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qu'en les traitant de ridicules. Ces prétendues preuves font au nombre de quatre, tirées d'une chronique de Boulogne, de Bernardin Corio, des annales de Barthelemi de Ferrare, & de celles de la ville de Forli. Comme elles ne difent toutes que la même chofe, nous pouvons bien, à l'imitation du P. Berthier, ne les confidérer que comme des ruiffeaux d'une même fource, & les branches d'une même tige, c'est-à-dire, comme ne faifant qu'une feule & même autorité.

Voici comment s'exprime l'Annaliste de Forli : « Clément V parvint, » à ce qu'on dit, à la papauté par une frauduleuse manœuvre, car » il fut élu par les Cardinaux enfermés, & perfuadés tous, excepté » le complice de la fupercherie, que celui qu'ils élifoient étoit mort, quoiqu'il fût actuellement Archevêque de Bordeaux (16). "De-là le P. Berthier conclut : on élut donc Bertrand ; ce que perfonne ne lui conteste. Quant aux circonftances dont on dit ici que l'élection fut accompagnée, l'Annaliste n'ofe les affurer: en effet, eft-il croyable qu'un feul des Cardinaux perfuada ces deux factions, que pour fe délivrer de la captivité dans laquelle on les tenoit, elles ne risquoient rien de choisir Bertrand, parce qu'il étoit mort; & qu'on choisit effectivement pour Pape un Prélat qu'on favoit n'être plus vivant? Cette circonstance est une abfurdité qui ne mérite d'autre réfutation que le mépris qu'en a fait M. Baluze. Villani se seroit félicité d'être, sur ce point, contraire à la chronique de Boulogne, & à ceux qui l'ont copiée. Les deux factions étoient trop en garde l'une contre l'autre, pour se laisser ainfi duper les fuppofer affez aveugles pour ajouter foi à un feul homme, qu'elles devoient fufpecter dans une conjoncture auffi importante, c'eft faire injure à leur politique. Toutefois, le P. Berthier trouve mauvais que M. Baluze se moque à cette occafion de Bernardin Corio, & il ajoute : « Mais il faudroit donc envelopper » dans la même fatire les trois autres Annaliftes, & l'on doute que » M. Baluze s'y fût déterminé s'il les eût connus. » Et moi, je n'en doute aucunement, fondé fur ce qu'une abfurdité fondé fur ce qu'une abfurdité quatre fois répétée,

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(16) Apud rerum Italicarum Scriptores. tom. 22, pag. 177..

n'en devient pas plus vraisemblable. Le célebre Baluze étoit plus en droit de fe moquer de quatre auteurs obfcurs, que le P. Berthier de fe souftraire à l'autorité de tant de graves historiens, qui ont trouvé dans Villani un homme de probité & fans fiel, un magiftrat judicieux, dont la narration décele un historien inftruit, & plus éclairé que beaucoup d'autres fur les événemens de fon fiecle.

Entr'autres méprifes que le P. Berthier reproche à Villani pour le décrier, il l'accuse d'avoir dit « que le concile de Vienne fut célébré » au mois de Novembre, quoiqu'il foit conftant qu'on l'ouvrit le » 16 d'octobre. » Les termes de Villani, à les bien prendre, ne font pas contraires à cela: in calen di novembre, doit s'entendre ici comnie s'il y avoit infra calendas novembris, ce qui ne fignifie pas néceffairement le premier jour du mois de Novembre, mais encore tous les autres du mois précédent, en rétrogradant jusqu'au 16 inclufivement (17). D'ailleurs, s'il eft conftant que la premiere feffion de ce concile se tint le 16 d'octobre, il n'eft pas moins vrai qu'il s'en falloit beaucoup que tous les Prélats attendus fuffent préfens : le Pape fut obligé, selon Rainaldi (18), d'écrire à plufieurs Evêques de France, les plus lents, de ne pas tarder à paroître. Ce ne fut que plufieurs mois après cette premiere feffion, qu'ils arriverent à la fuite de Philippe-le-Bel. Un Evêque d'Angleterre, dont on avoit befoin, fut invité de se trouver à Vienne au moins pour le mois de novembre. Par conséquent, avoir dit que le concile fut célébré dans les calendes de novembre, ce n'étoit pas une faute à relever, & ce prétendu anachronisme de quelques jours, reproché à Villani, prouve bien moins fon infidélité, que la mauvaise humeur de fon critique.

