Imágenes de páginas
PDF
EPUB

courtisans qui montaient les degi és. A mesure que ces seigneurs passaient auprès d'eux, le Diable faisait le nomenclateur. Voilà, disait-il à Léandro Pérez, en les lui montrant du doigt l'un après l'autre, voilà le comte de Villalonso de la maison de la Puebla d'Elleraną : voici le marquis de Castro Fueste celui-là, c'est don Lopez de Los Rios, président du conseil des finances: celui-ci, le comte de Villa Hombrosa. Il ne se contentait pas de les nommer, il faisait leur éloge: mais ce malin esprit y ajoutait toujours quelque trait salirique; il donnait à chacun son lardon.

Envisagez continua-t-il, la mine plate qui est derrière vous. Parlez plus bas, interrompit Zambullo, cet homme vous entend. Non, non, répondit le Diable: le même charme qui nous rend invisibles ne permet pas qu'on nous entende. Regar dez cette figure-là : c'est un Catalan qui revient des iles Philippines où il était flibustier. Diriez-vous, à le voir, que c'est un foudre de guerre? Il a pourtant fait des actions prodigieuses de valeur. Il va ce matin présenter au roi un placet par lequel il demande certain poste pour récompense de ses services; mais je doute fort qu'il l'obtienne, puisqu'il ne s'adresse pas auparavant au premier ministre.

dit

Je vois à la main droite de ce flibustier, Léandro Pérez, un gros et grand homme, qui paraft faire l'important: a juger de sa condition par l'orgueil qu'il a dans son maintien, il faut que ce soit quelque riche seigneur. Ce n'est rien moins que cela, répartit Asmodée: c'est un hidalgo des plus pauvres, qui, pour subsister, donne à jouer sous la protection d'un grand.

Mais je remerque un licencié qui mérite bien que je vous le fasse observer. C'est celui que vous voyez qui s'entretient auprès de la première fenêtre avec un cavalier vêtu de velours gris blanc. Ils parlent tous deux d'une affaire qui fut jugée par le roi, je vais vous en faire le détail.

Il y a deux mois que ce licencié qui est académicien de l'académie de Tolède, donna au public un livre de moral qui révolta tous les vieux auteurs castillans: ils le trouvèrent plein d'expressions trop hardies et de mots trop nouveaux. Les voilà qui se liguent contre cette production singulière: ils s'assemblent et dressent un placet, qu'ils présentent au roi, pour le supplier de condamner ce livre, comme contraire à la pureté et à la netteté de la langue espagnole.

Le placet parut digne d'attention à sa majesté qui nomma trois commissaires pour examiner

l'ouvrage. Ils estimèrent que le style en était effectivement répréhensible, et d'autant plus dangereux qu'il était plus brillant. Sur leur rapport, voici de quelle manière le roi à décidé : il a ordonné, sous peine de désobéissance, que ceux des aca↑ démiciens de Tolède qui écrivent dans le goût de ce licencié ne composeront plus de livres à l'avenir; et que même, pour mieux conserver la pureté de la langue castillane, ces académiciens ne pourront être remplacés, après leur mort, que par des personnes de la première qualité.

[ocr errors]

Cette décision est merveilleuse, s'écria Zambullo en riant: les partisans du langage ordinaire n'ont plus rien à craindre. Pardonnez-moi, répartit le démon les auteurs ennemis de cette noble simplicité qui fait le charme des lecteurs sensés ne sont pas tous de l'académie de Tolède.

Don Cléophas fut curieux d'apprendre qui était le cavalier habillé de velours gris-blanc qu'il voyait en conversation avec le licencié. C'est, lui dit le boiteux, un cadet catalan, officier des gardes espagnole. Je vous assure que c'est un garçon très spirituel. Je veux, pour vous faire juger de son esprit, vous citer une repartie qu'il fit hier à une dame de fort benne compagnie : mais, pour l'intelligence de ce bon mot, il faut savoir qu'll à un frère

nommé don André de Prada, qui était, il y a quelques années, officier comme lui dans le même corps.

Il arriva qu'un jour un gros fermier des domaines du roi aborda ce don André, et lul dit: Seigneur de Prada, je porte même nom que vous; mais nos familles sont différentes. Je sais que vous êtes d'une des meilleures maisons de Catalogne, et en même temps que vous n'êtes pas riche: moi, je suis riche et d'une naissance peu illustre. N'y aurait-il pas moyen de nous faire part mutuellement de ce que nous avons de bon l'un et l'autre? Don André répondit que oui. Cela étant répliqua le fermier, si vous voulez me les con¡muniquer, je les mettrai entre les mains d'un habile généalogiste qui travaillera la-dessus, et nous rendra parents en dépit de nos aïeux. De inon côté, par reconnaissance, je vous ferai présent de trente mille pistoles. Sommes-nous d'accord? Don André fut ébloui de la somme : il accepta la proposition, confia ses pancartes au fermier, et, de l'argent qu'il en reçut, acheta une terre considérable en Catalogne, où il vit depuis ce temps-là.

Or son cadet, qui n'a rien gagné à ce marché était hier à une table où l'on parla par hasard

[ocr errors]

du Seigneur de Prada, fermier des domaines du roi, et là-dessus une dame de la compagnie, adressant la parole à ce jeune officier, lui demanda s'il n'était pas parent de ce fermier. Non, madame, lui répondit-il, je n'ai pas cet honneur-là c'est mon frère.

L'écolier fit un éclat de rire à cette repartie qui lui parut des plus plaisantes. Puis apercevant tout-à-coup un petit homme qui suivait un courtisan, il s'écria: Eh, bon Dieu !que ce petit homme qui suit ce seigneur lui fait de révérences! il a sans doute quelque grâce à lui demander? Ce que vous remarquez là, reprit le Diable, vaut bien la peine que je vous dise la cause de ces civilités. Ce petit homme est un honnêle bourgeois qui a une assez belle maison de campagne aux environs de Madrid, dans un endroit où il y a des eaux minérales qui sont en réputation. Il a prêté sans intérêt cette maison pour trois mois à ce Seigneur, qui a été prendre les eaux : le bourgeois, en ce moment, prie très-affectueusement ledit Seigneur de le servir dans une occasion qui se présente et le Seigneur refuse fort poliment de lui rendre service.

Il ne faut pas que je laisse échapper cc cavalier de race plébéienue, lequel fend la presse en

« AnteriorContinuar »