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<< neste ! Hélas! vous ne savez pas toutes les raisons « que vous avez de vous affliger; la honte seule que << vous cause la présence d'un père qui vous surprend << excite vos pleurs en ce moment. Vous ne prévoyez << pas encore tous les sujets de douleur que votre amant « vous prépare peut-être. Et vous, imprudente Mar«< celle, qu'avez-vous fait ? dans quel précipice nous << jette votre zèle indiscret pour ma famille ! J'avoue << que l'alliance d'un homme tel que le comte a pu vous éblouir, et c'est ce qui vous sauve dans mon esprit; << mais, malheureuse que vous êtes, ne fallait-il pas « vous défier d'un amant de ce caractère ? Plus il a de << crédit et de faveur, plus vous deviez être en garde «< contre lui. S'il ne se fait pas un scrupule de manquer « de foi à Léonor, quel parti faudra-t-il que je prenne? « Implorerai-je le secours des lois? une personne de son «rang saura bien se mettre à l'abri de leur sévérité. « Je veux bien que, fidèle à ses serments, il ait envie << de tenir parole à ma fille... Si le roi, comme il vous l'a

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dit, a dessein de lui faire épouser une autre dame, il « est à craindre que ce prince ne l'y oblige par son au« torité.

«- Oh! pour l'y obliger, seigneur, interrompit Léo« nor, ce n'est pas ce qui doit nous alarmer. Le comte « nous a bien assuré que le roi ne fera pas une si grande « violence à ses sentiments. J'en suis persuadée, dit << la dame Marcelle : outre que ce monarque aime trop

« son favori pour exercer sur lui cette tyrannie, il est « trop généreux pour vouloir causer un déplaisir mortel << au vaillant don Luis de Cespèdes, qui a donné tous «ses beaux jours au service de l'État.

«Fasse le ciel, reprit le vieillard en soupirant, << que mes craintes soient vaines ! je vais chez le comte << lui demander un éclaircissement là-dessus ; les yeux «< d'un père sont pénétrants : je verrai jusqu'au fond de << son âme ; si je le trouve dans la disposition que je << souhaite, je vous pardonnerai le passé; mais, ajouta« t-il d'un ton plus ferme, si dans ses discours je dé« mêle un cœur perfide, vous irez toutes deux dans une «< retraite pleurer votre imprudence le reste de vos « jours. › A ces mots, il ramassa son épée, et, les laissant se remettre de la frayeur qu'il leur avait causée, il remonta dans son appartement pour s'habiller. »

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Asmodée, en cet endroit de son récit, fut interrompu par l'écolier, qui lui dit : « Quelque intéressante que soit l'histoire que vous me racontez, une chose que j'aperçois m'empêche de vous écouter aussi attentivement que je le voudrais. Je découvre dans une maison une femme qui me paraît gentille, entre un jeune homme et un vieillard. Ils boivent tous trois apparemment des liqueurs exquises; et tandis que le cavalier suranné embrasse la dame, la friponne par derrière donne une de ses mains à baiser au jeune homme, qui sans doute est son galant. -Tout au contraire, répondit le boi

LE DIABLE Boiteux.

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teux, c'est son mari, et l'autre son amant. Ce vieillard est un homme de conséquence, un commandeur de l'ordre militaire de Calatrava. Il se ruine pour cette femme, dont l'époux a une petite charge à la cour: elle fait des caresses par intérêt à son vieux soupirant, et des infidélités en faveur de son mari, par inclination.

« Ce tableau est joli, répliqua Zambullo. L'époux ne serait-il pas Français ? Non, repartit le diable, il est Espagnol. Oh! la bonne ville de Madrid ne laisse pas d'avoir aussi dans ses murs des maris débonnaires; mais ils n'y fourmillent pas comme dans celle de Paris, qui, sans contredit, est la cité du monde la plus fertile en pareils habitants. Pardon, seigneur Asmodée,

dit don Cléofas, si j'ai coupé le fil de l'histoire de Léonor continuez-la, je vous prie; elle m'attache infiniment; j'y trouve des nuances de séduction qui m'enlèvent. » Le démon la reprit ainsi :

CHAPITRE V

Suite et conclusion des amours du comte de Belflor.

« Don Luis sortit de bon matin, et se rendit chez le comte, qui, ne croyant pas avoir été découvert, fut surpris de cette visite. Il alla au-devant du vieillard, et

après l'avoir accablé d'embrassades: « Que j'ai de joie,. «< dit-il, de voir ici le seigneur don Luis! Viendrait-il << m'offrir l'occasion de le servir? Seigneur, lui ré«pondit don Luis, ordonnez, s'il vous plaît, que nous << soyons seuls.

<< Belflor fit ce qu'il souhaitait. Ils s'assirent tous deux; et le vieillard prenant la parole: « Seigneur, dit-il, << mon bonheur et mon repos ont besoin d'un éclair«< cissement que je viens vous demander. Je vous ai vu «< ce matin sortir de l'appartement de Léonor. Elle m'a <<< tout avoué : elle m'a dit... Elle vous a dit que je << l'aime, interrompit le comte pour éluder un discours. « qu'il ne voulait pas entendre; mais elle ne vous a que << faiblement exprimé tout ce que je sens pour elle; j'en << suis enchanté ; c'est une fille toute adorable: esprit, << beauté, vertu, rien ne lui manque. On m'a dit que vous << avez aussi un fils qui achève ses études à Alcala ; << ressemble-t-il à sa sœur? S'il en a la beauté, et pour << peu qu'il tienne de vous d'ailleurs, ce doit être un << cavalier parfait; je meurs d'envie de le voir, et je « vous offre tout mon crédit pour lui.

«- Je vous suis redevable de cette offre, dit gra« vement don Luis; mais venons à ce que...... II << faut le mettre incessamment dans le service, inter

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a rompit encore le comte; je me charge de sa fortune; <«< il ne vieillira point dans la classe des officiers subalternes; c'est de quoi je puis vous assurer.

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« Répondez-moi, comte, reprit brusquement le vieillard << et cessez de me couper la parole. Avez-vous dessein << ou non de tenir la promesse... ? Oui, sans doute interrompit Belflor pour la troisième fois, je tiendrai << la promesse que je vous fais d'appuyer votre fils de' << toute ma faveur comptez sur moi, je suis homme « réel. — C'en est trop, comte, s'écria Cespèdes en se «levant après avoir séduit ma fille, vous osez encore << m'insulter ! Mais je suis noble, et l'offense que vous << me faites ne demeurera pas impunie. » En achevant ces mots, il se retira chez lui, le cœur plein de ressentiment, et roulant dans son esprit mille projets de vengeance.

<< Dès qu'il y fut arrivé, il dit avec beaucoup d'agitation à Léonor et à la dame Marcelle : « Ce n'était pas sans << raison que le comte m'était suspect; c'est un traître << dont je veux me venger, Pour vous, dès demain vous << entrerez toutes deux dans un couvėnt; vous n'avez << qu'à vous y préparer; et rendez grâce au ciel que ma << colère se borne à ce châtiment. » En disant cela, il alla s'enfermer dans son cabinet, pour penser mûrement au parti qu'il avait à prendre dans une conjoncture aussi délicate.

« Quelle fut la douleur de Léonor, quand elle eut entendu dire que Belflor était perfide! Elle demeura quelque temps immobile; une pâleur mortelle se répandit sur son visage; ses esprits l'abandonnèrent, et elle

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