Mort de Germanicus: Tibere ruine les Allemans &les Thraces en
les divifant: Loix contre les courtisanes, contre les
Egyptiens, & contre les Juifs.

I

L'AN DE JESUS-CHRIST 19, DE TIBERE 5, 6.
'M. Junius Silanus, & L. Norbanus Balbus, Confuls.
ERMANICUS fut en ce temps-ci en Egypte, plus par
curiofité que pour aucune affaire. Et neanmoins il y fou-
lagea le pays preffé par une grande famine,en faifant ouvrir les
greniers. Il ne croyoit pas fans doute eftre compris dans la dé.
fenfe qu'Augufte avoit faite aux Senateurs d'aller en Egypte.
Cependant Tibere fe plaignit aigrement en plein Senat de ce
qu'il avoit violé cet ordre.

b

73. P. 63.64.

C.

P.

p. 665. 666.

'Il revint d'Egypte en Syrie,où il trouva que Pifon avoit ren- Tac. an, 2.c.59. verfé tout ce qu'il y avoit ordonné, ce qui forma entre eux une inimitié toute ouverte.' En mefme temps Germanicus tomba ibid. Suct.1.4. dans une longue maladie, qui apres diverfes rechutes l'emporta c. I. P. 420.424. enfin, quelque regret qu'il euft de mourir par le crime de Plancine, & malgré les larmes de tous les peuples.' Car ce prince ibid/ Dio, 1. 57. estoit aimé generalement de tout le monde,& dans l'Empire & 6. c.d/val. dehors, n'ayant rien ni dans fon corps, ni dans fon efprit qui Suet. 1. 4.c.3. n'attiraft l'eftime & la veneration. Drufus mefme [ à quiil fem- 421 Tac. an. bloit difputer l'efperance de la fouveraineté,] ne laiffoit pas de Tac an. 2. c. l'aimer. [Tibere fon oncle, & fon pere par adoption, ] & qui 43.p.54. d& d Dio, 1.57. P. n'euft pas efté Empereur fi Germanicus euft voulu accepter les offres des legions, [ eftoit prefque le feul qui ne l'aimast pas : ]'& Tac.c. 43. p.54. le peu d'amour qu'on voyoit qu'il avoit pour luy, augmentoit celui des autres.

P.

с

I. c. 33. p. 20.

615. c.

'Il mourut à Epidaphné, dit Tacite; [c'eft à dire au fobourg c. 83.p. 67. de Daphné,lieu celebre auprés d'Antioche.]'Car d'autres hifto- Suet. 1.4. c.1. p. riens affurent que ce fut à Antioche qu'il mourut. Il eftoit dans 420 Dio, 1.57. la 34 année de fon age. f Il femble que ç'ait efté au mois de decembre, [ou peu peu devant. ]

8 Il avoit epoufé Agrippine fille d'Agrippa & de Julie fille d'Augufte:[ & cette princeffe fort differente de fa mere & de fa fœur Julie, ne fe rendit pas moins celebre par fa chafteté que 1. Il cft quelquefois appellé Flaccus au lieu de Baibus. Dio, l. 57.p. 601 | Tac. an. 2. p. 38.

p. 515. c.

Suet. c. I. p.

420.

fc.6.p.425. g c. 7. P. 425.

P.425.

Tac.an. 2.c.54. p.58 Birag. P.

76-78.

423.

res, 6.

par fon courage trop grand pour vivre fous Tibere. ]'Germa- 19, de Tibe-
nicus en eut neuf enfans, Neron & Drufus, dont nous verrons
la fin malheureuse, Caius Caligula qui fucceda à Tibere, trois
autres garçons morts dans l'enfance, & trois filles nées de fuite
en l'espace de trois ans, qui furent Agrippine mere de Neron,
Drufille,& Liville,'nommée ordinairement Julie. Agrippine ac-
coucha de ce dernier de tous fes enfans dans l'ifle de Samos, en
fuivant fon mari en Orient, en l'an 17 de J. C.

