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CHANSON

DE TISIMANDRE

Dil faudra mourir dans les fers,

Onc après tant de maux foufferts

Où les yeux d'une ingrate ont mon ame affervie
Je n'en puis efchapper,

On ne les peut coupper
Qu'on ne couppe avec eux le filct de ma vie.
Mes cris font par tout eflancez,

Les pleurs que mes yeux ont verfez

Ont fait dans ces deferts de nouvelles rivieres:
J'invoque tous les Dieux

Et

Des Enfers & des Cieux,

pas un que la mort n'exauce mes prieres.
A grands pas elle vient à moy,

Devant elle marche l'effroy,

L'Amour trifte & penfif à fes pieds rend les armes Et ce monftre inhumain

Arrache de fa main

Son flambeau pour l'efteindre en un fleuve de larmes. Elle euft desja fait fes efforts

Pour me délivrer de ce corps,

Où mon efprit captif fouffre des maux fans nombre; Mais l'extreme tourment

Me change tellement,

Qu'elle croit qu'à préfent je ne fois plus qu'une omDernier efpoir des langoureux,

Seul azile des malheureux: Inhumaine Déeffe acheve ton ouvrage ;

(bre

Tu feras ton devoir,

Et moy je feray voir,

Qu'ay ant beaucoup d'Amour, j'ay beaucoup de cou Mon cœur eft las de foufpirer,

Mes yeux font laffez de pleurer,

[rage.

Le Ciel mefme eft laffé de m'ouir tousjours plaindre: Denué de tout bien

Je n'efpere plus rien,

Et n'efperant plus rien, je n'ay plus rien à craindre.
Mes ans ont achevé leur cours,
<Deformais je voy que les jours
M'accordent à regret leur clarté couftumiere:
O malheur fans pareil !

En fervant un Soleil,

Je verray de ma vie efteindre la lumiere :
Heureux fi ma longue amitié

L'efimouvoit alors à pitié,

Et qu'elle euft quelque part en ma douleur profonde: Pour le moins en ma mort

J'aurois ce réconfort,

Que je ferois pleuré des plus beaux yeux du monde. YDALIE.

O Dieux, il vient icy, que luy pourray-je dire?
TISIMANDRE.

'Adorable beauté, que tout le monde admire,
Voulez-vous de ces Bois les tenebres chaffer,
Que le jour feulement n'a jamais fçeu percer;
Quel miracle de voir en ce lieu trifte & fombre
Une Déeffe en terre, & le Soleil à l'ombre!
Qui vous meine en ces lieux folitaires & doux ?
YDALIE.

Rien que le feul defir de m'efloigner de vous.

TISIMANDRE.

C'eft bien fait de fuir l'abord d'un miferable,

YDALIE.

Celuy d'un importun eft bien moins agreable.
TISIMANDRE.

Nommez-vous mon fervice une importunité ?
YDALIE

Me voulez-vous aimer contre ma volonté ?
TISIMANDRE.

N'avez-vous point pitié d'un cœur qui s'humilie ?
YDALIE.

Si j'ay pitié de vous, c'eft de vostre folie.

TISIMANDRE. Eft-ce-là le loyer de mon affection?

YDALIE.

C'eft trop long-temps fouffrir la perfecution:
Si vous ne me laiffez, il faut que je vous laiffe.
TISIMANDRE.

O cruauté du fort, qui n'as jamais de ceffe!
A quelle nuit d'ennuis me dois-je préparer,
Puis
que ce
beau Soleil ne veut plus m'efclairer ?
YDALIE.

