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le démon; c'était une nouvelle demeure: don Luis avait changé de quartier, et logeait dans cette maison depuis huit jours, ce que don Pèdre ne savait pas : c'est ce que j'allais vous dire lorsque vous m'avez interrompu. Vous êtes trop vif : vous avez la mauvaise habitude de couper la parole aux gens: corrigez-vous de ce défaut-là.

« Don Pèdre, continua le boiteux, ne croyait donc pas être chez son père: il ne s'aperçut pas non plus que la personne qui les introduisait était la dame Marcelle, puisqu'elle les reçut sans lumière dans une antichambre, où Belflor pria son compagnon de rester, pendant qu'il serait dans la chambre de sa dame. L'écolier y consentit, et s'assit sur une chaise l'épée nue à la main, de peur de surprise. Il se mit à rêver aux faveurs dont il jugea que l'amour allait combler Belflor, et il souhaitait d'être aussi heureux que lui: quoiqu'il ne fût maltraité de sa dame inconnue, elle n'avait pas encore pour lui toutes les bontés que Léonor avait pour le comte.

« Pendant qu'il faisait là-dessus toutes les réflexions que peut faire un amant passionné, il entendit qu'on cssayait doucement d'ouvrir une porte qui n'était pas celle des amants, et il vit paraître de la lumière par le trou de la serrure. Il se leva brusquement, s'avança vers la porte qui s'ouvrit, et présenta la pointe de son épée à son père: car c'était lui qui venait dans l'apparte

nent de Léonor pour voir si le comte n'y serait point. Le bonhomme ne croyait pas, après ce qui s'était passé, que sa fille et Marcelle eussent osé le recevoir encore; c'est ce qui l'avait empêché de les faire coucher dans un autre appartement: il s'était toutefois avisé de penser que, devant entrer le lendemain dans un couvent, elles auraient peut-être voulu l'entretenir pour la dernière fois.

« Qui que tu sois, lui dit l'écolier, n'entre point ici, << ou bien il t'en coûtera la vie. » A ces mots, don Luis envisage don Pèdre, qui, de son côté, le regarde avec attention. Ils se reconnaissent. « Ah! mon fils, « s'écrie le vieillard, avec quelle impatience je vous << attendais ! Pourquoi ne m'avez-vous pas fait avertir « de votre arrivée? Craigniez-vous de troubler mon << repos ? Hélas! je n'en puis prendre dans la cruelle << situation où je me trouve ! O mon père! dit don « Pèdre tout éperdu, est-ce vous que je vois? mes << yeux ne sont-ils point déçus par une trompeuse res<< semblance? - D'où vient cet étonnement, reprit don « Luis? N'êtes-vous pas chez votre père? ne vous ai<< je pas mandé que je demeure dans cette maison << depuis huit jours? Juste ciel! répliqua l'écolier, <«< qu'est-ce que j'entends? Je suis donc ici dans << l'appartement de ma sœur? »

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<< Comme il achevait ces paroles, le comte, qui avait entendu du bruit, et qui crut qu'on attaquait son es

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corte, sortit l'épée à la main de la chambre de Léonor. Dès que le vieillard l'aperçut, il devint furieux, et, le montrant à son fils: « Voilà, s'écria-t-il, l'audacieux « qui a ravi mon repos et porté à notre honneur une << mortelle atteints. Vengeons-nous. Hâtons-nous de « punir ce traître. » En disant cela, il tira son épée, qu'il avait sous sa robe de chambre, et voulut attaquer Belflor; mais don Pèdre le retint. « Arrêtez, mon père, << lui dit-il; modérez, je vous prie, les transports de « votre colère... Quel est votre dessein, mon fils? « répondit le vieillard; vous retenez mon bras! vous <«< croyez sans doute qu'il manque de force pour nous «venger. Eh bien! tirez donc raison vous-même de « l'offense qu'on nous a faite; aussi bien est-ce pour «< cela que je vous ai mandé de revenir à Madrid. Si «vons périssez, je prendrai votre place; il faut que << le comte tombe sous nos coups, ou qu'il nous ôte à << tous deux la vie, apres nous avoir ôté l'honneur.