Suct. 1. 4. c.5.p. Entre les marques de douleur que les peuples donnerent à la
mort de Germanicus, on pretend que le jour qu'elle arriva on
jetta des pierres contre les temples, on renverfa les autels, on
jetta dans les rues les dieux domeftiques. [ Il est aifé de juger
quelle idée avoient de leurs dieux ceux qui les traitoient de
la forte pour l'amour d'un homme.]

e. 2. p. 420 Tac.

an. 2. c.43. P.54. 420 Tac. c. 9. &c|Dio, 1.57.p.

a Suet. c. 2. P.

615.c.d.

b Tac. an. 2. C. 70. p. 64.

c. 74-81. p. 64-66.

'On a cru que fa mort venoit de la jalousie que Tibere avoit conceue contre luy, & Livie contre Agrippine. a Mais au moins on ne douta pas que Pifon & Plancine fa femme n'en eussent efté cause ou par poifon ou par magie. b C'est pourquoi Germanicus fe voyant malade,fit, comme on croit, commandement à Pifon de quitter la Syrie. Pifon y obeit. Mais ayant appris dans l'ifle de Cos Germanicus eftoit mort, il voulut fe remettre les armes en poffeffion du gouvernement. Neanmoins Cn. Sentius qui y commandoit, l'obligea de s'en retourner à Rome. 'Agrippine s'y en retourna auffi, accompagnée de fes amis, portant avec elle les cendres de fon mari, & refolue de venger fa an 3. c. 2. p. 70. mort. 'Elle n'arriva à Rome qu'au commencement de l'année fuivante.

c. 75. p. 64.

par

que

'Durant que cela fe paffoit en Orient, Tibere fit fi bien par fes intrigues, & en armant les Allemans les uns contre les autres, que MarobodeRoy desSueves, dont il apprehendoit la puiffance, fut chaffé de fes Etats, & reduit à venir achever à Ravenne les dixhuit dernieres années de fa vie. Catualde qui avoit en cela fervi de miniftre à Tibere, fut chaffé luy mefme peu de temps aprés,, & chercha fa fureté dans la ville de Frejus. Ils avoient amené chacun avec eux beaucoup d'Allemans: mais depeur que le mélange de ces barbares étrangers ne troublast le repos des provinces, Tibere les renvoya audelà du Danube, où il leur donna des terres,& un Quade nommé Vannius pour Roy. 'Vannius gouverna ces Sueves durant trente ans, & fut chaffé fous Claude en l'an 50.

'La politique de Tibere alla encore à laiffer perir Cotys, qui

regnoit

19, de Tiberes, 6.

regnoit dans une partie de la Thrace avec beaucoup de dou-
ceur & de bonté. Rhefcuporis fon oncle, Roy de l'autre partie
de la Thrace, qui l'avoit fait mourir, fut bientoft puni de fon
crime, non par les armes de Tibere, mais par les menfonges de
Pomponius Flaccus, que Tibere choifit exprés pour le tromper,
parcequ'il eftoit fon plus grand ami. [ Jamais on ne vit de con-
duite plus indigne, quoiqu'un prince qui trahiffoit fon propre
neveu, meritast bien d'avoir des traiftres pour amis.] La Thrace
fut enfuite partagée entre Rhometalce fils de Rhefcuporis,
mais qui n'avoit point eu de part à sa faute, & les enfans de
Cotys; [ce qui dura jufqu'à l'an 38. ]

Cependant lorfqu'un Seigneur Alleman s'offrit d'empoison- c.88. p. 68.
ner Arminius, on luy répondit que le peuple Romain se ven-
geoit de fes ennemis à force ouverte,& non par des laschetez ni
par des crimes. Tibere reconnoiffoit luy mefme que cette ma-
niere d'agir eftoit glorieuse. [ Mais fon peu de cœur luy en fai-
foit fouvent prendre une contraire.]'Arminius fut tué quelque p.68.
temps aprés par les fiens, en voulant opprimer la liberté de fa
patrie, qu'il avoit défendue durant douze ans avec tant de
gloire.

