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Ah! je pafme, je meurs !

DARAME T.

Il les faut appaiser.

Ces cris font fuperflus;

DAMOCLE' E.

Ah! Dieux, je n'en puis plus,

L'excez de la douleur m'empefche la parole.
CHINDONNAX.

Allez, fage vieillard, l'Eternel vous confole,
Allez verfer chez vous ces inutiles pleurs,
Sa préfence ne fait qu'augmenter vos douleurs.
Or fus, il faut penfer à conduire l'hoftie,
Qu'on aprefte l'encens, la farine rollie,

Et les coufteaux facrez, c'eft trop perdre le temps.
YDALIE.

[tens? Me faut-il donc mourir, Dieux, qu'eft-ce que j'enPenfe-t-on que le Dieu que ce bois repréfente Se plaife a voir le fang d'une fille innocente?

TISIMANDRE.

Que ce foit pluftoft moy que l'on meine à la mort,
Auffi-bien chacun fçait que l'Amour & le fort
M'ont condamné pour elle à mourir dans la flame.
CHINDONNAX.

Cela ne fe peut pas, j'en porterois le blafme,
Dieu n'ayme rien d'injufte, & jamais ne confent
De voir pour le pecheur endurer l'innocent.

TISIMANDRE.

Je luy monftreray donc,en mourant premier qu'elle, Que je fuis courageux autant comme fidelle.

DARAMET.

Arreftez-vous, Berger.

TISIMANDRE.

Ne m'en empefchez point;

Auffi-bien que l'Amour, la raifon me l'enjoint, C'eft le meilleur advis qu'à préfent je puis fuivre,

Il faut fçavoir mourir, quand on ne doit plus vivre. CHINDONNAX.

Pour un fi beau fujet vos pleurs font approuvez;
Mais après l'avoir plainte autant que vous devez,
Nenous obligez point à vous plaindre vous-mefine.
TISIMANDRE.

Ne me deffendez point de fuivre ce que j'ayme.
CHINDONNAX.

Quel efpoir vous convie à la fuivre au trefpas?
Vos yeux n'y verront plus fes aimables appas,
La grace, la beauté, la jeuncffe & la gloire
Ne paffent point le fleuve où l'on perd la mémoire.
TISIMANDRE.
Rien ne peut effacer les agréables traits

Dont elle a dans mon ame imprimé fes attraits;
L'Enfer n'a point d'horreur ny de nuict affez fombres
Dont le jour de fes yeux ne diffipe les ombres.
CHINDONÑAX.

Ces yeux, & ce beau teint de rofes & de lys
Sous celuy de la mort feront enfevelis ;

L'horreur qui l'accompagne eft à toutes commune,
On n'y recognoift point la blanche de la brune.
TISIMANDRE.
Bienheureux fi je perds avec le fentiment,
Le feu dont fon amour me brufle inceflamment;
Mais plus heureux encor fi mon ame éternelle
Conferve après ma mort l'amour que j'ay pour elle.
CHINDONNAX.
Toutes les paffions qui regnent icy bas,

Ne fuivent point noftre ombre en la nuict du trefpas:
Ce qu'on dit de Pluton & de fes Eumenides,
N'eft qu'une impreffion qu'ont les ames timides;
Ces lieux où prennent fin nos pleurs & nos défirs,
N'ont point de fi grands maux,ny de fi doux plaifirs,
Que cet âge où l'Amour, armé de tant de flames

Commence à s'allumer dedans les belles ames;
Chacun s'y rend luy-mefme heureux ou malheureux,
Selon qu'il fe gouverne aux plaisirs amoureux.
L'un attache fes vœux aux conqueftes faciles :
L'autre volant trop haut rend les fiens inutiles;
Bref, des fleurs, que produit cette belle faifon,
L'un en tire le miel, & l'autre le poifon :
Vivez donc & perdez cefte ardeur infenfée,
Qui depuis fi long-temps trouble vostre pensée,
Et fage à vos defpens, jouyffez des plaifirs,
Qu'Amour & la jeuneffe offrent à vos défirs.
TÍSIMANDRE.

Non, non,

il faut mourir, la raifon m'y convic, La mort m'eft à préfent plus douce que la vie, J'ayme mieux n'eftre point que d'eftre malheureux. CHINDONNAX.

