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moradine alloit répondre lorfqu'elle en fut empêchée par le Roy &Almahide qui fe raprocherent d'elles & rendirent la converfation generale; mais elle fut fi trifte, Boadilly parut fi rêveur, & la Reine montra tant de mélancolie, que cette compagnie fe fépara bien-tôt. Almoradine prit congé de la Reine, & cette Princeffe fuivie de Félime rentra dans fon appartement. Lorfqu'elles fe virent fans témoins fufpects, Almahide regardant triftement Félime: Enfin Princeffe, lui dit-elle, nos communs malheurs vont achever de ferrer les noeuds dont l'amitié nous avoit unis. Vous fçavez l'amour que je conferve pour l'Espagne, que je dois regarder comme une feconde Patrie, y ayant été élevée, & vous n'ignorez pas que je n'ai point d'autre créance que celle de cetteNation.

Ainfi, pour accorder mon devoir avec mon inclination, je viens de faire tous mes efforts auprès de Boadilly pour qu'il fit une paix durable avec les Rois de Caftille; en laiffant à fes fujets la liberté d'embraffer leur Religion, de faire des Alliances avec eux, & de leur rendre un hommage, où fa défaite entiere le contraindra bien-tôt, s'il n'y consent volontairement. Je lui ai peint avec les plus vives couleurs les horreurs d'un fiege & fa perse inévitable, enfuite je lui ai parlé de vous en particulier, en le priant avec inftance de ne vous point livrer à l'objet de votre haine, & de ne me pas priver par ce mariage, d'une Princeffeà laquelle je fuis attachée par le fang & l'amitié. Mais je n'ai pû rien obtenir, il veut faire la guerre, il veut que vous époufiez Abenamard, & enfin il veut me

défefperer. Je prends à témoin le Dieu que j'adore, continua-t-elle,. que j'attendrois fans crainte tous les maux que je prévois, fi je pouvois empêcher ceux qui vous menacent. Ah! Madame, lui dit Félime, que ces maux font adoucis par l'interêt qu'y prend votre Majefté; mais de grace n'augmentez point les vôtres par cette genereufe compaffion, & permettez que je me plaigne de ma triste deftinée fans troubler le repos de la vôtre. Non, non, lui dit la Reine, ne craignez point de me toucher; & pour vous montrer F'interêt que je prends à tout ce qui vous regarde, & détourner les triftes idées qui nous occupent, je vous dirai que l'efclave d'Almoradine m'a paru reflembler au portrait que Zéluma nous a fait de Dom Alvare. Félime ne put s'empêcher de rougir à ce dis

cours. Je vous avoüerai, Madame, lui répondit-elle, que cet efclave a fait naître dans mon cœur, des fentimens qui reffemblent fort à ceux queZéluma veut m'infpirer pour Dom Alvare; & que fi j'étois dans une fituation plus heureufe, je fouhaiterois que Dom Alvare fut fait comme Joraé, ou que Joraé fût lui-même le fils du Duc de l'Infantade. Cependant, Madame, Almoradine m'a parlé d'une maniere à me faire penfer que cet efclave n'eft pas ce qu'il paroît, & je croiqu'il entre quelque myftere dans l'entrevuë qu'il vous a demandée avec Zéluma.

Je le penfe comme vous, luf dit la Reine, nous en ferons inftruites demain, je vais faire avertir Zéluma; mais cependant, Princeffe ne lui parlez de rien, je veux que fa furprise ou les dif

cours nous découvrent ce que nous voulons fçavoir. Ces Prin ceffes s'entretinrent encore quelque tems; mais comme il étoit tard & que la Reine devoit dîner feule avec le Roi, Félime fe retira dans fon appartement, l'efprit fi rempli de Dom Alvare & de Joraé, que cet illuftre efclave auroit eu lieu de fe louër de fon fort s'il avoit fçû tout ce qui fe paffoit de favorable pour lui dans le cœur de cette Princeffe. Cependant Zéluma n'étoit pas tranquille, la Tréve avoit fini par le combat de Zahara, & la guerre lui ôtoit les moyens de revoir Dona Elvire. L'ordre qu'il reçut de la Reine, de fe trouver le lendemain au bois des trois Fontaines l'inquiétoit; il ne pouvoit comprendre à quel deffein cette Princeffe vouloit l'entretenir dans un lieu fi folitaire,puifqu'il avoit droit d'en

trer

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