Que j'ay le cœur joyeux de ce qu'il m'a quittée !
Dicux! qu'il eft mal-plaifant, que j'en fuis tourmen-
Certes je ne fçay plus où je me dois cacher, [tée!
Tant il eft importun à me venir chercher;
Ce qui me defplaifoit en sa perfeverance,
Et ce qui me donnoit autant d'impatience,
Eft le defir que j'ay d'aller voir aujourd'huy
Le Berger Alcidor, que j'aime mieux que luy.
Il le faut advoüer, bien que cefte belle ame
Soit efclave d'une autre, & mefprife ma flame,
Sa grace naturelle cft fi pleine d'appas,
Qu'il faut que ma raifon mette les armes bas.
Jay long-temps difputé fi je luy devois dire
L'amoureufe douleur dont mon ame foufpire;
Mais puis que de la fienne il m'importune tant,

1

Je croy que fans rougir j'en puis bien faire autant.
LE SATYRE,

Enfin je jouïray de celle que j'adore,

La voicy qu'elle vient plus belle que l'Aurore:

J'ay vaincu ces vainqueurs qui fouloient me braver,
Je vous tiens, je vous tiens, rien ne vous peut fauver.
YDALIE.

Quoy, mefchant, prenez-vous les filles de la forte ?
A l'aide, mes amis, à l'aide je fuis morte.
LE SATYRE.

Vous ne sçauriez mourir d'une plus douce mort.
TISIMANDRE.

Vilain, arrestez-vous, quel furieux transport
Vous a fait profaner le corail de ces levres ?
Allez, bouquin puant, faire l'amour aux chevres.
Cher objet de mes vœux,
beaux aftres inhumains
Comme eftes-vous tombée en ces barbares mains?
Ces rofes & ces lis où la beauté fe mire,

Nee font point destinez à l'amour d'un Satyre;
Le Ciel qui de fon œuvre eft luy-mefmé amoureux
Referve à leur merite un deftin plus heureux :
C'est le jufte loyer d'un ferviteur fidelle,
Qui depuis cinq moiflons, plein d'amour & de zele,
Surmontant la tempefte & les vents ennemis,
Eft demeuré conftant en ce qu'il a promis.

YDALIE.

Je vous entends venir, il ne faut plus vous feindre,
Vous parlez de vous-même,& me voulez contraindre
D'accorder à vos voeux, par obligation,

Ce que l'on n'a de moy que par affection:

Je ne vous puis aimer, quoy que vous púiffiez dire,
Remettez-moy pluftoft és mains de ce Satyre;
Quand je ferois contrainte à l'avoir pour cfpoux,
J'en aurois moins d'horreur que je n'aurois de vous.

TISIMANDRE.
Et-ce là le loyer de vous avoir fauvée
De ce Monftre hydeux, qui vous cuft enlevée ?
O Dieux! elle s'en va, fans vouloir m'efcouter,
Mes raifons, ny mes pleurs, ne fçauroient l'arrefter:
De quelle folle Amour eft mon ame enflammée ?
De quel enchantement eft ma raison charmée ?
Que de tant de beautez que la Seine produit,
Mon cœur ne faffe choix que d'une qui me fuit?
Si je voulois aimer la Bergere Artenice,
Elle fatisferoit mon fidelle fervice:

Ses attraits font puiffans, il n'eft cœur de rocher 3
Qui de fa douce humeur ne fe laiffe toucher.
Je ne voy que Bergers, qui foufpirent pour elle,
Et tous, excepté moy, la trouvent la plus belle;
Mais je croy que mes yeux font complices du fort,
Qui malgré ma raifon, a confpiré ma mort.
Cette jeune beauté, que j'ay tant mefprifée,
Ne fe refroidit point, pour fe voir refufée,
Et me tefmoigne affez l'amour qu'elle a pour moy,
Par le foin qu'elle prend de m'arrefter à foy:
Certes j'en fuis honteux, & ne fçay que luy dire,
Quand fon teint qui rougit,& fon cœur qui foufpire,
En s'approchant de moy me difent fans parler,
Le mal que le refpe&t luy contraint de celer:
Je croy que la voilà toute trifte & penfive,
Qui va cueillant des fleurs au long de cette rive.

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