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» rien omettre, & à employer tout fon crédit à ce qu'elle réufsît au "gré de Sa Majefté. Selon cet écrivain, qui eft Ferret de Vicence, » cette nouvelle engagea le Roi à envoyer à Péroufe des fommes » confidérables, & à faire de grandes promeffes à ce Cardinal pour » l'induire à folliciter en faveur de la France, & à ne fe défister de » l'entreprise que quand elle feroit parvenue au point où lui, Philippe, » la défiroit. En conféquence le Cardinal se mit à tenter les uns par » préfens & les autres par promeffes, fans que lui toutefois, ni » ceux de fa famille, puffent parvenir à leur but.... Ce fut dans » ces conjonctures que les deux factions ne pouvant fe réunir fur aucun » d'entr'elles, elles aimerent mieux voir le Pontificat transféré à des » étrangers, du nombre defquels étoit un Gafcon, Archevêque de » Bordeaux, qui fut défigné Pape, tant par les menées & vives » instances de Pierre Colonne, que par l'or & les riches préfens

qu'il fut répandre pour avoir le confentement du plus grand nombre. "Il l'obtint enfin, & il n'en fut pas plutôt averti en fecret par ceux " qu'il avoit gagnés, qu'impatient d'annoncer au Roi de France que » son défir étoit rempli, il fut le premier à lui en écrire, & à » mander à l'Archevêque cette agréable nouvelle, avant même que » l'élection se fît, & qu'on l'eût annoncée d'une maniere folem» nelle (11). "

Il y eut donc, avant cette élection, des pratiques & fecretes manœuvres entre Philippe & les Cardinaux ; il fut donc réfolu entre ceux-ci d'offrir le Souverain Pontificat à des Prélats d'en-deçà des monts, & notamment à Bertrand Got, avant que de procéder à fon élection.

« L'histoire des Conclaves, ajoute le P. Berthier, tant l'Italienne " que la Françoise, paroît avoir fuivi Ferret de Vicence fur l'élection » de Clément V; par conféquent elle ne dit rien du récit de Villani. » Cette conféquence eft peu jufte. L'hiftoire des Conclaves dit beaucoup, fi elle parle d'après cet Annaliste, parce qu'il rapporte le fond

(11) Rerum Italicarum Scriptores, tom. 9, pag. 942.

de tout ce que Villani nous a particularisé. La feule différence qu'il y a entre ces deux contemporains, c'eft que Villani paroît mieux informé que Ferret; le premier ne fait que fuppléer ce qui manque au récit du fecond, c'est-à-dire, des faits arrivés en-deçà des monts, que Ferret avoit ignorés & n'étoit pas à portée de favoir comme l'auteur Florentin, qui avoit fes correspondances à la cour d'Avignon. Cependant, dira-t-on, felon Ferret de Vicence & l'hiftoire des Conclaves, Bertrand ne fut préféré que parce qu'il étoit intime ami du Roi de France; &, felon Villani, ce fut par une raison contraire; felon Ferret, Pierre & Jacques Colonne furent les premiers mobiles de toute l'intrigue; felon Villani & S. Antonin, ce fut le Cardinal Duprat... Il est aifé de voir que ces contradi&ions ne font qu'apparentes; elles fe peuvent aisément concilier, en difant: 1°. que Bertrand étoit réellement ennemi du Roi, quand on défigna les trois fujets François; mais ami & réconcilié, quand on s'affembla pour le choifir. 2°. Que les Colonne & le Cardinal Duprat, ayant également à cœur de favorifer la France, contribuerent, chacun de leur côté, à l'élévation de Clément V. Il n'y a rien en tout cela de contraire à l'auteur Florentin.

