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Noirs ennemis du jour, phantofmes, lares, ombres, Horreur du genre humain, trouble des élémens, Qu'est-ce qui vous rend fourds à mes commande

mens?

Que retardez-vous tant? hé quoy! trouppe infidelle,
Ne cognoiffez-vous pas la voix qui vous appelle?
Defcouvrez des Enfers le funefte appareil,
Que l'horreur de la nuict faffe peur au Soleil,
Faites couler le Styx deflus noftre hemifphere,
Et faites féoir Pluton au thrône de fon Frere
Tonnez, greflez, ventez, eftonnez l'Univers,
Monftrez voftre pouvoir & celuy de mes vers.
Et vous qui dans un verre en formes apparentes
Imitez des abfents les actions préfentes,
Faites voir Ydalie avec son favory

Jouir des privautez de femme & de mary;
Afin que la rivale en voyant cette feinte,
Quitte la paffion dont fon ame eft atteinte,

Et

que de ce tyran qu'on craint mefme aux Enfers Nous brifions aujourd'huy les prifons & les fers. LUCIDAS.

Voilà, ma belle ingrate, où le Devin demeure,
Si vous le voulez voir, allons tout à cette heure,
Car je l'entends desja fur le haut de ces monts
D'une voix esclatante invoquer les Démons.

ARTENICE.

Allons donc, Lucidas.

LUCIDAS.

Allons, belle Artenice

Sçavoir de mon Rival l'infidelle artifice.

POLISTENE.

Mais je croy que desja voilà ce pauvre Amant, Qui cherche dans mon art la fin de fon tourment, LUCIDAS.

Venerable vieillard, dont l'obfcure fcience

Ne tire fa raifon que de l'expérience;

Et dont nos fens ravis, & non pas fatisfaits

D'une caufe incogneuë admirent les effets, [veilles
Quand voftre art leur découvre en ces noires mer-
Les fecrets ignorez des yeux & des oreilles :
Je vous viens retrouver défireux de fçavoir
Ce que dans votre glace il me doit faire voir;
Permettez qu'avec moy cefte jeune Bergere
Contente fon défir à voir ce qu'elle efpere.
POLISTENE.

Mon fils, je le veux bien, vous pouvez librement
De tout ce que je puis ufer abfolument :

Mais je crains que cefte ame encore jeune & tendre
Ne tranfiffe de peur, mais qu'il luy faille entendre
Les foudres efclattans, & les horribles cris
Que font autour de moy ces bijarres efprits.
ARTENICE.

Non, non, ne craignez point, je fuis bien affeurée,
Avant que d'y venir je m'y fuis préparée.
POLISTENE.

Je vay donc de ce pas mes charmes commencer;
Ne bougez de ce lieu, gardez d'outrepaffer
Les bornes de ce cerne imprimé fur la terre:
Ne vous ennuyez point, je vay querir le verre
Où mes enchantemens feront voir à vos yeux
Ce que le monde croit n'eftre veu que des Dieux.
ARTENICE.

Nous attendrons long-temps.

LUCIDA S.

C'eft ce que j'apprehende,

Mais il faut trouver bon tout ce qu'il nous comman

ARTENICE.

Dieux ! qu'est-ce que je voy?

LUCIDAS.

(de,

Dieux! qu'est-ce que j'entens ?
ARTENICE,

ARTENICE.

Que de Monftre hideux !

LUCIDA S.

Que de feux efclattans, D'horribles tourbillons, d'efclairs & de tempeftes 3 Dans ce nuage efpais s'affemblent fur nos teftes ! ARTENICE. Tout le Ciel eft couvert d'une noire vapeur. POLISTENE.

Ne vous eftonnez point, vous n'aurez que la peur. ARTENICE.

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Faites donc appaifer cet horrible tonnerre
Qui femble menacer le Ciel, l'onde & la Terre ;
POLISTEN E.

Courage, mes enfans, bien-toft je me proniets
De vous rendre le jour auffi clair que jamais.
ARTENICE.

