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Château, Zéluma apprit à Dom Alvare, qu'ayant profité d'une Tréve de trois mois entre l'Efpagne & les Maures, il étoit venu à Madrid pour y vendre plufieurs portraits d'affez grand prix, & qu'ayant réuffi dans fon deffein, il avoit repris la route de Grenade ce même jour; que le frais & l'ombre des bois l'avoient invité à s'y reposer; mais qu'il n'avoit pas plûtôt mis pied à terre qu'il s'étoit vû attaqué par trois hommes qui, fans doute, en vouloient bien moins à fa vie qu'aux raretés,dont ils l'avoient crû chargé. Votre valeur, continua-t-il, m'a garanti de la perte de l'un & de l'autre, & je dois rendre témoignage que les Espagnols ont autant de courage que de génerofité. Dom Alvare répondit à ces louanges par celles qui étoient dûës à la Nation de l'Etranger; & comme ils fe

trouverent en ce moment à la porte qu'il avoit fait ouvrir, il conduint Zéluma par des détours fecrets jufqu'à fon

appartement. La Ducheffe étoit accoûtumée à ne pas voir fon fils au retour de la chaffe, ainfi il pouvoit fe retirer fans qu'elle y trouvât à redire. Après avoir fait vifiter quelques legeres bleffures que Zéluma avoit reçuës, il fit fervir à fouper. L'Etranger dans tous les difcours fit paroître un caractere de grandeur & d'élevation, qui confirma Dom Alvare dans la penfée qu'il cachoit fous de fauffes apparences une naiffance illuftre. Pour avoir un prétexte de s'éclaircir d'une partie de fes foupçons, cet illuftre Espagnol regardant l'Etranger avec des yeux où l'amitié étoit peinte: Je vois bien, mon cher Zéluma, lui dit-il, que vous êtes au-deffus de ce que vous vou

lez paroître ; & quoique je duffe me plaindre d'un tel déguifement, je veux vous montrer ma tendreffe en me conformant à ce que vous fouhaitez ; mais du moins reparez cette diffimulation en me montrant ce qui vous refte des raretés que vous dites avoir venduës à Madrid.

Zéluma foûrit à la demande de Dom Alvare. Vous croyez m'embarraffer, lui dit-il, par votre curiofité, mais je vais vous convaincre de la verité de mes paroles, en vous montrant deux portraits qui me font restés. A ces mots il donna à Don Alvare deux boëtes fuperbement enrichies. La premiere qu'il ouvrit, n'offrit à fes yeux qu'une femme, dont l'âge avancé ne laiffe voir que les traces d'une beauté parfaite; mais l'éclat & les charmes de la perfonne que renfermoit la feconde

boëte, lui ôterent l'ufage de fa voix,ne trouvant point de paroles affez fortes pour la loüer dignement.En effet tout ce qu'une brillante jeuneffe peut donner d'agré mens à la beauté la plus touchante, fe faifoit remarquer dans cetteadmirable Peinture; & l'on auroit pû croire qu'elle reprefentoit la Déeffe des Amours, fi la pudeur qui regnoit fur ce beau vifage n'en eût effacé l'idée. L'admiration de Dom Alvare fit bientôt place à l'amour le plus violent; cette paffion, jufqu'alors inconnue à fon cœur, ne lui donna pas le tems de s'en défendre: percé d'un trait auffi prompt que dangereux, il ne connut fon mal que par la grandeur de fa blessure. La jaloufie fuivit de près ces premiers mouvemens; perfuadé que l'Etranger fe déguifoit, il crut qu'il aimoit cette belle perfonne,

& même qu'il en étoit aimé, puifqu'il en poffedoit le portrait. Zéluma prenoit trop d'interêt aux paffions d'Alvare pour ne les point démêler;il ne voulut pas çependant rompre le filence que cer amour naiffant caufoit entre eux. Dom Alvare le rompit enfin, & regardant fixement l'Etranger : Ah Zéluma, lui dit-il, que vous êtes heureux!

Je le ferois fans doute, lui répondit-il,fi mon bonheur étoit attaché à la poffeffion de cette peinture; mais, Seigneur, l'inégalité de nos conditions m'a délivré du danger d'élever mes pensées jusqu'à celle que ce portrait reprefente. Ah! lui dit Dom Alvare ne pouffez pas plus loin une feinte qui me rendroit votre ennemi; empêchez le progrès de l'amour que je fens naître dans mon ame, en m'avouant le vôtre, & ne me

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