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autre qui me paraît plus plaisante. J'aperçois un histrion qui goûte dans un profond sommeil. la douceur d'un songe qui le flatte agréablement. Cet acteur est si vieux, qu'il n'y a tête d'homme à Madrid qui puisse dire l'avoir vu débuter. Il y a si long-temps qu'il paraît sur le théâtre, qu'il est, pour ainsi dire, théâtrifié. Il a du talent, et il en est si fier et si vain, qu'il s'imagine qu'un personnage tel que lui est au-dessus d'un homme. Savez-vous le songe que fait ce superbe héros de coulisse? il rêve qu'il se meurt, et qu'il voit toutes les divinités de l'Olympe assemblées pour décider de ce qu'elles doivent faire d'un mortel de son importance.

Le Diable allait continuer mais Zambullo l'interrompit en lui disant: Halte-là, seigneur Asmodée, vous ne prenez pas garde qu'il est jour: j'ai peur qu'on ne nous aperçoive sur le haut de cette maison. Si la populace vient une fois à remarquer votre seigneurie, nons entendrons des huées qui ne finiront pas sitôt.

On ne nous verra point, lui répondit le démon ; je vais former autour de nous une épaise vapeur que la vue des hommes ne pourra percer, et qui ne vous empêchera pas de voir les choses que je voudrai vous faire observer, En effet, ils furent

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tout-à-coup environnés d'une fumée qui, bien que des plus opaques, ne dérobait rien aux yeux de l'écolier.

Retournons aux songes, poursuivit le boiteux... Mais je ne fais pas réflexion, ajouta-t-il, que la manière dont je vous ai fait passer la nuit doit vous avoir fatigué. Je suis d'avis de vous transporter chez vous, et de vous y laisser reposer quelques heures: pendant ce temps-là, je vais parcourir les quatre parties du monde, et faire quelques tours de mon métier; après cela je vous rejoindrai, pour m'égayer avec vous sur de nouveaux frais. Je n'ai nulle envie de dormir, et je ne suis point las, répondit don Cléophas; au lieu de me quitter, faites-moi le plaisir de m'apprendre les divers desseins qu'ont ces personnes que je vois déjà levées, et qui se disposent, ce me semble, à sortir. Que vont-elles faire de si grand matin? Ce que vous souhaitez de savoir, reprit le démon, c'est une chose digne d'être observée. Vous allez voir un tableau des soins, des mouvements, des peines que les pauvres mortels se donnent pendant cette vie, pour remplir, le plus agréablement qu'il leur est possible, ce petit espace qui est entre leur naissance et leur mort,

CHAPITRE XVII.

Où l'on verra plusieurs originaux qui ne sont pas sans copies.

Observons d'abord cette troupe de gueux que Vous voyez déjà dans la rue. Ce sont des libertins, la plupart de bonnes familles, qui vivent en communauté comme des moines, et passent presque toutes les nuits à faire la débauche dans leur maison, où il y a toujours une ample provision de pain, de viande et de vin. Les voilà qui vont se séparer pour aller jouer leurs rôles dans les églises, et ce soir ils se rassembleront pour boire à la santé des personnes charitables qui contribuent pieusement à leur dépense. Admirez, je vous prie, comme ces fripons savent se mettre et se travestir pour inspirer de la pitié.

Regardez attentivement les trois qui vont ensemble du même côté. Celui qui s'appuie sur des béquilles, qui fait trembler tout son corps et semble marcher avec tant de peine, qu'à chaque pas vous diriez qu'il va tomber sur le nez, quoiqu'il ait une longue barbe blanche et un air décrépit, est un jeune homme si alerte et si léger, qu'il

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passerait un daim à la course. L'autre, qui fait le teigneux, est un bel adolescent, dont la tête est couverte d'une peau qui cache une chevelure de page de cour. Et l'autre, qui paraît en cul-dejatte, est un drôle qui a l'art de tirer de sa poitrine des sons si lamentables, qu'à ses tristes accents il n'y a point de vieille qui ne descende d'un quatrième étage pour lui apporter un maravédis.

Tandis que ces feinéants vont, sous le masque de la pauvreté, attraper l'argent du public, je remarque bien des artisans laborieux, quoique Espagnols, qui s'apprêtent à gagner leur vie à la sueur de leurs corps. J'aperçois de toutes parts des hommes qui se lèvent et s'habillent pour aller remplir leurs différents emplois. Combien de projets formés cette nuit vont s'exécuter ou s'évanouir en ce jour! Que de démarches l'intérêt, l'amour et l'ambition vont faire faire.

Que vois-je dans la rue? interrompit don Cléophas: qui est cette femme chargée de médailles, que conduit un laquais, et qui marche avec précipitation? Elle a sans doute quelque affaire fort pressante. Oui, certainement, répondit le Diable, c'est une vénérable matrone qui court à une maison où l'on a besoin de son ministère. Elle y va trouver une commédienne qui pousse des cris, et

auprès d'elle deux cavaliers bien embarrassés. L'un est le mari, et l'autre, un homme de condition qui s'intéresse à ce qui va se passer: car les couches des femmes de théâtre ressemblent à celles d'Alcmène, il y a toujours un Jupiter et un Amphitryon qui sont auteurs du parti.

Ne dirait-on pas, à voir ce cavalier à cheval avec sa carabine, que c'est un chasseur qui va faire la guerre aux lièvres et aux perdreaux des environs de Madrid? Cependant il n'a aucune envie de prendre le divertissement de la chasse: il est occupé d'un autre dessein. Il va gagner un village où il se déguisera en paysan pour s'introduire, sous ces habits, dans une ferme où est sa maîtresse, sous la conduite d'une mère sévère et vigilante.

Ce jeune bachelier qui passe et marche à pas précipités a contume d'aller tous les matins faire sa cour à un vieux chanoine qui est son oncle, et dont il couche en joue la prébende. Regardez dans cette maison, vis-à-vis de de nous, un homme qui prend son manteau et se dispose à sortir. C'est un honnête et riche bourgeois qu'une affaire assez sérieuse inquiète. Il a une fille unique à marier: il ne sait s'il doit la don ner à un jeune procureur qui la recherche,

ou

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