LIVRE SIXIE ME I A veille du jour où le Roi devoit décider qui de Chereas ou de Denys Callirrhoë auroit pour époux, tout Babylone fut dans une grande fermentation. Dans les maifons, dans les rues, on fe difoit: Tome II. A c'est demain que Callirrhoë fe marie ; quel eft l'heureux Mortel qui la poffédera ? La Ville entiere étoit partagée. Ceux qui étoient pour Chereas, difoient : c'eft fon premier Mari; elle étoit vierge quand il l'époufa; il l'aimoit, elle l'aimoit; son Pere la lui donna ; l'Etat lui fit des funérailles; il ne l'a pas pour cela abandonnée, elle ne l'a point abandonné. Denys ne l'a ni achetée, ni épousée. Des Brigands la lui ont vendue; mais il n'eft pas permis d'acheter une perfonne libre. Les Partifans de Denys répondoient: Il Pa tirée des mains des Pirates, qui peu s'en faut qu'ils ne l'aient tuée. Il a donné un Talent pour lui fauver la vie. D'abord il lui conferve le jour, il l'épouse enfuite. Chereas au contraire, après l'avoir époufée, la tue. Callirrhoë ne doit jamais perdre le fouvenir d'un tel mariage: mais ce qui affure la Victoire à Denys, c'est qu'elle l'a rendu pere. Tel étoit le langage des hommes. Les femmes', d'un autre côté, non contentes de s'entretenir entr'elles de Callirrhoë, lui donnoient des confeils, comme fi elle eût été à portée de les entendre. N'abandonnez pas, lui difoient-elles, l'Epoux que vous avez pris étant encore Vierge, donnez la préférence à celui qui le premier vous a aimée; il eft votre Compatriote, & c'eft le feul moyen qui vous refte pour voir votre Pere; autrement vous pafferez, comme une exiléé, vos jours dans une terre étrangere. D'autres au contraire i Choififfez votre Bienfaiteur, celui qui bien loin de vous tuer, vous à confervé la vie. Si jamais Chereast fe mettoit en colere, craignez le tombeau de vos peres. Ne trahiffez point votre fils, & montrez plus d'égards pour celui qui lui a donné le jour. Tels étoient les difcours qu'on entendoit de toutes parts. L'on eût dit que Babylone entiere fût devenue un vafte Tribunal. Cette nuit, la derniere de celles, qui avoient précédé le jour du Jugement, le Roi & la Reine qui repofoient près l'un de l'autre, étoient agités de pensées bien différentes. La Reine attendoit le jour avec impatience pour remettre un dépôt qui lui étoit devenu onéreux. La beauté de Callirrhoë l'accabloit; près d'elle, la comparaison ne tournoit pas à son avantage d'ailleurs, les vifites fréquentes du Roi, fes politeffes hors |