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tures de l'esclave & de Dom Alvare, lui paroifloit un mélange affreux; mais comparant ce que Zéluma lui avoit dit de l'un, & charmée de la perfonne de l'autre, elle conjuroit en fecret le Ciel que fes foupçons fuffent véritables. Elle avoit cent, fois ouvert la bouche pour lui parler, & cent fois la crainte d'en trop dire l'avoit forcée à garder le filence. La Reine qui lifoit fur fon visage l'embarras de fon cœur, continua toujours d'entretenir Joraé; & après qu'il eut répondu à tout ce qu'elle vouloit fçavoir: Hé bien, lui dit-elle, demain à la même heure trouvez-vous ici, le Prince Zéluma s'y rendra avec nous. Reftez quelque tems à Grenade, on vous y rendra fervice, Dom Alvare ne nous eft pas tout à fait inconnu, & vous ne pouviez en parler à des perfonnes qui

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y priffent plus d'interêt. A ces mots ayant entendu un bruit qui annonçoit l'arrivée du Roy, elle lui fit figne de fe retirer. Dom Alvare eut à peine le tems de la remercier, mais il ne laiffa pas que de trouver celui de jetter des regards pleins d'amour fur la charmante Princeffe de Grenade, qui y répondit fans le vouloir. Dom Alvare fortit de l'Alembre fans difficulté, & rentra dans l'Albifain plus amoureux & plus charmé que nul amant ne le fut jamais; il rêva long-tems à tout ce qui venoit de lui arriver; ce qu'il avoit cntendu dire à Félime avec la Reine, lui donnoit la douce efperance d'être aimé. Il avoit remarqué quelque chofe de fi favorable pour lui dans les yeux de cette Princeffe,qu'il croyoit qu'en fe faifant connoître on l'écouteroit avec d'autant plus de plaifir

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dez trop galament pour ne pas tout obtenir. Nous fommes feules, faites venir l'heureux captif que vous protegez. Almoradine ayant jetté les yeux fur l'endroit où Dom Alvare s'étoit retiré, & l'appercevant entre les arbres : Approchez Joraé, lui dit-elle, & venez rendre grace à la Reine, de ce qu'elle vous permet de paroître devant elle.

Dom Alvare étoit fait de maniere à s'attirer les regards de toute la terre, & fous un habit d'efclave on diftinguoit aifément fon illuftre naiffance. La Reine fut furprise de l'air majeftueux avec lequel il l'aborda, & Félime fentit à sa vûe une émotion qui la fit rougir fans en fçavoir la cause. Joraé fe jetta aux pieds de la Reine, & cette Princeffe lui ayant ordonné de fe relever: Il me femble, dit-elle en fe tournant du côté

de Félime, que c'eft le même qui m'a tantôt préfenté les fleurs d'Almoradine. Oüi, Madame, lui répondit Dom Alvare, j'ai eu cet honneur ce matin, & dès ce moment, fi j'euffe ofé, j'aurois demandé à votre Majefté fa protection dans un pays où tout lui est soumis; mais la Princesse Almoradine, touchée de mes malheurs, a voulu me prefenter ellemême à l'illuftre Reine de Grenade.

Dom Alvare prononça ces paroles avec une fi noble hardieffe, que laReine ne put lui refufer fon admiration; & lui ayant demandé fon nom & fon pays, Dom Alvare,voulant profiter de cette queftion pour connoître les fentimens de Félime avant que de fe découvrir Jefuis, Madame, lui dit-il, fujet des Rois de Caftille; mon pere ayant été Gouverneur du

fils du Duc de l'Infantade je fus élevé près de lui, il m'honnora de fa confiance; & comme je ne le quittois jamais, je me trouvai avec lui à l'entreprise de Zahara. Mais l'ayant perdu dans la foule des ennemis qui l'environnerent, & ne doutant point qu'il ne fuccombât fous leurs coups, je ne ménageai plus ni ma vie, ni ma liberté; je me jettai au milieu des Maures qui furent bien-tôt maîtres de mon fort: & le Capitaine Hali d'Aoub m'ayant pris, il m'amena à Grenade où il me vendit au Prince Abdelec. La Princeffe Almoradine a fi bien adouci la rigueur de mon efclavage, que fans l'inquiétude où je fuis dur deftin de mon maître, je pourrois me croire heureux.

Pendant tout ce difcours la Reine & Félime fe regardoient avec les marques d'un grand_

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