<< - Mon père, reprit don Pèdre, je ne puis accorder « à votre impatience ce qu'elle attend de moi. Bien << loin d'attenter à la vie du comte, je ne suis venu «< ici que pour la défendre. Ma parole y est engagée; << mon honneur le demande. Sortons, comte, poursui«vit-il en s'adressant à Belflor. Ah! lâche, inter<rompit don Luis, en regardant don Pèdre d'un œil irrité, tu t'opposes toi-même à une vengeance qui de⚫ vrait t'occuper tout entier ! Mon fils, mon propre fils

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<< est d'intelligence avec le perfide qui a suborné ma << fille! mais n'espère pas tromper mon ressentiment; « je vais appeler tous mes domestiques; je veux qu'ils << me vengent de sa trahison et de ta lâcheté.

Seigneur, répliqua don Pèdre, rendez plus de « justice à votre fils; cessez de le traiter de lâche; << il ne mérite pas ce nom odieux. Le comte m'a sauvé <<<< la vie cette nuit. Il m'a proposé, sans me connaître, << de l'accompagner à son rendez-vous. Je me suis « offert à partager les périls qu'il y pouvait courir, << sans savoir que ma reconnaissance engageait impu<< demment mon bras contre l'honneur de ma famille. << Ma parole m'oblige donc à défendre ici ses jours: « par là je m'acquitte envers lui; mais je ne ressens << pas moins vivement que vous l'injure qu'il nous a << faite, et dès demain vous me verrez chercher à ré<< pandre son sang avec autant d'ardeur que vous << m'en voyez aujourd'hui à le conserver. »

« Le comte, qui n'avait point encore parlé jusque-là, tant il avait été frappé du merveilleux de cette aventure, prit alors la parole: « Vous pourriez, dit-il à << l'écolier, assez mal venger cette injure par la voie « des armes je veux vous offrir un moyen 'plus sûr « de rétablir votre honneur. Je vous avouerai que « jusqu'à ce jour je n'ai pas eu dessein d'épouser << Léonor; mais ce matin j'ai reçu de sa part une « lettre qui m'a touché, et ses pleurs viennent d'ache

« ver l'ouvrage; le bonheur d'être son époux fait à « présent ma plus chère envie. Si le roi vous des<< tine une autre femme, dit don Luis, comment vous dispenserez-vous.....? Le roi ne m'a proposé au

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«< cun parti, interrompit Belflor en rougissant. Par<< donnez, de grâce, cette fable à un homme dont la «raison était troublée par l'amour. C'est un crime que << la violence de ma passion m'a fait commettre, et « que j'expie en vous l'avouant.

« Seigneur, reprit le vieillard, après cet aveu qui <«< sied si bien à un grand cœur, je ne doute plus de « votre sincérité je vois que vous voulez en effet ré<< parer l'affront que nous avons reçu; ma colère cède << aux assurances que vous m'en donnez. Souffrez que << j'oublie mon ressentiment dans vos bras. » En ache-> vant ces mots, il s'approcha du comte, qui s'était avancé pour le prévenir. Ils s'embrassèrent tous deux à plusieurs reprises; ensuite Belflor, se tournant vers don Pèdre : « Et vous, faux don Juan, lui dit-il, vous << qui avez déjà gagné mon estime par une valeur in«< comparable et par des sentiments généreux, venez, << que je vous voue une amitié de frère. En disant cela, il embrassa don Pèdre, qui reçut ses embrassements d'un air soumis et respectueux, et lui répondit: << Seigneur, en me promettant une amitié si précieuse, << vous acquérez la mienne. Comptez sur un homme qui vous sera dévoué jusqu'au dernier moment de sa vie. »

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