Elle paroît encore, en ce qu'il l'accuse d'avoir placé la canonisation de St. Louis, Evêque de Toulouse, au tems du concile de Vienne, quoiqu'elle n'eût été confommée que par Jean XXII... On fait que cette affaire fut commencée par Boniface VIII, continuée fous Benoît XI,

(17) Dictionnaire Encyclopédique. Manuel Lexique.

Gloffarium Cangii, verbo Calendæ.

(18) Ad annum 1311, n. 52, N. Alexand., tom. 7, pag. 500,

& reprise par Clément V, qui enjoignit à deux Prélats françois de pourfuivre les informations. Mais il faut ici diftinguer entre les cérémonies & les procédures de la canonifation: nous avouons que Jean XXII en fit la cérémonie; mais il n'eft pas moins certain que la procédure fut agitée & examinée durant le concile (19). Ainfi, pour que Villani se fût trompé, il faudroit qu'il affurât que l'affaire fut confommée au concile, ce qu'il ne fait pas.

"Enfin, dit le P. Berthier, Villani rapporte la conclufion des pro"cédures contre Boniface VIII au même concile général, & l'on fait qu'elles avoient été terminées quelque tems auparavant, lorfque Philippe-le-Bel en eut remis la décision au jugement du Saint-Siége. Cela n'empêcha pas que la même affaire ne fût rappelée & agitée de nouveau dans le concile de Vienne : c'étoit même une des raifons pour lesquelles cette affemblée avoit été convoquée felon Rainaldi, qui prouve par un manufcrit du Vatican, que Clément V avoit entrepris l'année précédente de terminer cette affaire, & de la porter au concile général, tant à caufe de fon importance, que pour fe laver lui-même de tout foupçon (20). Demùm in Viennenfi concilio controverfia definita eft magno rei chriftianæ bono. Ce font les termes de Rainaldi, auxquels on peut ajouter Ciaconius, & le P. Alexandre qui s'exprime ainfi : In hâc etiam fynodo Bonifacii VIII memoria vindicata eft, declaratumque ipfum fuiffe catholicum & legitimum Pontificem (21). Si cela ne paroît pas fuffifant au P. Berthier, il peut encore confulter Martinus Polonus, la chronique de François Pepin, rapportée dans la collection de Muratori: il y trouvera que les agens de Philippe demanderent au concile, de la part de leur Maître, qu'on fit déterrer & brûler les os de Boniface, comme ceux d'un hérétique, & que cette demande ne fut pas écoutée. C'en eft plus qu'il ne faut pour faire voir lequel des deux eft en faute de Villani ou du P. Berthier; que tous les traits lancés contre l'auteur Florentin donnent à faux;

(19) Idem. Ad annum, 1312.

(21) Tome 7, pag. fol.