L'hiftoire Italienne des Conclaves qu'on oppofe, fut imprimée en 1667, fans nom d'auteur, ni de ville, ni d'imprimeur (12). Le P. Papebroch fait fi peu de cas de ce qu'elle rapporte fur l'élection de Clément V, qu'il n'a pas jugé à propos de le traduire, ni d'en faire ufage; & par cela feul qu'elle paroît oppofée en quelque chofe à Villani, il prétend qu'on doit en confidérer la narration comme fufpecte, quoiqu'il eût été facile à ce critique de concilier ces deux hiftoriens, comme nous venons de le faire."

Le Moine de Saint-Denis, celui de Liége, Jean de Saint-Vi&or Ptolomée de Lucques, Amauri Auger, Martin le Fratricelle qu'on nous objecte encore, étoient tous religieux, écrivant dans l'obscurité du cloître, & peu à portée de connoître des anecdotes découvertes

(12) Conatus Cronico-hiftoricus ad Catalogum Romanorum PP. part. pag. 71.

à l'auteur Florentin; il ne faut donc pas s'étonner s'ils n'entrent pas dans le détail des intrigues dont parlent Villani, Ferret & S. Antonin. Ce n'eft pas dans toutes les circonstances des faits qu'on doit attendre d'un écrivain la plus exacte vérité; ce feroit fouvent lui demander l'impoffible. Il n'y a rien de plus favorable à l'opinion du P. Berthier dans Tristano Calchi; cet Italien dit précisément : « Qu'après la mort du "Pape Benoît, le Saint-Siége vaqua près d'un an, par la faute des » Cardinaux affemblés à Péroufe, lefquels, ne mettant ni fin à leurs » débats, ni frein à leurs paffions, étoient tellement animés les uns » contre les autres, qu'ils aimerent mieux faire tomber le fort fur » un étranger absent que fur un d'entre eux (13). » Si Tristano ne dit rien de la conduite du Roi envers Clément, ni des promeffes de Clément faites au Roi, c'eft qu'il n'en n'étoit pas instruit: j'en dis autant des autres que nous venons de rappeler, s'ils affirment que l'Archevêque fut choisi prout confuetum eft, d'un confentement unanime, ou prefque unanime; c'eft qu'ils ne parlent que de l'élection feulement, & non de tout ce qui l'avoit précédée. Ils pouvoient donc ces écrivains, fans être courtifans ou flatteurs, ne pas rapporter tout l'extraordinaire qui accompagna P'élévation de Clément V: 1°. parce que ces fragmens d'hiftoire qu'on nous en objecte, font moins la vie de ce Pontife, qu'une chronique abrégée de quelques événemens arrivés en Europe fous fon pontificat: 2°. parce que, ne faifant qu'un précis de la vie de ce Pape, ils ne doivent parler de fon élévation qu'en paffant: 3°. parce que les conventions de Clément avec Philippe ayant été fecretes dans le tems, il ne doit pas être furprenant, fi elles ont été ignorées de ceux qui, écrivant alors n'étoient pas à même de les apprendre comme les Villani.

On ne doute pas qu'une chronique telle que celle de Nangis, écrite par ordre, &, pour ainfi dire, fous les yeux du Prince régnant, pour être confultée comme un monument public, ne foit une fource pure en, ce qui regarde les noms, les dates, les

(13) Thefaurus Antiquitatum & Hiftoriarum Italia, tom. 2, part. I, pag. 404.

époques & les principaux événemens; mais on ne perfuadera jamais que le chroniste ait été affez hardi & affez fincere pour ne point omettre bien des circonftances peu honorables à la mémoire de perfonnes en place. J'en dis autant de Bernard Guidonis ou de la Guionie, créature de Clément V, & fon Inquifiteur général. Semblables écrivains font eftimables en ce qu'ils rapportent, mais de nulle autorité en ce qu'ils omettent : c'eft pour cela que les portraits des Rois & des premieres têtes ne font que trop fouvent dans un faux jour pendant leur vie; c'eft pour cela qu'un fameux critique craint qu'il n'y ait de la flatterie & de la calomnie dans Bernard Guidonis, & ne veut pas qu'on l'en croie fur ce qu'il rapporte des chevaliers du Temple (14).

