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fait dans une nuit obfcure & que le peu d'Espagnols qui fuivoient Dom Alvare avoient péri danscette occafion, perfonne ne pouvoit le reconnoître à Grenade. Avec cette précaution, Hali d'Aoub attendit patiemment que fon illuftre Captif fût entierement rétabli. Les foins que l'on en prit & fa grande jeuneffe le mirent bientôt en état d'affouvir les fentimens intereffés de fon indigne vainqueur. Dom Alvare ayant connu par les difcours du Maure qu'on ignoroit fon nom & fa naiffance, & voyant bien qu'il falloit attendre du tems une occafion favorable de faire fçavoir fon fort en ELpagne, & joignant à cela la prodigieufe envie qu'il avoit de voir Félime & Zéluma, lui firent prendre la refolution d'aider lui-même aux intentions de Hali, en cachant avec foin la nobleffe de fon

fang. Elle étoit cependant fi bien empreinte fur fon vifage & dans Toutes les actions, que le Maure crut amoindrir fon crime en le vendant au Prince Zagal Abdelec, oncle de Boadilly Roi de Grenade.Ce Prince étant le plus riche du Royaume, & charmé de la bonne mine de Dom Alvare, auquel Hali avoit donné le nom de Joraé, l'acheta prefque la valeur de ce que l'on auroit pû donner en Espagne pour fa rançon.

Il eft neceffaire ici pour l'éclair ciffement des avantures des dif ferentes perfonnes dont j'ai à parler, de faire connoître la Famille Royale de Grenade, puifqu'elle fait la plus grande partie de l'hiftoire de Dom Alvare.

Mulehi Haffem Maître de cet Empire, avoit eu deux fils. L'ambitieux Boadilly, étant l'aîné, avoit forcé ce Monarque de def

cendre du Trône pour s'y placer de fon vivant. Almanfor fon cadet, pere de Félime & de Zéluma, étoit l'unique Heritier de la Cou ronne en cas qu'il n'eût point d'enfans. Le Prince Abdelec frere du vieux Mulehi, ne voyant l'Empire que de loin, fe contentoit de vivre dans toute la fplendeur qu'exigeoit fa magnificence natu relle & la grandeur de fon rang. Ce Prince avoit une fille qui eût pû paffer pour la plus belle per fonne de Grenade, fi la Reine Almahide & la Princeffe Félime n'y euffent pas été..

Ce fut à cette Princeffe nommée Almoradine qu'Abdelec donna Dom Alvare, que je n'appellerai plus que Joraé, comme un prefent digne de la main qui l'offroit & de celle qui le recevoit. Les graces dont cet illuftre efcla ve étoit pourvû, le firent regar

derd'Almoradine comme le chefd'oeuvre de l'Espagne. Quoique l'esclavage foit le plus grand des malheurs, Joraé trouva quelque tems des charmes dans fes fers. La joye d'être dans la même ville que Félime habitoit, & l'espoir de revoir Zéluma, en adoucifloit le poids; mais lorsqu'il fut inftruit des coûtumes des Maures, il trouva des fujets d'affliction qui lui firent bien-tôt changer de fentiment. Abdelec & fa fille occupoient le Château de l'Albifain; Almoradine n'en fortoit que pour fe rendre au Palais Royal de l'Alembre, demeure ordinaire des Rois & des Reines de Grenade. Mais comme il étoit défendu à quelqu'homme que ce fût d'y entrer fans un ordre exprès du Roi, & aux efclaves de s'y montrer fans leurs Maîtres, & que la Princeffe Almoradine ne s'y faifoit jamais

fuivre que de fes femmes, le malheureux Joraé n'efperoit pas y pouvoir aborder.

Le peu de progrès qu'il faisoit dans fes deffeins, & la douleur d'une captivité qui le mettoit hors d'état de fignaler fon courage pour fa Patrie, le firent tomber dans un défespoir qui parut bientôt par fa profonde mélancolie. Almoradine s'en apperçut; elle avoit pris une fi forte amitié pour lui, qu'aucune de les actions ne lui étoit indifferente. Cette Princeffe joignoit à une grande beauté, & à l'air galant, naturel aux Maures, un efprit & une vivacité qui lui faifoient fouvent pénetrer les chofes les plus cachées. Elle avoit l'ame grande & genereufe ; & fçachant elle-même ce qu'elle valoit, elle ne pouvoit s'imaginer avoir donné fon eftime à un homme d'un merite ordinaire. L'air de

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