(20) Idem. Ad annum 1312, 72. 10, II

que

que la relation de celui-ci fur l'élection de Clément V eft exacte; qu'il y eut d'autres intrigues dans cette élection, que le défir d'obliger le Roi Philippe ; enfin que le P. Berthier a soupçonné, fans fondement, la convention de Saint-Jean-d'Angely d'avoir été imaginée après coup, par envie de décrier Clément V. Cet attachement exceffif, dont le Pape donna dans la fuite tant de marques au Roi de France, laiffe à penser, dit Rainaldi, qu'il y avoit eu entre eux quelque pace illicite (22). Dans la conférence de Poitiers, tenue au mois de juin 1307, Philippe, voulant engager Clément à faire vuider inceffamment le procès commencé contre la mémoire de Boniface, pria Sa Sainteté de ne pas oublier le ferment folemnel qu'elle avoit fait à Saint-Jeand'Angely. Ce n'est pas de Villani feul qu'on tient cette remarque, c'est encore de Conradus Vecerius, de M. Baillet, de Pierre Dupuy, & de Felix Ofius, qui, après avoir cité Villani fur ce fait, ajoute: Placuitque in illius ire fententiam Emilio, Bzovio, Ciaconio & Massono (23), auxquels il faut ajouter S. Antonin. On fait que des modernes parlent défavantageusement de la Somme Hiftorique de ce faint Prélat, mais on doute fi ce font ceux qui l'ont lue avec le plus d'attention. Selon M. Dupin, ce n'eft qu'une compilation tirée de plufieurs historiens, fans beaucoup de choix ; mais ce critique, qui dit que S. Antonin étoit Archevêque de Naples, connoiffoit peut-être auffi peu l'ouvrage que fon auteur. Le continuateur de M. Fleuri a copié les paroles de M. Dupin. Il en coûte moins d'abréger ainfi le travail, que d'examiner avec foin un ouvrage fur lequel on veut prononcer. M. Sponde ne s'est point expliqué de même l'engagement où fe trouvoit ce favant Annaliste de lire les anciens auteurs & de les confronter enfemble, lui avoit donné occafion de remarquer plus d'une fois l'exactitude de S. Antonin, & le choix qu'il avoit fait ordinairement pour difcerner le vrai d'avec le faux, & ne pas mêler le certain avec le douteux (24).

(22) Ad annum 1305, n. 5.

(23) Italia Antiquitates, tom. 6, part. 2 colum. 633.

Tome. I.

(24) Hiftoire des Hommes illuftres de l'Ordre de Saint-Dominique.

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L'autorité feule de Napoléon des Urfins, un de ceux qui avoient le plus contribué à l'élévation de Clément V, auroit dû arrêter la plume du P. Berthier, & modérer fon zele indifcret & mal entendu; mais il eft certains efprits qui, une fois pliés à un sentiment, ne s'en départent jamais. Napoléon, dans une lettre écrite au roi de France après la mort de Clément, rappelle une bonne partie de ce que les auteurs italiens racontent de défavantageux à la mémoire du Pontife. Notre critique, fe doutant bien qu'on lui en feroit une difficulté, a cru devoir la prévenir mais comment s'en débarraffe-t-il? En attribuant les plaintes que Napoléon fait fur la conduite de Clément, au dépit fenfible que ce Cardinal reffentoit de n'avoir point eu assez de part au gouvernement des affaires. Voilà ce qui s'appelle efquiver la force d'une objection par une réponse hasardée. La vérité & la justice ne défapprouvent jamais les reproches dictés par le mécontentement, quand ils fe trouvent fondés: ceux de Napoléon contre Clément ne l'étoient que trop; il les fait au nom de tous les Cardinaux Italiens, dont il eft ici l'organe (25). On en remarque les fondemens dans d'autres contemporains que Villani; dans Martinus Minorita, dans Ventura, continuateur de la Chronique d'Afti, dans Dino Compagni, Florentin, dans Pipini, Dominicain de Boulogne, dans Albertino Muffati, de Padoue, dont voici les termes : Neceffarios fuos ferventi amore dilexit ac ditavit: contra ejus pudicitiam fama laboravit; raros conventus cum confratribus habens, lacis abditis abstractus solitarius (26). « Il n'eft prefque pas refté de cathédrale ou de prébende un peu con» fidérable, dit Napoléon au roi Philippe, qui ne foit vendue à prix d'argent, ou diftribuée fuivant l'inclination de la chair & du fang. » Ce Pape nous a traités avec le dernier mépris, nous autres Italiens qui "l'avions choifi. Souvent, après avoir caffé, fans forme de droit, des " élections unanimes de perfonnes de mérite, il nous appelloit quand " il vouloit publier fa fentence, comme pour nous faire dépit: toutefois,

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