Pour nos anciens écrivains de l'hiftoire de France, Paul Emile, Gaguin, Nicole Gilles, du Haillan, de Serres, s'ils racontent auffi l'élection de Clément V comme une opération toute fimple, & faite par le commun avis des Cardinaux, c'eft qu'ils n'en favoient pas davantage. Le P. Berthier femble en convenir, puisqu'il ajoute : "Apparemment on ne lifoit guere alors Villani. » Eh! comment l'auroit-on lu? Il n'a jamais été traduit que par lambeaux, & n'a été imprimé pour la premiere fois qu'en 1537. Or, ces historiens françois étoient morts auparavant; Gaguin en 1501, Nicole Gilles en 1503, Paul Emile en 1526. Pour de Serres, qui, en zélé Huguenot, déclame à tort & à travers contre les Papes, s'il n'a rien dit des faits en question, c'eft une forte preuve qu'il n'a jamais lu Villani, J'en dis autant de dus Haillan, qui n'a eu de vogue qu'à caufe de la liberté qu'il fe donne de parler fans ménagement des eccléfiaftiques, & dont on fait que l'hiftoire n'eft qu'une traduction de celle de Paul Emile, mort plufieurs années avant l'édition de l'auteur Florentin

Le P. Berthier infifte : « Mais leurs devanciers ne le lifoient donc " pas non plus ?" A plus forte raifon; puifqu'en Italie même, il ne fut tiré de la pouffiere qu'après deux cents ans, comme nous l'avons dit,

(14) Conatus Chronico-hiftoricus, loco citato."

& que le célebre Muratori n'en a connu que quatre exemplaires, deux de Florence, un de Venife & celui de Milan.

« Mais, dans le cas dont il s'agit, reprend encore le P. Berthier, » cet auteur fe trouve donc ifolé de toutes parts?» Point du tour; on peut lui joindre Ferret de Vicence, comme on a vu, & Rainaldi, qui, rapportant les intrigues en queftion, cite en marge les manufcrits de Baronius, dont il étoit dépofitaire (15). Ifolé tant qu'on voudra, Villani n'en feroit pas moins véridique. A la vérité, le premier qui détaille un fait dont lui feul a connoiffance, ne fait pas encore une certitude morale, mais il n'en accufe pas moins vrai pour cela.

Après ce que nous venons d'alléguer, il n'eft pas extraordinaire que les écrivains françois cités par le P. Berthier, n'aient rien dit des intrigues dont a parlé Villani: on ne doit pas non plus s'étonner de ce que Platine n'en parle point; il étoit mort plus de cinquante ans avant l'édition de l'auteur Florentin. Platine, devenu garde de la bibliotheque du Vatican, compofa fon hiftoire des Papes dans les dernieres années de fa vie, ne fongeant guere fans doute à puiser dans d'autres fources que celles qu'il avoit en abondance & à fa difcrétion. Nous avouerons cependant, qu'à caufe du pofte qu'il occupoit, il a pu avoir connoiffance du manufcrit dont nous parlons; mais c'est deviner que de fuppofer, comme on fait, que l'ayant connu, il n'en a pas voulu extraire tout ce qui regarde Clément V. Pour affurer que Platine a vu ou n'a pas vu l'endroit en question dans Villani, & qu'on ne l'a pas retranché des œuvres hiftoriques de ce bibliothécaire, il faudroit en avoir la premiere édition de 1479, qui est devenue trèsrare, & qui contient bien des faits analogues à celui dont il s'agit, faits qui ne fe retrouvent plus dans les éditions poftérieures.

C'en eft affez fur les preuves négatives du P. Berthier; il eft tems de paffer aux pofitives, fi on peut appeller preuves pofitives des récits qui, en rapportant les chofes autrement que Villani, annoncent des abfurdités auxquelles M. Baluze n'a pas cru devoir répondre autrement

(15) Ad annum 1305, n. 2.

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