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grandeur qui paroiffoit dans toute la perfonne de Joraé la confirmoit dans fes fentimens, & comme ce n'étoit pas le premier exemple qu'elle eût vû à Grenade de ces fortes de déguisemens, & que quelques Grands d'Efpagne s'en étoient déja fervis: elle ne put s'empêcher de croire la même chofe de Joraé. Cette pensée fit une fi forte impreffion fur fon ame, qu'elle ne voulut rien ne. gliger pour l'éclairciffement de Les foupçons.

Un jour que cet illuftre captif l'avoit fuivie dans les jardins de` l'Albifain, cette Princefle faisant tomber l'entretien fur les coûtumes & les mœurs des Efpagnols, engagea adroitement Dom Alvarealui parler affez long-tems de chofes qui lui paroiffoient indifferentes; mais tout d'un coup regardant Dom Alvare avec des

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yeux qui cherchoient jufques dans fon cœur: Joraé, lui dit-elle, nous connoiffons préfentement votre pays; mais nous ignorons votre naissance & la caufe de votre esclavage; & je vous avoie que je voudrois en être instruite. Votre air, votre efprit, tout marque en vous une condition diftinguée; & depuis quelques jours vous nous montrez une fi grande trifteffe, que je ne puis croire que la perte de votre liberté en foit le feul motif. Parlez, confiez-vous. à ma prudence, je cherche à vous être utile, & j'engagerai le Prince Abdelec à rompre vos fers fi vous me répondez avec fincerité.

Dom Alvare fut étrangemeut embarraffé de la curiofité d'Almoradine, il la vit avec douleur, & ne fçachant de quelle façon la fatisfaire, il garda quelque tems e filence. Mais enfin fe voyant contraint

contraint de répondre: Madame, lui dit-il, ma fortune est peu de chofe, manaiflance encore moins; & fi le Ciel a mis des traits trompeurs fur mon vifage, la Princesse Almoradine eft trop éclairée pour s'y méprendre.

Le trouble qu'il avoit fait voir avant que de parler & la noble fierté dont il accompagna fon difcours, firent connoître à la Princeffe qu'elle ne fe trompoit pas. Elle fe préparoit à le preffer encore, lorfqu'on vint l'avertir qu'Abdelec la demandoit: Je vous laiffe, Joraé, lui dit-elle; mais j'efpere que vous ne vous cacherez pas toujours, & qu'une autrefois vous profiterez mieux de mes bontés.Ces mots ne firent qu'augmenter la crainte qu'avoit Dom Alvare de ne pouvoir cacher long-tems fes fecrets à fa penetra tion. Il trouvoit une espece de

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honte à dire la nobleffe de fon Lang, & de voir ses mains chargées de chaînes ; & fi l'idée de la Princeffe Félime ne fût venuë à son secours, il auroit préferé la mort à fon féjour à Grenade; mais aimerfans voir ce que l'on aime, eft un. fupplice affreux, & dont fon ame fentoit toute l'étenduë.

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Le portrait de cette Princeffe qu'il avoit confervé malgré les perils qu'il avoit courus, en nourriffant fon amour, augmentoit auffi fon tourment. Depuis fa converfation avec Almoradine il: évitoit avec foin de fe trouver seul avec elle; & fans être moins actif à la fervir, il trouvoit toûjours quelque prétexte pour s'en éloigner lorfqu'elle pouvoit l'entretenir en particulier. Elle avoit trop d'efprit pour ne pas remar quer cette conduite; & voulant à quelque prix que ce fût, éclaircir

fes foupçons, elle laiffa paffer plufieurs jours fans lui parler. Mais enfin l'ayant fait venir dans fon appartement: Joraé, lui dit-elle, pour diffiper votre mélancolie, je veux vous faire voir toutes les beautés de Grenade, le Palais de l'Alembre eft une de fes merveilles; & comme vous n'y pourriez entrer fans ordre'ou fans prétexte,. allez à la tête de mes efclaves préfenter à la Reine ces corbeilles de fleurs de ma part, & faites-vous conduire au bois des trois Fontai nes où vous m'attendrez; je veux vous y entretenir d'une affaire importante.

Cet ordre & ce difcours furprirent également Dom Alvare:: on vouloit le faire entrer dans l'Alembre fans qu'il l'eût demandé, & on lui faifoit porter les prefens à la Reine, quand cet honneur n'étoit dû qu'au Chef des ef

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