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AU LECTEUR.

L n'a pas efté en ma puiffance de retirer la Preface de cefte Paftoralle de Monfieur de RACAN, encore qu'il me l'ait fait voir prefque achevée; mais ayant efté contraint d'en faire à la hafte l'argument ( parce qu'un de fes amis qui luy avoit promis de le faire eft tombé malade fur le point qu'elle s'achevoit d'imprimer) j'ay creu qu'il valoit mieux, pour ne vous faire point attendre davantage vous donner la Lettre mefme qu'il efcrivoit à Monfieur de MALHERBE de chez luy, lors qu'il luy envoya ceste piece pour la mettre fous la Preffe. Vous y verrez, à mon advis, les mefines chofes qu'il euft dit dans fa Preface.

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LETTRE

DE MONSIEUR

DE RACAN,

A MONSIEUR

DE MALHERBE,

Gentilhomme ordinaire de la Cham bre du Roy.

MONSIEUR,

Je vous envoye ma Paftoralle " non pas tant pour l'eftime que j'en fais que pour celle que je fais de vous. Je fçay bien que voftre jugement eft fi generalement approuvé, que c'eft renoncer au fens commun, que d'avoir des opinions contraires aux voftres: c'eft pourquoy je fuis d'avis que vous la confideriez un peu plus exactement : & que Tons fçachiez les raifons qui m'ont jufques icy obligé à luy faire garder la chambre. Auparavant

B

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Lettre de Monfieur de Racari

que vous me condamniez de la donner au public vous me mandez qu'il en court tant de copies mal correctes, qu'il eft à propos que je me juftifie des fautes que les mauvais efcrivains ont adjouftés aux miennes : en effet j'avoue que c'eft bien aflez d'eftre refponfable de mes pechez fans. porter la peine de ceux d'autruy; mais auffi en l'eftat où elle eft, je ne feray repris que des belles bouches de la Cour, de qui fes injures mefmes me font des faveurs, au lieu que fi je fuivois voftre confeil, je m'abandonnerois à la cenfure de tous les Autheurs du pays Latin, dont je ne puis pas feulement fouffrir les louanges. Vous fçavez qu'il eft mal aifé que cefte forte de vers, qui ne font animez que par la reprefentation de plufieurs Acteurs, puiffent reuffir à n'eftre leus que d'une feule perfonne. D'où vient que ce qui femblera excellent fur un theatre fera trouvé ridicule en un cabinet. Outre qu'il eft impoffible que les grandes pieces puiffent eftre polies comme une Ode, ou comme une chanfon. Et s'il y a aucune raifon qui me difpenfe des reigles que vous m'avez prefcrites, ce doit eftre la multitude des vers qui font en cét ouvrage. Il eft plus aifé de tenir cent hommes en leur devoir que dix mille, & n'eft pas fi dangereux de naviger fur une riviere que fur l'Ocean. Pour en parfer fainenient je penfe que vous jugerez que je fuis autant au deffous de la perfe&ion; comme je fuis au deffous de tous ceux qui m'ont precedé en ce genre de Poëfie, & que parmy cefte grande confufion de paroles mal digerées, vous n'y trouverez rien digne d'admiration, que de ce qu'un travail de fi longue haleine a efté entrepris par un hom me de mon meftier & de mon humeur. Je fay bien que c'eft aflez dire qu'on eft ignorant & pa

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à Monfieur de Malherbe. reffeux à efcrire, que de dire qu'on fait profeffio des armes mais ce n'eft pas affez me cognoiftre que de croire que je ne le fuis que comme l'ordinaire de ceux de ma condition. Je veux qu'on fçache que je le fuis au fupréme degré ; & me trouve moy-mefme tellement eftonné d'une fi longue navigation, que j'ay peine à me reffouvenir du port d'où je fuis party. J'ai fait comme ceux qui entreprenans un baftiment avec irrefolution, le continuent fur divers deffeins, dont les derniers condamnent ce que les premiers avoient approue vé: d'abord je m'eftois propofé de me fervir d'un fujet affez cogneu dans la Ĉour. Mais les defplaifirs que je receus d'une certaine perfonne qui eût peu s'en attribuer les plus belles advantur es, me firent refoudre à changer les deux premiers actes qui estoient defia faits, pluftoft que de luy don ner le contentement de voir l'hiftoire de fes amours dans mes Vers. Il eft vray que je fuis bien-aife qu'elle porte le nom d'Artenice, & voudroic eftre capable d'en faire durer la memoire auffi long-temps que l'amour que j'ay pour elle. Il y a fi peu de chofe en ce fiecle digne de louange, que je croy que la pofterité ne doit point trouver mauvais dequoy je ne l'entretiens que des folies de ma jeuneffe, puis que je n'ay rien de meilleur à luy dire. Chofe eftrange que ceux qui recherchent l'immortalité au prix de leur fang & de leurs veilles, que celles qui fe retranchent des plus doux plaifirs de la Nature pour s'acquerir la gloire d'eftre vertueufes, facent fi peu de cas de ceux qui la donnent,& qui ont une jurifdiction auffi abfolue fur la reputation de tout le monde, que celle des Parlements fur les biens & fur les vies: n'eft-ce pas faire comme ces gens qui dependent tout ce

20 Lettre de M. de Rac. à M. de Mal.

qu'ils ont à la Cour pour effayer d'y faire leur for tune: fans penfer à se rendre agreables aux Miniftres de l'Eftat? Vous me direz qu'il ne me faut point tourmenter de cela; que ce n'eft point à moy à reformer les humeurs du ficcle, qu'il le faut laiffer comme il eft, & fuivre mon inclination. J'en fuis d'accord avec vous ; & certes ce qui m'a fait eftendre fi long-temps fur cefte matiere eft, que je n'ay point de meilleure ocupation en ma folitude , que de vous enretenir. J'y jouis d'un repos auffi calme que celui des Anges; j'y fuis Roy de mes paffions auffi bien que de mon village; j'y regne paifiblement dans un Royaume qui eft une fois auffi grand que le Diocefe de l'Evef que de Bethleem; & fi je quitterois de bon cœur ceite Royauté (fi mes affaires me le permettoient) pour avoir l'honneur de vous gouverner, & vous. dire moy mefme que je fuis,

MONSIEUR,

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Ce 14. Janvier 162 de la Roche Racan..

Foffre tres-humble fervitem
RACAN

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