Croyez-moy, Tifimandre, un esprit genereux
Oppofe fa conftance au malheur qui l'irrite,
Et fe réfoult pluftoft au combat qu'à la fuite.
TISIMANDRE.

La mort feule a pouvoir de vaincre mon ennuy.
CHINDONNAX.
Quelle erreur de mourir pour la faute d'autruy?
TISIMANDRE.

Mais quelle erreur pluftoft de juger l'innocence,
Sans vouloir feulement efcouter fa deffense?

CHINDONNAX.

Il m'en faut tout fouffrir, j'y fuis bien préparé,
Car que fçaurois-je faire à ce défefperé“,
Que le mal que luy-mefie, à luy-mefine défire?
TISIMANDRE.

Le peur ne me fera ny taire, ny dédire,
Je veux ouyr l'autheur de cefte fauffeté,
Qui veut taxer l'honneur de fa pudicité.

CHINDONNAX.

Bien, vous ferez content, dites que l'on rappelle Ce Berger qui n'a guere a tefimoigné contr'elle. YDALIE.

A quel point m'a réduit la cruauté des Cieux,
Qu'il faille qu'en mourant les hommes & les Dieux
Cognoiffent fa conftance & mon ingratitude?
CHINDONNAX.

Voicy ce qu'on attend avec inquietude:
Venez-ça, mon amy, dites la verité,
Comment la viftes-vous en ce verre enchanté ?
LUCIDA S.
A peine le Devin avoit dit les paroles
Que la magie enfeigne en fes noires escoles,
Qu'il reffort de fon antre, & m'apporte un cristal,
Qui fift voir à mes yeux le bocage fatal

Où ces jeunes Amants,francs de honte & de blafme,
Efteignent tous les jours leur amoureuse flame.
TISIMANDRE.

Ofez-vous, miferable, accufer les abfens,
Sur l'objet qu'une glace a produit à vos fens ?
LUCIDA S.

J'ay regret de luy rendre un fi mauvais office;
Mais il me faut vouloir ce que veut la Justice.
CLEANT E.

Graces aux Immortels, nos Amants font unis,
Les pleurs font appaifez, les tourmens font finis,
D'une extrefme douleur vient une extrefme joye,
L'on plaint à tort le mal que l'Amour nous envoye;
Qui vit deffous fes loix doit tousjours efperer,
Il fait rire à la fin ceux qu'il a fait pleurer.

LUCIDA S.

Quelle bonne nouvelle en ce lieu vous ameine?
CLEANTE.

La nopce qui fe fait au logis de Silene.

LUCIDA S.

Peut-on parler de nopce, & voir tant de malheurs
CLEANTE.

L'aife de toutes parts a terminé les leurs.
A la fin, d'Alcidor le fidele fervice
A touché de pitié la Bergere Artenice,

De fon bonheur extrefme un chacun se reffent,
Ils s'efpoufent demain, le bon-homme y confent,
Son logis eft desja tapiffé de ramées,

De fenouil & de fleurs les falles font femées ;
Et desja maints aigneaux, victimes du festin,
Le coufteau dans la gorge achevent leur deftin.
LUCIDA S.

Quel

Quel fubit changement, quelle eftrange nouvelle !
O Bergere inconftante! ô tefte fans cervelle !
Où font allez ces vœux pleins de zele & de foy?
Seras-tu donc parjure à ton Dieu comme à moy?
Je croy que ta promeffe eftoit plus incertaine
Que les enchantemens du Devin Poliftene.

TISIMANDRE.

Remarquez ce qu'il dit, efcoutez-le parler.

LUCIDAS.

O Dieux! le défefpoir me fait tout déceler.
DARAMET.

Je voy la verité, luy-mefme la confeffe,
Lucidas enragé de voir que fa maiftreffe,
Des flames d'Alcidor avoit le cœur touché
A par l'art du Devin produit ce faux peché;
Qui decevant les yeux & l'ame d'Artcnice,
La rend de cette erreur innocemment complice.
CHINDONNAX.

Cela n'eft pas fans doute, il faut tout à loifir
Y penfer meurement, & pendant se saisir
Du Devin & de luy, peut-eftre en la torture
Ils pourront l'un ou l'autre avouer l'imposture.

LUCIDAS.

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