voit tenu baiffés: Joraé, lui ditelle, je fçai tous vos fecrets; c'est en vain que vous voudriez feindre voyant qu'il changeoit de couleur & qu'il fe préparoit à parler.Ne m'interompez point, pourfuivit-elle, & voyez fi je me trompe je fçai que votre naiffance eft illuftre, & qu'en portant chez moi les marques de l'efclavage, vous languiffez dans les chaînes de la Princeffe de Grenade; que vous en avez le portrait, & que votre trifteffe ne vient que d'être tombé en d'autres mains que les fiennes. Parlez à prefent, Joraé, & reconnoiffez l'eftime que j'ai pour vous, en me faiffant un aveu fincere. Les foins que je prendrai de vous rendre heureux, vous for ceront de me trouver digne de cette confiance.

Dom Alvare étonné de voir Almoradine fi bien inftruite, &

pénetré de fa generofité, ne la regarda plus que comme une amie qu'il fe falloit acquerir, & voyant qu'elle attendoit la réponse: Ce feroit mal vous marquer mon refpect & ma reconnoiffance, Madame, lui dit-il en mettant un genou en terre, que de me déguifer plus long-tems. Je l'avoüerai,le Duc de l'Infantade eft mon pere, Félime eft l'objet de mes vœux; mais mon efclavage n'eft point volontaire. Enfuite il lui conta fon avanture avec Zéluma, la naiflance de fon amour pour Félime, & la façon dont il fut pris à Zahara par le Capitaine Hali d'Aoub. Ainfi, Madame,continua-t-il, je ne connois encore que les malheurs; mes premiers exploits ont été enfevelis avec moi dans l'efclavage, la grandeur de ma paffion eft ignorée de celle que j'adore, ZéLuma ne s'eft point offert à mes

yeux depuis deux mois que je fuis ici, & ce n'eft que par un trifte récit que je reconnois les bontés de la genereufe Almoradine. Levez vous, Seigneur, lui dit cette Princeffe, & ne vous tenez pas davantage dans un refpect que Dom Alvare ne me doit point. Je ne croyois pas, continua-t-elle après l'avoir forcé de fe relever, être fi près de celui qui vient de répandre le fang des Maures. Hali d'Aoub publia à fon retour les a&tions prodigieufes d'un homme qui, feul & fans armes que fon épée, en avoit fait trembler trois cens ; mais qu'il étoit mort de fes bleffures avant qu'il eût pû fçavoir fon nom, & je vois bien par votre récit, malgré votre modeftie, que vous êtes ce Heros redoutable: mais enfin, Dom Alvare, je vous ferai voir que la generofité regne parmi nous, comme

chez les Efpagnols. Vous verrez Félime & Zéluma, & vous fortirez de Grenade quand vous voudrez: je n'abuferai point de votre fecret, & pour commencer à vous le prouver je vous rends ce portrait, dit-elle en le lui donnant qui le premier m'a instruite d'une partie des chofes que vous venez de m'apprendre. Dom Alvare la remercia avec des termes fi vifs, qu'il ne lui fut pas difficile de connoître la force de fon amour pour Félime; enfuite cet illuftre efclave crut devoir lui dire ce qu'il avoit entendu de la converfation de la Reine & de la Princeffe de Grenade, & lui demanda avec empreffement quel étoit cet Abenamard dont elles avoient parlé. Almoradine lui apprit qu'il étoit Prince deFez & qu'il devoit épou fer Félime, en recompenfe des services qu'il avoit rendus à Boa

dilly pendant les troubles des Zégris & des Abinferages, & qu'il devoit faire entrer des troupes dans Grenade, en cas que les Rois de Caftille en voulussent faire le

fiége comme on avoit fujet de le craindre. Mais enfin, poursuivitelle, mettons la Reine de votre parti; vous n'ignorez pas qu'elle a été élevée en Espagne, & je fçai qu'elle conferve dans fon ame une fi forte inclination pour cette Nation, que je ne doute point qu'elle ne vous voye avec joye, & qu'elle ne contribuë de tout fon pouvoir au bonheur de Félime; nous trouverons bien après les moyens de vous délivrer d'un rival que je prévois ne vous être pas long-tems redoutable.

A peine eut-elle achevé ces mots, qu'elle apperçut la Reine & la Princeffe qui venoient à deffein d'entrer dans le cabinet de