Je croy qu'il dira vray, la nue eft diffipée,
La terre de brouillards n'eft plus enveloppée,
Son fçavoir admiré des ames & des yeux

Rend le beau temps au monde,& le Soleil aux Cieux:
Dieux! que fur ces Démons il s'eft acquis d'empire!
Voyez quel changement, ils font ce qu'il défire!
Et femble qu'il les tient fous fon pouvoir enclos
Comme Eole les vents, ou Neptune les flots.
POLISTENE.

Tenez, jeunes Bergers, confiderez ce vérre,
C'eft le portraict naïf des fecrets de la terre.
Maintenant que mon art à fa puiffance joint
Luy fait rendre à nos yeux les objets qu'il n'a point
Commencez-vous à voir?

LUCIDAS.

Nous commençons à peme A defcouvrir un peu des deux bords de la Seine, Qui ferrant en fes bras ces beaux champs plantureux

F

3

Fait cognoiftre à chacun l'amour qu'elle a pour eux}
Quel efclat de grandeurs reluit en ces rivages!
Quel amas de Palais riches de leurs ouvrages!
Où la nature & l'art femblent de tous coftez
Difputer à l'envy le prix de leurs beautez ;
Que ces ruiffeaux d'argent fugitifs des fontaines,
Coulent de bonne grace au travers de ces plaines!
Voyez-vous au-deffous de ce petit couppeau,
Le Berger Alcidor qui meine fon Trouppeau?
ARTENICE.

Ouy certes je le voy bien près de fa maistresse;
On reconnoift affez le défir qui les prefle.

LUCIDA S.

Le vermillon leur vient, ils entrent dans le Bois, Tous deux fous un ormeau s'affiffent à la fois : Que je voy de baifers prins à la defrobée !

ARTENICE.

O Dieux! en quel malheur fe voit-elle tombée ? Que leurs fales plaifirs déteftez en tous lieux, Font de peine à mon cœur & de honte à mes yeux : Que long-temps cet affront vivra dans ma mémoire.

LUCIDA S.

'Au moins vous l'avez veu, vous n'en vouliez rien croire.

ARTENICE.

Je n'en ay que trop veu pour mon contentement,
Peut-on plus fe fier cn la foy d'un Amant?
Va, triomphe à ton aife, efprit plein d'artifice,
De l'honneur d'Ydalie & du coeur d'Artenice,
En me voyant punie avec indignité
De m'eftre trop fiée en ta legereté.

Quant à moy déformais le feul bien que j'efpere;
Elt de paffer ma vie en un défert auftere,
Où fage à mes dépens, je veux à l'avenir
Au feul amour du Ciel mes volontez unir.

LUCIDAS.

Vous pleurez une perte indigne de vos larmes, La faute eft à fes yeux & non pas à vos charmes, Qui pourroient arrefter les cœurs les plus legers, Et contraindre les Dieux d'eftre encore Bergers. ARTENICE.

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Que fervent, Lucidas, toutes ces flateries?
Je ne me repais plus de vos cajoleries,
Je prends congé du monde & de fes vanitez,
Qui fuccent le venin de tant d'impietez,
Adieu donc pour jamais plaifirs pleins d'amertume,
Adieu vaine efperance, où l'âge fe confume,
Adieu feux infenfez autheurs de mes ennuis
Adieu doux entretien où je paffois les nuits,
Adieu rochers & bois, adieu fleuves & plaines,
Qui faviez de mon cœur les plaifirs & les peines :
Adieu fages parens de qui les bons advis
En mon aveuglement furent fi mal fuivis,
Adieu pauvre Berger dont la perfeverance
Reçoit de mon amour fi peu de
recompence;
Adieu fage Vieillard dont l'art prodigieux
Fait que la verité fe découvre à mes yeux :
Adieu cheres brebis qui parmy ces campagnes
Me ferviés tous les jours de fidelles compagnes,
Adieu donc Lucidas, encore un coup adieu,
Je vay finir mes jours dedans quelque faint lieu
Où jamais le malheur ne me pourra déplaire.
LUCIDA S.

Comment! c'eft tout de bon?

POLISTENE.

Il la faut laiffer fairc;

Un mal fi violent eft fourd à la raison,

Son fecours à prefent feroit hors de faifon,
Le temps feul peut guerir une fi grande playe

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