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eft la pudeur; & à fes Heros la nobleffe LeTale. de leur condition pour les faire badiner. Il remarque encore un défaut tresimportant dans ce Poëte, en ce qu'il mefle le caractere badin avec le ferieux, & toute la force & la majefté de la Poëfie heroïque, à la délicateffe de l'Eclogue & de la Poëfie Lyrique.

En un mot il luy trouve je ne fçay quoy de puerile dans le détail qu'il fait de temps en temps de diverfes chofes agreables & divert ffantes qu'il a coûtume de mefler dans fes Narrations & dans fes Descriptions,qui font quelquefois trop belles pour ne paroître point trop affectées & trop étudiées. Il y a du bas & du comique à l'excés, pour ne rien dire davantage, dans les difcours tendres & galans qu'il fait tenir à quelques-uns de fes Heros, & fur tout à Ólinde & à Sophronie. Ces avantures de Bergers du VII. Chant arrivées à Herminie, les chiffres de fon Amant qu'elle écrit fur l'écorce des Lauriers, les plaintes qu'elle fait aux arbres & aux rochers, ce bruit des ruiffeaux, cet émail des prairies, ces chants des oifeaux où le Pcëte prend luy-mefme tant de plaifir, ces enchantemens de la foreft du XIII. Chant, ces Chanfons d'Armide au

LeTaffe. XIX. ces careffès que cette Enchantereffe fait à Renaud n'ont rien d'Heroïque, ni mefme rien d'affez grand pour entrer dans la conftitution du Poëme Epique.

Le mefme Auteur dans un autre de

fes Ouvrages (17) dit que bien qu'il puiffe fe rencontrer dans le Taffe quelques morceaux qui auront plus d'éclat que l'on n'en apperçoit dans Virgile, on ne trouve pourtant pas que toutes les proportions qu'ils doivent avoir avec l'Action principaley foient gardées aussi juftement que dans Virgile, lors qu'on fe donne la peine de les examiner de prés & de les confronter avec cet Original. Mais le plus fenfible de tous les effers que peut produire en nous cette confrontation de la Jerufalem avec l'Eneïde eft la difference des deux Heros de ces Poëmes. Dans l'Eneïde c'eft Enée qui eft l'ame qui refide dans toute la piece & qui anime tout, Enée eft le Genie qui prefide à tout, c'eft l'efprit qui conduit toutes chofes, il fe trouve par tout, foit par fa prefence, foit par fes ordres, il fait perfonnellement tout ce qu'il y a de plus important. Dans la Jerufalem, Godefroy fert de titre au Poëme, & c'eft prefque tout ce que

Pon en peut dire ; dans le rette on ne le LeTaffe diftingue prefque pas d'un Officier ordinaire. C'est un autre que luy qui fait tout ce qu'il y a d'éclatant & d'extraordinaire. Ce n'eft pas luy qui tuë Adrafte, Tyfapherne, Solyman, ni aucun autre des principaux chefs des ennemis. Ce n'eft pas luy qui rompt le charme de la foreft enchantée. Les Epifodes les plus importans ne font pas pour luy.

Le Taffe touché de ces reproches qui luy furent faits de fon vivant mefme, voulut fe juftifier ou s'excufer par une Apologie qu'il fit pour fon Poëme. Mais

en voulant examiner les chefs d'accufation qu'on luy objectoit, il ne pût s'empefcher de découvrir luy-mefme une partie de fes défauts & de les expofer au jour. C'est ce qui a fait dire à Monfieur Godeau (18), qu'il trouvoit le Taffe malheureux de s'eftre engagé à défendre fon Ouvrage contre ceux qui l'èusfent laiffé fans doute. Peut-eftre croioitil, continuë le mefme Auteur, qu'il n'y avoit pas moins de merite à le fçavoir défendre auffi doctement qu'il a fait, qu'à l'avoir mis à ce point de perfection où nous l'admirons, parce qu'en foûtenant fon Ouvrage, il a montré qu'il avoit une profonde connoiffance de l'Art,

Le Taffe. & qu'il travailloit felon les regles, à ce que pretend ce Prelat. Mais le P. Rapin témoigne que c'eft en vain que le Taffe a voulu fauver fes fautes dans tout ce grand difcours (19), & que c'cftoit juftifier des chimeres par d'autres chi

meres.

Et quoique, felon ce que nous avons remarqué plus haut, Monfieur Godeau ait jugé qu'il eft toûjours demeuré dans les termes de la Religion Chreftienne, Monfieur de Balzac n'a point laiffe de le condamner pour l'indifcretion qu'il a euë de mefler les Fables du Paganisme dans un fujet purement Chreftien, & dans une Action joüée fur un Theâtre qui avoit efté, fi on l'ofe dire, celuy où avoient autrefois efté reprefentées les Actions du Sauveur du Monde, & les myfteres de noftre Religion. Il employe, dit-il (20), Pluton & Alecto d'un cofté, & Gabriel & Michel de l'autre il accorde la fainteté avec la Magic: il fe fert d'une Deeffe pour exccuter les ordres de Pierre l'Hermite.

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S'il eft vray que ces vices ayent encore aujourd'huy quelques partifans qui tâchent de leur donner quelque couleur de vertus, ou du moins de les faire prendre pour des licences de la Profef

fon, il n'eft pourtant pas poffible de LeTaffe les faire paffer, & il n'y a pas d'apparence que l'on doive jamais goûter cette bigarure & ce mélange infipide,qui malgré les faifeurs de nouvelles regles rendra toûjours le corps d'un veritable Poëme difforme & monftrueux, comme tenant de deux Natures differentes, & incompatibles dans une conftruction reguliere.

En effet il femble que le Taffe ait esté convaincu luy-mefme des imperfections de cet Ouvrage. Car fuivant la remarque de Monfieur Teiffier (21), le peu de fatisfaction qu'il en recevoit au dehors joint au déplaifir interieur qu'il en reffentoit le porta à le reformer, & l'on a mefme imprimé parmi fes Oeuvres poftumes un traité qu'il avoit fait avant fa mort, du Jugement fur la Ferufalem délivrée, reformée par lny-mefme. C'eft auffi dans la mefme penfée & fur le mesme fujet qu'il compofa depuis un autre Poëme fous le titre de la Ferufalem conquife, qui felon Lorenzo Craffo n'est que fon premier Poëme refait, & raccommodé fur les objections de fes Cenfeurs & fur les nouvelles lumieres (XXI)

Aprés le Godefroy du Taffe, il n'y a aucun de fes Ouvrages qui foit plus ce

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