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LeTaffe. lebre que fon Aminte. Monfieur Rofteau témoigne (22) que cette piece renferme toutes les delicateffes poffibles, & qu'elle ne tient pas un rang beaucoup moins confiderable en fon genre que la Jerufalem mefme dans le fien. Bien plus, les Critiques ont jugé pour la plufpart que c'eftoit un chefd'œuvre, & le modele de toutes les Comedies Paftorales (23), comme l'a remarqué Monfieur de Moreri. C'a efté le premier Ouvrage où l'on ait introduit les Bergers fur le Theâtre, Et le gouft que l'on a temoigné pour cete piece a efté fi public & fi univerfel, qu'on l'a traduite en François, en Efpagnol, en Anglois, en Allemand, & en Flamand. Le Taffe luy-mefme s'eftoit, dit-on, declaré pour fon Aminte au prejudice de toutes fes autres Poëfies, fans en excepter fa Jerufalem.

Quoy qu'il en foit, il est certain, die Monfieur Teiffier (24), que l'Aminte a efté imitée par la plupart des Poëtes Italiens, & fur tout par le Cavalier Guarini, & par le ComteGuidoUbaldo Bonarelli, de forte que le Paftor fido & la Filli di fcire ne font que des copies de cette excellente piece. C'est ce qui a porté le Boccalini (25) à feindre que les Poëtes Ita

liens ayant rompu les cofres du Taffe, LeTafled luy volerent fon Aminte qu'ils partagerent entre eux; & que pour le mettre à couvert de ce larcin, ils fe refugierent dans l'azile de l'imitation. Mais avant que de quitter l'Aminte du Taffe, il ne faut pas oublier de dire que Monfieur Ménage y a fait une Differtation capable d'en faire encore mieux connoiftre le prix aux Italiens mefme, & à ceux qui fçavent leur langue.

Mais on ne peut pas dire autant de bien de la Tragedie de Torifmond, fur tout fi l'on s'en tient au jugement du Taffe mefme, puis qu'il l'a declarée le plus imparfait de tous fes Ouvrages.

Il commença à travailler & à fe faire connoistre par fon Poëme de Rinaldo, qui fut la premiere production de fon merveilleux genie, & qui felon Monfieur Teiffier (26) luy acquit l'eftime de tous ceux qui avoient le gouft delicat pour ces fortes de chofes. Il n'avoit que 18 ans quand il le commença, & il n'en avoit pas vingt quand il l'eut achevé. Mais quoique ce Poëme ne foit l'Ouvrage d'un jeune homme, il merite d'eftre diftingué des fruits ordinaires de la jeuneffe, & il faut confiderer avec Monfieur Menage & le mefme Mon

que

Tafle.

fieur Teiffier, que ce jeune homme étoit Torquato Taffo.

Enfin le plus férieux de fes Ouvrages eft le Poëme des fept jours ou de la creation du Monde; il eftoit revenu de fa folie quand il le compofa, & il eftoit pour ainfi dire, délivré de la poffeffion de ce Demon Poëtique que l'on appelle Apollon, & qui caufe l'Entonfiafme & la fureur Poetique. Il le mit en vers libres & deliez, témoignant à fes amis qu'il euft fouhaité que fes autres Ouvrages qui ne font pas de petits vers, & particulierement fa Jerufalem en euffent efté compofez en cette efpece de vers fans rime (27).

Le Poëme de la Creation fut fi bien receu à Rome, où le Cardinal Aldobrandin avoit fait venir le Poëte, qu'il eftoit fur le point d'y recevoir avec les folemnitez accoûtumées la Couronne & le Laurier, lors qu'il luy falut paffer à l'au tre monde.

Comme cette Fureur Poëtique nous a laiffé dans la perfonne du Taffe l'exemple le plus éclatant & peut-eftre le plus convainquant que l'on ait jamais. vû des effets qu'elle produit dans le cerveau des Poëtes, je ne puis me difpenfer de dire quelque chofe de ce que les

Auteurs en ont écrit, fur tout voyant LeTaffe qu'elle fert de fondement à plufieurs de ceux qui veulent faire le jugement de fes Ouvrages,

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Monfieur de Thou dit que dés fa jeuneffe fon efprit qui eftoit déja prodigieux & fort extraordinaire d'ailleurs eftoit faifi d'une fureur incurable pendant qu'il eftoit à la Cour de Ferrare (28). Neanmoins il avoit de bons intervalles, durant lefquels il fit plufieurs de ses Ouvrages avec tant de jugement, tant d'élegance, tant de politeffe, & tant de pureté de ftile, que la compaffion qu'on avoit de fon malheur fe tourna enfin en étonnement. En effet la phrenefie qui rend les gens farouches & hebetez, fembloit ne faire autre chofe en luy que d'épurer fon efprit, que d'échauffer & de preparer fon imagination pour luy faire inventer les chofes plus promptement. Il en difpofoit fes matieres plus judicieusement & plus regulierement, & le mal luy fourniffoit des penfées plus nobles, des expreffions plus fortes & des termes plus choifis. Ce qu'il y avoit de furprenant c'eftoit de voir que le Taffe au fortir des accés de fa fureur & du trouble de fon esprit compofoit fes vers avec la plus grande

LeTale. tranquilité du monde, de forte qu'il n'auroit pas efté poffible aux perfonnes les plus fenfées, qui auroient eu la teste la plus libre & la plus repofée de faire la mefme chofe dans leur plus grand loifir, dans leur fens le plus frais, avec toute leur application & toute la force de leur efprit. Et lors qu'on ne confideroit l'efprit du Taffe que dans fes productions, on ne pouvoit s'imaginer qu'il pût avoir efté hors de luy-mefme, quelques égaremens que l'on remarquaft dans fes converfations & fes manieres d'agir, & il n'a paru aucune cho fe dans fes écrits qu'on n'ait pû fort bien attribuer aux effets de cet Enthoufiafme que les Poëtes croient recevoir de la Divinité.

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Monfieur d'Aubignac pretend que le Taffe n'attendoit pas les intervalles de tranquilité que fa phrenefie luy accordoit de temps en temps pour travailler à fes Poëfies; mais il veut nous faire croire qu'il faloit qu'il fust mefme au milieu de fes tranfports pour faire fes vers; & qu'il ne reüffiffoit jamais mieux que lors que l'Enthoufiafme le tenoit actuellement en fievre chaude ( 29 ). Mais quand cette circonftance feroit auffi peu veritable qu'elle eft difficile à croire, les

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