371.

'Les anciens Romains avoient cru punir affez feverement les c.85.p. 67uet. femmes qui vouloient s'abandonner aux derniers dereglemens, 1.3.c.35.p.370. en les obligeant de faire une declaration publique de leur infamie devant les magiftrats. Mais comme on vit que cette honte ne retenoit pas mefme les perfonnes de condition, le Senat ordonna cette année que celles qui eftant filles, petites-filles, ou veuves de Chevaliers Romains, tomberoient dans ce defordre, feroient bannies.

Suet. 1. 3. c. 35.

p.372.

a Dio, l. 54. p.

25. a. b.

'Le Senat condanna encore la religion des Juifs, avec les fu- Tac. an. 2.c.85. perftitions des Egyptiens, & ordonna,dit Tacite, que les uns & p. 67. 68. les autres fortiroient d'Italie, s'ils ne changeoient de religion dans un certain temps, 'fur peine à ceux qui n'obeïroient pas, d'eftre reduits pour toujours en fervitude. On avoit déja défendu les ceremonies des Egyptiens du temps d'Augufte: b mais on fut obligé de renouveller, & d'augmenter mefme cette défense à l'occasion d'une hiftoire tres fcandaleufe que Jofeph rapporte.'Il dit que l'on jetta dans le Tibre la ftatue d'Ifis, que l'on renverfa fon temple, & que l'on mit en croix fes preftres. V. la ruine [Pour ce qui regarde les Juifs, "nous en parlerons plus amplement en un autre endroit.]

des Juifs.

$5.

Jof. ant. 1. 18, C.4.P. 622. 623.

p.

623. b. c.

'Pline remarque que le huitieme juillet de cette année, il fe Plin.l. 2. c.87.

P. 38.

forma une nouvelle ifle prés de celle de Delos dans l'Archipe

lage.

re 6, 7.

Tac.an.3.c.2.p. 701 17.18. p.75. C. 1.2. P. 70.

c. 8-19. p. 72

75Dio, 1.57. P. c. 52. p. 389 1.4.

615. d Suct. 1.3.

c. 2. p. 421.

Tac. an. 3. c.29.

P. 79.

ARTICLE XII.

La mort de Germanicus peu punie: Troubles dans la Thrace
dans les Gaules.

L'AN DE JESUS-CHRIST 20, DE TIBERE 6, 7.
'M. Valerius' Meffalinus, & M. Aurelius Cotta, Confuls.

A

GRIPPINE eftant arrivée à Rome au commencement de l'année,avec les cendres de Germanicus fon mari :' & Pifon y eftant auffi arrivé quelque temps aprés, les amis de Germanicus le pourfuivirent devant Tibere, qui les renvoya au Senat. Ils eurent peine à prouver le poifon : mais tout le monde en eftoit fi perfuadé, que Pifon voyant que Tibere ne le fupportoit point, & que Plancine fa femme s'eftoit affurée de fa grace pour elle feule, il fetua luy mefme; fi Tibere ne le fit tuer, comme quelques uns le crurent,depeur qu'il ne produifift les ordres qu'il luy avoit donnez par écrit contre Germanicus. Tout le monde murmura fort de l'abfolution de Plancine: car on n'ofa la refufer à Livie, quoiqu'on la tinft encore plus coupable de la mort de Germanicus que fon mari mefme.

'Neron, fils aifné de Germanicus, epoufa cette année Julie fille de Drufus, [& petite-fille de Tibere. ] Ce prince lui fit encore plufieurs autres honneurs, qui donnerent de la joie au peup. 79' Suet. 1.5. ple. Mais on voyoit d'autre part avec douleur que Tibere def

C. 27. p. 548.

21. p. 75.

honoroit cette race illuftre, en fiançant la fille de Sejan avec un
autre Drufus neveu de Germanicus, & fils de Claude qui regna
depuis.Ce mariage ne s'accomplit pas neanmoins, Drufus étant
mort peu de jours aprés, étoufé par une poire qu'il avoit jettée
en l'air, & receue dans fa bouche.

