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quoi nous pouvons dire veritablement que ce corps eft meu, lui qui auparavant étoit en repos: auffi puifque dans un animal qui vient de naître, nous trouvons que le corps a main tenant une certaine difpofition qu'il n'avoit pas auparavant, par laquelle il eft rendu capa ble de fentir, & de connoître en quelque ma niere; nous devons abfolument dire qu'il eft furvenu à ce corps quelque chofe de nouveau, qui le conftitue dans cet état, & à raifon de la quelle nous pouvons dire veritablement, voilà un animal. Il faut donc neceffairement qu'il y ait là-dedans une Forme fubftantielle ; puifque par ce mot nous n'entendons autre chose que cet état, ou cette difpofition, ou enfin cette chofe, qui fait que ce corps devient animé, & à raifon de laquelle nous difons que c'eft là

un animal:

CIX. Difference des formes & des modes.

Il faut bien remarquer la difference qu'il y a entre les modes ou accidens, & les formes fubftantielles car quand une boule, aprés avoir été quelque-temps en repos, reçoit le mouvement; la fubftance de la boule, qui étoit pout être d'yvoire, n'eft pas pour cela changée. C'eft toûjours de l'yvoire,& elle n'a changé que felon la mode, ou l'accident. De même une cire, pour être faite ronde de quarrée. qu'elle étoit, ne change pas pour cela de fubstance; elle eft toûjours cire comme auparavant, & elle n'a fait que changer de figure. De forte que le mouvement & la figure ne confti tuent pas de nouvelles fubftances, mais feule

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ment de ces nouveaux compofez,que nous ap pellons accidentels. Comme ici la figure ne conftituë pas une nouvelle cire, c'est-à-dire une substance, mais feulement un rond, ou une cire-ronde qui n'eft qu'un nouveau compofé accidentel: mais dans la production d'un ani mal, il y a quelque chofe de plus que d'acci dentel: car il eft manifefte que nous pouvons dire qu'il y a au monde un animal qui n'y étoit pas auparavant. Or un animal eft une fubftan ce dont la nature eft infiniment differente de toute substance, qui ne feroit point animée. E comune l'homme fait, fans contredit, une substance particuliere, differente de toute autre fubftance corporelle: auffi à proportion tout animal doit faire une fubftance differente de toute autre fubftance corporelle. Or cette nouvelle fubftance n'eft nouvelle, & n'est substançe d'animal, qu'en vertu de cette nouvelle chofe qui lui eft furvenue, & qui lui donne la faculté de fentir,& de faire toutes les fonctions, & qui en un mot le conftituë en être d'animal. Il faut donc dire que cette nouvelle chose est une Forme substantielle, puifque par ce mot nous n'entendons que cela même qui conftituë une fubftance; & qui furvenant de nouveau,fait une nouvelle fubftance, ou qui la corrompt en fe retirant.

CX: La doctrine des Formes n'a rien qua de raisonnable.

Quy a-t-il en toute cette doctrine qui ne foit très clair & très-intelligible, & même trèsmanifefte? Pourquoi donc ces nouveaux Philofophes prennent-ils tant de plaifir à déclamer

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contre la doctrine des Formes ? Pourquoi s'efforcent-ils de la faire paffer pour absurde & pour inconcevable ? Si nous faifions en ceci. comme ces Meffieurs qui expliquent la plupart des questions par des hypothefes arbitraires; fi nous mettians feulement, comme par une fuppofition faite à plaifir, qu'il y a des formes & des ames dans les animaux; je ne croi pas qu'ils puffent trouver rien à redi re à cette hypothefe.. Il n'eft pas-impoffible: qu'il y ait dans la Nature des ames qui foient: les formes des animaux, puifque la raifon nous convainc que nous avons des ames, & que les décifions des Conciles ne nous permettent point de douter que ces ames ne foient de ve ritables formes des hommes. Il n'est pas poffible non plus que ces formes foient mate rielles, quoique ce ne foient point des corps complets, & des fubftances étenduës; puifque nous fçavons qu'il y a des formes accidentelles, comme font les modes,qui n'étant pas des corps,. font néanmoins quelque chofe de corporel. Il n'eft pas impoffible qu'une de ces formes fubl tantielles foit unie avec un corps difpofé pour eela, & faffe avec lui un Tout, & un animal,, qu'elle diftingue de toute autre espece; puifque nôtre ame eft unie de cette forte à nôtre corps,. & nous diftingue de tout le refte des animaux.. Il n'y a donc dans cette hypothese rien d'im poffible.

* De Vienne, fous Clement V. De Latran fous Leon X,

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CXI. Cette doctrine prise pour une fimple bypothefe.

D'ailleurs, ayant une fois. fuppofé ces formes, nous expliquons très-commodément toutes les productions de la Naturs: nous faisons aifément comprendre la difference qu'il y a entre un changement purement accidentel, que nous appellons altération, & une production fubftantielle, que nous appellons generation, &` corruption. Nous expliquons encore la maniere d'agir des animaux; ce qu'on ne peut faire fans cela, quelqué recherche que l'on faffe de la difpofition particuliere de la machine qui fait le. corps des animaux. S'il n'y avoit dans les Bêtes que de ces mouvemens que nous appellons. naturels, comme font l'agitation du cœur, la digeftion, & femblables; peut-être feroit-ce une chose affez raifonnable de vouloir expli-quer cela par la difpofition d'une certaine machine, pourvû néanmoins qu'on reconnût de bonne foi que tout ce que l'on diroit fur cette. difpofition particuliere, feroit auffi vague & auffi indéterminé que le mot general de forme ou de qualité. Mais quand on vient à confiderer la diverfité prodigieufe des actions spontanées, & que l'on fait reflexion que toutes ces actions dans leur diverfité, font néanmoins tréspropres à une fin generale, qui eft toûjours le bien & la confervation de l'animal, & qu'elles vont à cette fin dans toutes les circonstances. particulieres, par les voyes les plus courtes, & les plus affurées qu'on fçauroit imaginer certainement, il n'y a machine. au monde qui puiffe nous fatisfaire.

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CXII. Eft preferable à l'opinion de la machine.

Mais fi nous reconnoiffons une fois qu'il y a une ame dans les animaux qui apperçoive les objets, qui les diftingue, & qui par la vûë & le fentiment foit déterminée à agir; nous n'a vons plus nulle peine à comprendre comment fe font toutes ces diverses actions, puisque l'e xemple de ce que nous experimentons en nousmêmes nous inftruit fuffifamment, & nous convainc que ces mouvemens fe peuvent faire dans lės Bêtes, comme ils fe font en nous,par la di rection d'un principe, qui connoît & qui dif tingue les objets. Ainft, à ne confiderer ces! deux, manieres d'expliquer la nature des ani maux, que comme deux hypothefès, dont l'une fuppofe une ame, & l'autre de certaines difpo Ations de la machine qu'on ne fçauroit d'ail leurs déterminer ; je ne croi pas qu'on puiffe raifonuablement contefter que celle qui fuppofe des ames, ne foir fans comparaison la plus naturelle.

GXIII. Cette doctrine des Formes n'eft pas une pure hypothese.

Mais d'ailleurs, j'ai fait voir pofitivementqu'il n'y a difpofition imaginable de machine qui faffile à nous faire concevoir comme quoi les Bêtés peuvent fentir & appercevoir, comme elles fentent & apperçoivent ; & que par conféquent il faut neceffairement reconnoître quelque chofe outre toutes ces difpófitions de parties & de refforts que nous connoiffons. Ainfi, il

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