fait ? Il rêve qu'on lui donne le gouvernement d'Antequère, et encore n'est-il pas content. Il croit mériter une vice-royauté,

Je découvre, dans un hôtel garni, deux personnes d'importance qui rêvent bien désagréabel

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mement. L'un, qui est gouverneur d'une place forte, songe qu'il est assiégé dans sa forteresse, et qu'après une légère résistance, il est obligé de se rendre prisonnier de guerre avec sa garnison. L'autre est l'évêque de Murcie. La cour a chargé ca prélat éloquent de faire l'éloge funèbre d'un princesse, et il doit le prononcer dans deux jours. Il rêve qu'il est en chaire, et qu'il demeure court après l'exorde de son discours. Il n'est pas impossible, dit don Cléophas, que ce malheur lui arrive en effet. Non, vraiment, répondit le Diable, et il n'y a pas même long-temps que cela est arrivé à sa grandeur en pareille occasion.

Voulez-vous que je vous montre un somnambule? vous n'avez qu'à regarder dans les écuries de cet hôtel; qu'y voyez-vous? J'aperçois, dit Léandro Pérez, un homme en chemise qui marche, et tient, ce me semble, une étrille à la main. Eh bien, reprit le démon, c'est un palefrenier qui dort. Il a coutume toutes les nuits de se lever de son lit, et, tout en dormant, d'étriller ses chevaux ; après quoi il se recouche. On s'imagine dans l'hôtel que c'est l'ouvrage d'un esprit follet, et le palefrenier lui-même le croit comme les autres.

Dans une grande maison, vis-à-vis l'hôtel garni, demeure un vieux chevalier de la Toison, lequel a

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jadis été vice-roi du Mexique. Il est tombé malade; et comme il craint de mourir, sa vice-royauté commence à l'inquiéter. Il est vrai qu'il l'a exercée d'une manière qui justifie son inquiétude : les chroniques de la Nouvelle-Espagne ne font pas une mention honorable de lui. Il vient de faire un songe dont toute l'horreur n'est point encore dissipée, et qui sera peut-être cause de sa mort. Il faut donc, dit Zambullo, que ce songe soit bien extraordinaire. Vous allez l'entendre, reprit Asmodée il a quelque chose en effet de singulier. Ce seigneur rêvait tout à l'heure qu'il était dans la vallée des morts, où tous les Mexicains qui ont été les victimes de son injustice et de sa cruauté sont venus fondre sur lui en l'accablant de reproches et d'injures: ils ont même voulu le mettre en pièces; mais il a pris la fuite, et s'est dérobé à leur fureur. Après quoi il s'est trouvé dans une grande salle toute tendue de drap noir, où il a vu son père et son aïeul assis à une table sur laquelle il y avait trois couverts. Ces deux tristes convives lui ont fait signe de s'approcher d'eux, et son père lui a dit, avec la gravité qu'ont tous les défunts: Il y a long-temps que nous t'attendons; viens prendre ta place auprès de nous.

Le vilain rêve! s'écria l'écolier : je pardonne au

malade d'en avoir l'imagination blessée. En récom pense, dit le boiteux, sa nièce; qui est couchée dans un appartement au-dessus du sien, passe la nuit délicieusement; le sommeil lui présente les plus agréables idées. C'est une fille de vingt-cinq à trente ans, laide et mal faite. Elle rêve que son oncle, dont elle est l'unique héritière, ne vit plus, et qu'elle voit autour d'elle une foule d'aimables seigneurs qui se disputent la gloire de lui plaire. Si je ne me trompe, dit don Cléophas, j'entends rire derrière nous. Vous ne vous trompez point, reprit le Diable; c'est une femme qui rit en dormant à deux pas d'ici, une veuve qui fait la prude et qui n'aime rien tant que la médisance. Elle songe qu'elle s'entretient avec une vieille dévote dont la conversation lui fait beaucoup de plaisir.

Je ris à mon tour en voyant, dans une chambre au-dessus de cette femme, un bourgeois qui a de la peine à vivre honnêtement du peu de bien qu'il possède. Il rêve qu'il ramasse des pièces d'or et d'argent, et que plus fl en ramasse, plus il en trouve à ramasser: il en a déjà rempli un grand coffre. Le pauvre garçon! dit Léandro, il ne jouira pas long-temps de son trésor. A son réveil, reprit le boiteux, il sera comme un vrai riche qui se meurt, il verra disparaître ses richesses.

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Si vous êtes curieux de savoir les songes de deux comédiennes qui sont voisines, je vais vous les dire. L'une rêve qu'elle prend des oiseaux à la pipée, qu'elle les plume à mesure qu'elle les prend mais qu'elle les donne à dévorer à un beau matou dont elle est folle, et qui en a tout le profit. L'autre songe qu'elle chasse de sa maison des lévriers et des chiens danois dont elle a fait long-temps ses délices, et qu'elle ne veut plus avoir qu'un pelit roquet des plus gentils, qu'elle a pris en amitié.

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Voyez maintenant cette dame endormie dans un superbe lit de velours jaune garni de franges d'argent, et auprès de laquelle il y a, sur un guéridon, un livre et un flambeau. C'est une femme titrée, une dame qui a un équipage très-galant, et qui se plaît à faire porter sa livrée par des jeunes hommes de bonne mine. Une de ses habitudes est de lire en se couchant; sans cela elle ne pourrait fermer l'œil de toute la nuit. Hier au soir, elle lisait les métamorphoses d'Ovide, et cette lecture est cause qu'elle fait en cet instant un songe où il y a bien de l'exiravagance. Elle rêve que Jupiter est devenu amoureux d'elle, et qu'il se met à son service sous la forme d'un grand page des mieux batis.

A propos de celte métamorphose, en voici une

LE DIABLE. T. 11.

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