Tac. an. 3.c. 20. Tacfarinas qui avoit efté défait quelque temps auparavant v. § 1.
par Camillus,recommença en celle ci à courir & à piller l'Afri-
que. Mais L.Apronius Proconful le contraignit encore de s'aller
cacher dans les deferts: à quoy la feverité dont il punit des
troupes qui avoient manqué de cœur, fervit beaucoup. [Ce fut
peuteftre à caufe de cette guerre, que ]' Tibere fit paffer en Afri-
que une des legions de la Pannonie.

C. 9. p. 72.

1. Idace & la chronique d'Alexandre ont Mellala,& luy donnent Gratus pour collegue.

20, de Tibe

re 6, 7.

$15.

73.

C. 31. P. 79.

'Ce prince modera cette année les rigueurs de la loy Papia, c.25-28. p. 77. V.Augufte faite contre ceux qui ne fe marioient pas, & qui ne fervoient qu'à remplir l'epargne en mettant en danger un grand nombre de perfonnes, fans multiplier les enfans ni les mariages. L'AN DE JESUS CHRIST 21, DE TIBERE 7, 8. 'Tiberius Auguftus IV, & Drufus Cefar 11, Confuls. 'Tibere ne tint que trois mois fon quatrieme Confulat. Mais on tira un mauvais augure pour Drufus fon fils de le voir collegue de fon pere. Car on remarque que tous ceux qui ont efté Confuls avec Tibere, font peris par le fer ou par le poifon. 'Des le commencement de l'année, Tibere s'en alla dans la Campanie, comme pour s'accoutumer peu à peu à quitter Ro- P. 79.80 me avant que de l'abandonner entierement.

V.§ 38.

Suet. 1.3.c.26.p.

31.

a Dio, 1.57. p.

16.d. c.

Tac. an. 3. c.31.

Severus Cæcina voulut faire renouveller l'ancienne police c.33. 34. p.so. des Romains, qui ne permettoit pas aux femmes de fuivre leurs 81. maris dans les provinces dont on les faifoit Gouverneurs; & il fit voir qu'elles eftoient d'ordinaire la caufe des fautes qu'on reprochoit à leurs maris. Mais les Romains n'eftoient plus capables de cette ancienne feverité, ni leurs femmes de conferver à leurs maris eloignez l'honneur & la foy qu'elles leur devoient. 'Les Odryfes & d'autres peuples de la Thrace, indignez de ce c.38.39. p. 81. qu'on ne puniffoit pas ceux qui opprimoient les foibles, fe foule. verent cette année contre leurs princes, Mais comme ils n'avoient ni chefs, ni union entre eux, ils furent bientoft dissipez par P. Velleius, qui accourut avec les troupes Romaines, & fit lever le fiege que les rebelles avoient mis devant Philippople, 'ville où l'on pretend que Philippe pere d'Alexandre avoit ra- n. maffé les plus méchans hommes. 'On croit que ce P. Velleius eft le Velleius Paterculus dont l'histoire finit en la 17 année de Tibere, quoiqu'il foit nommé par d'autres Caius ou Marcus, [Nous en parlerons" dans la fuite.]

92.

.91 Voff. h,

lat. 1.1. c. 24. P.

120.

'Il Y eut auffi cette année une grande revolte dans les Gaules, Tac.an.3.c.40.
dont Julius Florus de Treves, & Julius Sacrovir d'Autun furent 47. p. 82-84.
les chefs. Les tributs en furent la caufe, parceque ceux qui
manquoient d'argent pour les payer étoient contraints de ferui-
ner entierement par des emprunts ufuraires. Les peuples d'An-
gers & de Tours fe declarerent les premiers, & furent les pre-
miers défaits: ceux de Treves enfuite, & enfin ceux d'Autun,
qui avoient formé une armée de quarante mille hommes. Ils
paffoient pour les plus riches des Gaules, & d'autant plus puis-